Au regard des nombreux scandales financiers et mises en cause d’acteurs de la vie publique sénégalaise, morale et politique ne semblent pas faire bon ménage. En a-t- il toujours été ainsi, ou est-ce spécifique à notre époque ? Peut-il encore y avoir une éthique en politique ? Est-ce que le Sénégal à connu cette rupture qu’on nous a vendue en 2012 ? Sommes nous dans une gouvernance sobre et vertueuse ?
Depuis que l’exercice de la politique existe, la moralité de l’homme public a toujours été mise en cause. En tant que personnage public, il fait face à la société et est forcément soumis à un examen beaucoup plus serré que n’importe qui. Ce qui a changé avec les différentes époques, ce sont les procédés d’interpellation. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est l’écho médiatique exceptionnel de toutes ces mises en cause. L’acte 3 de la décentralisation, en accroissant le pouvoir des départements, villes et communes, a peut-être aussi décentralisé la corruption, l’a rapprochée des gens. La corruption d’un maire apparaît de manière plus évidente au citoyen.
Le phénomène actuel de corruption et de détournement de deniers publics est non seulement mis en relief par l’écho médiatique, mais aussi par l’intérêt croissant que les citoyens accordent à la conduite des affaires publiques et surtout à la transparence des décisions. En effet, les hommes politiques sont assez diserts sur les grandes questions que se posent les Sénégalais. Le principal problème est celui de l’éthique, qui doit être définie par des principes de conduite et par des termes de référence, jugés nécessaires au bon fonctionnement de la société.
Tout d’abord, il faut décider ce que l’on entend par « morale politique ». La morale et l’honnêteté ne se définissent pas simplement par rapport à l’argent, mais aussi par rapport aux convictions. La moralité politique, est très liée au Sénégal à la notion de respect des engagements. C’est pourtant l’inverse qui se produit couramment de nos jours. Certains hommes publics ne se gênent pas pour faire de ce qu’ils ont promis. Les circonstances, la pression du moment, l’urgence pèsent plus lourd que les promesses. C’est à se demander si, aujourd’hui, il est encore possible de tenir des engagements en politique.
La société est déboussolée et désemparée. Les gens ne croient plus les hommes politiques et accordent rarement de crédit à leurs discours. Pour un homme politique, la première forme de moralité, c’est la transparence.
Le président de la République a un rôle pédagogique à tenir. Je propose alors l’extension du référendum en demandant que l’on puisse consulter les Sénégalais sur les grands changements de politique économique. Lorsque des événements difficiles à gérer surviennent, le président se doit d’expliquer aux Sénégalais ce qui se passe. Pourquoi ne les consulterait-il pas ? Face à une situation nouvelle, s’il doit infléchir le programme sur lequel il s’est fait élire, il doit être capable de présenter son analyse des événements devant les électeurs, qui ont alors le choix de le reconduire ou non.
Il y a un certain nombre de principes que l’on ne peut ignorer. Le principe du président de la République « clé de voûte des institutions », pour reprendre l’expression du Général De Gaulle repose sur le contrat de confiance avec le peuple. Si ce contrat est rompu, les citoyens peuvent tout à fait demander une nouvelle confirmation du mandat du président. L’élection présidentielle a la primauté sur l’élection législative et les présidents Wade et Sall ont demandé aux Sénégalais de leur fournir une nouvelle majorité. Une réforme intellectuelle et morale est indispensable pour rénover la vie politique et la purger de ses miasmes. Il faut que la justice fasse son travail, quel qu’en soit le coût, pour réhabiliter aux yeux des Sénégalais la politique, actuellement secouée par de nombreuses affaires qui lui font perdre toute forme de crédibilité. Le cas particulier de la ville de Dakar, par exemple, me semble tout à fait délétère. Il devient absolument nécessaire de préciser de quels tribunaux relèvent le Président de la République, les ministres et les hommes politiques. Et je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas des tribunaux ordinaires. Il faut également définir les garanties qui doivent leur être assurées dans l’exercice de leurs fonctions.
Disons les choses telles quelles sont : on a assisté à un donnant-donnant dans une affaire des plus délicates. En effet, on n’enlèvera pas de l’esprit des Sénégalais qu’un pacte a été conclu pour la libération d’un ancien ministre condamné pour enrichissement licite. Ce qui n’est pas très honorable. Il faut éviter ce genre d’agissements, qui minent profondément l’esprit et la conscience des citoyens. Ces questions d’éthique sont fondamentales pour les Sénégalais, quelle que soit leur appartenance politique. Je suis frappé de voir à quel point les gens sont informés. Ils sont prêts à accepter beaucoup de choses ; ils savent que le métier politique est difficile, que ses conditions d’exercice sont extrêmement éprouvantes. Ce qu’attendent les citoyens est très simple : la transparence sans enrichissement personnel. Et, parce qu’ ils sont très attachés à la démocratie et à la République, ils souhaitent un traitement semblable pour eux et pour les responsables du pouvoir.
Je pense que Platon à raison, en précisant que si la morale générale doit déterminer la politique, elle ne suffit pas, à elle seule, à définir une morale politique.
Baba DIAKHATE
Juriste/chercheur