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Pour Un Moratoire Sur Le Pétrole Sénégalais

Pour Un Moratoire Sur Le Pétrole Sénégalais

Les autorités actuelles se délectent du pétrole découvert dans le sous-sol sénégalais et, avec beaucoup de cynisme, font miroiter au Peuple des lendemains économiques flamboyants. Fidèles à leur tactique obscurantiste, nos autorités exploitent, de façon vicieuse, la misère du Peuple en entretenant le rêve d’un développement économique par le pétrole. Pourtant l’histoire et l’expérience quotidienne montrent clairement que le pétrole et le gaz n’ont jamais développé un pays. A moins de confondre économie de rente, prospérité financière et développement économique, on ne saurait compter sur le pétrole pour sortir nos pays de leur situation. Si le pétrole pouvait développer un pays, l’Arabie saoudite serait aujourd’hui une grande puissance économique. Or malgré ses énormes réserves pétrolières (18% des réserves mondiales de pétrole, 2ème rang mondial, et 1er rang des exportateurs mondiaux en 2015) ce pays n’occupe que la 20e place sur l’échelle des économies du monde ! Ce pays qui exporte des millions de baril de pétrole depuis 1938 est toujours assisté dans plusieurs domaines.

Au Venezuela l’exploitation industrielle du pétrole a commencé depuis 1922 : y a-t-il vraiment un développement économique là-bas ? Principale activité  économique du Venezuela, l’exploitation du pétrole assure 43 % des revenus du Gouvernement : Est-ce cela le développement ? Qui ignore la gravité des problèmes économiques auxquels ce pays est confronté et ce, bien avant la mort de Chavez ? Malgré la politique de nationalisation et le leadership de ce pays dans la création de l’Opep, la crise, qui a prévalu entre 1999 et 2003, a été d’une rare gravité : en 1999, par exemple, l’économie nationale avait régressé de 7,2% ! La manne pétrolière s’accorde rarement avec l’esprit de planification et  de diversification : en plus des problèmes sociaux qu’elle génère, elle inhibe les autres potentialités économiques parce que les investissements qu’elle suscite sont toujours plus rentables dans le court terme pour les investisseurs, et ils ne sont pas des philanthropes !

On ne développe un pays que par la maîtrise des connaissances scientifiques et technologiques, car toutes les ressources naturelles connues et à connaitre sont sans valeur si on n’a pas l’expertise scientifique pour les valoriser. Le pétrole est un produit qui fonde et entretient un type particulier d’économie : il n’est pas un facteur déterminant d’une économie vraiment performante. Sous ce rapport, le pétrole n’a de portée économique que si la rente qu’il génère permet d’investir dans l’éducation, la santé et la recherche. Les meilleures infrastructures du monde sans main-d’œuvre qualifiée ne feront qu’entretenir des économies étrangères ; les plus importantes ressources naturelles sont sans portée stratégique si elles ne sont pas adossées à une vision politique et économique utopiste. Il faut donc miser sur l’éducation et la formation en ciblant des domaines stratégiques porteurs dans l’avenir et soucieux de la qualité de l’héritage que nous devons léguer à nos descendants. Quand le pétrole sénégalais commencera à couler, on nous trompera encore avec des investissements dont la seule finalité est de happer les maigres revenus générés pour qu’ils retournent dans l’économie des pays dont les firmes sont présentes dans l’exploitation du pétrole sénégalais. Ce projet narquois d’un Ter à 535 millions d’euros n’est pas étranger à la découverte prometteuse de pétrole dans notre pays : avec une telle somme, on aurait pu régler des problèmes de moyens de communication plus urgents.

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Une cosmogonie bien de chez nous raconte qu’au début le ciel était du pain à la portée des hommes et que ces derniers n’avaient pas besoin de travailler. Il leur suffisait juste de lever la main et de cueillir le pain pour se nourrir. Mais par leur cupidité ils en prenaient plus qu’ils en avaient besoin. Fâché par ce gaspillage, le ciel s’est retiré et est, depuis lors, hors de portée. La pensée sous-jacente de ce mythe nous renvoie à la façon arrogante et excessive avec laquelle nous exploitons les ressources de la nature : tous les problèmes écologiques et leur impact sur le développement durable sont peints dans ce mythe. Nous, Africains, avons une responsabilité historique face à l’apologie du progrès telle qu’elle est entretenue par les pays du Nord : nous devons avoir l’audace et la lucidité d’inventer d’autres modèles de développement.

