Annoncée dans les fameux “quinze points” du projet de réforme constitutionnelle dans sa version d’avant Décembre 2015, par la formule vague de députés “dédiés” à la diaspora, reprise en l’état dans la version finale du projet votée par le référendum du 20 Mars 2016,la question du nombre et des modalités de désignation de ces députés est restée très nébuleuses et très incertaine pendant de très longs mois.
Ce n’est qu’au 2 Janvier 2017, durant la crise électorale Gambienne, et la préparation de l’invasion de la Gambie, qu’une loi (organique) est finalement venue nous définir le nombre, le mode et les lieux de désignation des députés “dédiés” à la diaspora. En effet, après avoir retenu le nombre de quinze députés (15) qui seront issus de la diaspora pour s’ajouter au nombre actuel des cent cinquante (150), la loi du 2 janvier 2017 a également retracé la carte électorale du Sénégal en procédant à un nouveau découpage établissant artificiellement, en territoires étrangers, huit (8) départements électoraux dits “spéciaux” dont quatre (4).en Afrique (Nord, Ouest, Centre et Sud), deux (2) en Europe (Sud et Ouest-Centre-Nord), un (1) en Asie (Asie-Moyen -Orient), et un (1)aux Amériques (Amériques du Nord-Centrale-Sud et l’Oéanie).
Ensuite la loi du 2 Janvier 2017 ajouta que chacun de ces départements spéciaux peut élire au moins un (1) député, mais aussi un député supplémentaire pour chaque tranche de 40 000 émigrés y résidant et inscrits sur les listes électorales .Mais que toutefois le nombre maximum de députés qu’un département spécial peut élire ne peut dépasser trois (3).
La loi électorale qui s’est jusqu’ici appliquée à l’élection des députés dans un département en a toujours laissé la détermination du nombre à y élire aux soins d’un décret mais également l’a toujours basé sur le nombre de citoyens résidant dans ce département sans distinction (citoyens enfants, petits, grands, ou âgés, inscrits pour voter ou non). Par contre, la loi électorale de 2017 crée un critère nouveau basé sur le nombre d’électeurs inscrits qui résident dans un département spécial donné (excluant ainsi de la représentation les citoyens enfants et petits, ainsi que les citoyens grands ou âgés non inscrits sur les listes électorales).
Ainsi un département spécial pourrait avoir 80 mille citoyens (grands comme petits) à qui cette loi de 2017 aura privé d’exercer leur droit fondamental de représenter et de se faire représenter au Parlement simplement parce qu’un certain nombre de citoyens en âge de voter vivant dans ce département ne seraient pas inscrits ou réinscrits sur les listes électorales, pour des raisons justifiables ou pas.
Or la citoyenneté et le droit politique individuel fondamental de représenter et de se faire représenter au Parlement, ainsi que d’autres droits individuels, ne dépendent pas de l’inscription électorale avérée d’un nombre donné de citoyens inscrits pour voter. C’est des droits fondamentaux constitutionnels et Internationaux qu’une loi, même organique, norme par nature.inférieure à la Constitution, ne peut gêner sans ainsi violer la Constitution et les Conventions Internationales. Et aujourd’hui,tout citoyen dont le droit individuel est ainsi frustré par cette loi peut directement et pertinemment en contester l’applicabilité à eux, devant la Cour de Justice de la CEDEAO..
Au delà de cette insuffisance juridique cette loi pêche énormément par le caractère parfois arbitraire et discriminatoire du découpage électoral qu’elle a établi à l’étranger, Cette loi attribue à l’Afrique quatre (4) départements, soit au moins un député par département, ce qui veut dire qu’au pire des cas les citoyens Sénégalais émigrés en Afrique auront au moins quatre députés, tandis que leurs concitoyens d’Europe en auront deux (2), ceux en Asie un (1) et ceux dans les Amériques et en Océanie en auront seulement un (1).
A notre avis, il devrait être tenu compte de critères supplémentaires reflétant mieux la réalité et les circonstances des émigrés Sénégalais d’une région donnée, dans la répartition des sièges par département spécial. Ainsi par exemple l’étendue du territoire, le nombre de citoyens Sénégalais y vivant, l’apport économique réel ou potentiel (y compris l’apport coopératif) de ceux-ci sont autant de circonstances à prendre en considération dans la détermination des critères de répartition de sièges à l’étranger.
Pour le cas particulier du département des Amériques-Océanie par exemple, au delà de la non pertinence du critère exclusif du nombre d’inscrits, les Etats Unis à eux seuls sont territorialement au moins aussi grands que l’Afrique. Mais en plus au delà des USA la circonscription Amériques-Océanie inclut également le Canada, l’Amérique Centrale, l’Amérique du Sud et l’Océanie; tout cela pour un seul député, Véritablement, il est techniquement et humainement impossible pour un seul député d’effectuer le travail de représentation parlementaire nécessaire pour une circonscription aussi large,
Au surplus, l’apport économique et coopératif des Sénégalais d’Amérique du Nord reste historique et sans conteste des plus important de la diaspora. Cet apport devrait dès lors être inclus en position sérieuse dans toute politique ou réforme touchant aux intérêts des émigrés sénégalais vivant dans cette région du monde. Ces réalités ne sont regrettablement pas suffisamment reflétées par l’étrange critère exclusif du nombre d’inscrits sur les listes électorales et le découpage électoral qu’on nous a produit par cette loi du 2 Janvier 2017,
Les droits des citoyens de notre République, enfants ou petits, grands ou vieux,, y compris les droits fondamentaux de représenter ou de se faire dûment représenter au Parlement, ne dépendent, par nature, pas du nombre d’inscrits de certains d’entre ces citoyens sur des listes électorales.