La surexploitation de la nature est un crime contre l’humanité actuelle et future. Nous devons comprendre que les problèmes de l’humanité n’ont jamais trouvé les mêmes solutions : tout ce qui est humain est divers. Il nous faut donc éviter d’hypothéquer l’avenir des générations futures par la même cupidité qui a «fâché» le ciel et qui l’a rendu si «distant» ! Pour ce faire, il nous semble nécessaire d’avoir un moratoire sur le pétrole : nous n’avons pas le droit de bazarder ce pétrole ! Puisque nous n’avons pas l’expertise nécessaire pour l’exploiter, nous n’avons aucune raison de nous précipiter dans une aventure d’exploitation de pétrole. Il faut un moratoire sur le pétrole sur trois points :

1) Une générosité de toutes les forces sociales et politiques du pays pour qu’après une évaluation scientifique des ressources pétrolières, un consensus patriotique soit trouvé sur la part qui doit être réservée aux générations futures. Nous n’avons aucun intérêt à exploiter ce pétrole par des moyens étrangers et pour investir ensuite les maigres revenus qui en découleraient dans des projets qui ne seront nécessairement rentables pour les générations futures. On nous rétorquera que les «pères ont toujours choisi pour leurs enfants». A cela je répondrai qu’ils ont toujours tort de le faire et ce n’est guère le même problème : il s’agit d’une richesse que nous devons partager avec des générations futures, car nos ancêtres nous ont légué un patrimoine sans épuiser les ressources naturelles. Il est possible de trouver un compromis sur les quantités de pétrole à exploiter (les 2/3 par exemple) dans les quarante prochaines années.

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2) Les ressources naturelles n’ayant pas de frontières, il faut s’entourer de toutes les garanties pour éviter le scenario irako-koweitien des années 90. On sait que le pétrole a pris des millions d’années pour se former en toute ignorance de nos frontières artificielles : des peuples soudés par des liens culturels et de sang ont été, entre temps, disloqués par les artifices d’une colonisation barbare et source de barbarie. Il est temps, si nous sommes vraiment les dignes héritiers de Cheikh Anta Diop et des autres panafricanistes, de réfléchir sérieusement sur les modalités de faire des ressources naturelles une base d’intégration politique et économique du continent au lieu qu’elles soient des sources de division et de tensions. Un pays comme le Sénégal, au regard de son leadership dans ce domaine, et parce qu’il n’a pas encore goûté aux délices égoïstes du pétrole, pourrait porter une initiative allant dans le sens d’associer directement l’Ua dans la gestion des ressources pétrolières et gazières du continent. Une taxe spéciale de 0.5% par exemple sur le pétrole au bénéfice de l’Ua pourrait être instituée par les pays dans l’optique d’amortir les chocs qui ébranlent le continent dans le domaine alimentaire et celui de l’énergie. Cette taxe pourrait également contribuer à financer les projets régionaux et sous-régionaux à l’image de ceux planifiés par le fameux Nepad et dont on n’entend plus parler.

3) Le développement véritable doit être structurel et il ne l’est que si les populations sont capables de prendre en charge leurs besoins endogènes en les réglant par des moyens endogènes. Or pour ce faire, il faut que les capacités des populations soient mises à niveau par des systèmes éducatifs et des circuits de formation adaptés à leur environnement et à leurs préoccupations réelles. L’exploitation du pétrole n’aura de sens, selon nous, que si elle permet, par une identification rationnelle des potentialités économiques du pays, de financer un nouveau système éducatif fondé sur nos valeurs, notre culture et nos besoins. L’école sénégalaise actuelle ne peut pas produire un génie typiquement sénégalais capable d’être compétitif dans l’économie globalisée, car en plus d’être extravertie, elle est minée par coupes budgétaires sauvages, des grèves barbares et un enseignement censitaire. Il faut que le pétrole sénégalais serve à financer la recherche sans complexe ni hésitation sur les énergies renouvelables : la générosité de Dieu ne peut se résumer à des histoires de pétrole. Il y a énormément de ressources dans la nature, c’est à nous de les chercher, de les connaitre et de les domestiquer et, pour ce faire, il n’y a qu’une seule voie : la science. «Lorsque Ton Seigneur confia aux anges : Je vais établir sur la terre un représentant, ils dirent : Vas-Tu y désigner quelqu’un qui y mettra le désordre et répandra le sang, quand nous sommes là à Te sanctifier et à Te glorifier ? – Il dit: En vérité, Je sais ce que vous ne savez pas ! Et Il apprit à Adam tous les noms (de toutes choses), puis Il les présenta aux Anges et dit : «Informez-Moi des noms de ceux-là, si vous êtes véridiques!» Ils dirent : «Gloire à Toi! Nous n’avons de savoir que ce que Tu nous a appris. Certes c’est Toi l’Omniscient, le Sage» (Coran 2, Verset 30-31-32). Un musulman ne peut compter avec autant de ferveur sur le pétrole pour son épanouissement : c’est se sous-estimer que de croire que le développement se fonde sur autre chose que sur le savoir ; c’est démériter la confiance que Dieu a placée en nous que d’entretenir ce mirage du pétrole.

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Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

Secrétaire général du mouvement citoyen Label/Sénégal

Alassane K. KITANE

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