Comme relevé plus haut, il regrettable que le détail et de la création de départements spéciaux et de la détermination du nombre de députés à y élire soit consigné dans une loi , alors que cela a toujours été fait par décret pour les quarante cinq département au pays, mais qu’en plus il résulte du Code des Collectivités locales que la création (Art. 22 du Code) et la modification (Art, 23 et suivants} d’un département sont effectuées par décret. Aussi, contrairement à une loi, le décret offre plus de flexibilités et de promptitude pour d’éventuels ajustements ponctuels,
Mais aujourd’hui que cette loi sur l’élection des députés “dédiés” à la diaspora est votée (et ne peut plus être modifiée moins de six mois avant les élections, conformément aux règles de la CEDEAO), quels sont alors les ajustements possibles pour une meilleure représentation et une meilleure présence des citoyens de la diaspora à l’Assemblée Nationale au delà des quinze députés?
Rappelons d’abord que jadis les intérêts des citoyens Sénégalais vivant à l’étranger (ainsi que du reste les intérêts des collectivités locales) étaient représentés par le Sénat, pour l’élection duquel les émigrés pouvaient voter. Avec la suppression du Sénat, la représentation des intérêts de la diaspora au Parlement ne repose techniquement plus que sur les soixante (60) députés élus sur les listes nationales. Car ils sont restés jusqu’ici les seuls parlementaires pour l’élection desquels la diaspora pouvait voter (Art 259 du Code électoral). La diaspora n’a jamais pu voter pour les listes départementales (pour les 90 autres parlementaires).
Même si avec la réforme de 2017.les citoyens de la diaspora pourront et voter et se faire élire sur les listes des départements spéciaux, mais aussi toujours voter pour les soixante députés des listes nationales, il demeure cependant que l’impérieuse nécessité de la présence des candidats émigrés sur les listes nationales a, cette fois encore, complètement été omise par la nouvelle loi .
Or, il est impératif que les citoyens Sénégalais de la diaspora occupent plusieurs sièges sur les listes nationales, pour au moins l’évidente raison qu’en tant que citoyens ils ont certes le droit de se faire représenter par les listes nationales mais également ils ont le droit de représenter leurs concitoyens sur les listes nationales.
Dès lors, nous suggérons qu’en dehors des quinze députés des départements spéciaux, et pour les raisons juridiques, démographiques (2 millions dont 100 000 aux USA), économiques (900 milliards de dollars injectés annuellement au pays), et géographiques (exemple les USA seuls sont aussi larges que toute l’Afrique) relevées plus haut, le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale ainsi que tous les acteurs des organisations présentant une liste nationale de candidatures, à réserver les positions seize (16) à trente (30) et quarante cinq (45) à soixante (60) sur leurs listes nationales aux citoyens Sénégalais vivant à l’étranger.
En dehors des raisons relevées plus haut, il n’y a aucun doute que les exigences du monde actuel et certainement de notre démocratie, suggèrent la présence d’un plus grand nombre d’émigrés au Parlement Sénégalais. En outre, sera ainsi corrigée l’injustice de la fermeture jusqu’ici des listes nationales à l’accès des émigrés mais aussi l’apport de leur considérable expérience acquise en terres de grande démocratie, d’excellence, d’organisation et de développement multiformes, notamment ,de pays comme les Etats Unis, servirait énormément à notre pays à travers l’implication directe de ces émigrés dans la vie Parlementaire et gouvernementale sénégalaise.
Mais l’excellence au Parlement commence dans la préparation des listes de candidatures et son seul ennemi serait le clientélisme partisan. Or, à cette croisée des chemins pour notre démocratie et au crépuscule de cette législature de 2012, il y a une opportunité pour la réflexion sur la composition de la Législature de 2017. Il reposera une grosse responsabilité sur les architectes des listes de candidatures des hommes et des femmes qui auront désormais la sérieuse tâche de faire nos lois dans les cinq années à venir.
Il demeure toutefois, à notre avis, que la nouvelle Assemblée qui sera élue cette année devrait s’atteler également à initier l’inévitable réforme du mode actuel de désignation des membres du Parlement de notre République, Une telle réforme pour être sérieuse devra supprimer du système électoral parlementaire aussi bien les listes nationales que le scrutin départemental à un un tour communément appelé ”Raw Gaddu“. Car ces deux systèmes posent de sérieux problèmes de légitimité de la représentation nationale et par leur maintien, constitue une embarrassante entorse à la marche d’une démocratie aussi mûre que la nôtre…
Adama Ndao, Juriste
Washington