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Flottement Ou Somnambulisme De L’intelligentsia Sénégalaise ?

L’Afrique a, pendant de longues dates, vécu sous le joug de la colonisation. Elle a subi les coups de boutoir du « blanc ». Son indépendance (de façade, je dois préciser) a été obtenue grâce à d’âpres batailles (je pense à l’Algérie). Si l’on prend l’exemple de la négritude, l’on dira que les intellectuels de l’époque y ont joué un rôle décisif. Pour rappel, le mouvement de la négritude se divise en trois (03) phases. Une première phase dite de consentement avec, entre autres, des écrivains comme Bakary Diallo et Mapathé Diagne qui ont respectivement écrit : Force bonté, dans lequel il faisait l’éloge de la France qu’il considérait comme une mère généreuse tout en assimilant la tradition africaine à un frein au développement et, Les trois (03) volontés de Malick, dans lequel il fait l’éloge de l’école française et chante le salut apporté par la colonisation. Une deuxième phase dite de contestation où l’on faisait le procès de la colonisation. Je pense à Ferdinand Oyono, in Une vie de Boy, à Chinua Achébé, dans Le monde s’effondre, entre autres. Une dernière phase dite de combat. Je pense à Amadou Kourouma, Les soleils des indépendances, à Cheikh Aliou Ndaw, Mbaam dictateur. Ce long rappel traduit à suffisance la prise de position de l’intelligentsia africaine pour fustiger et décrier la colonisation que notre poète-président assimilait à « un mal-nécessaire ». Après le départ du colon, des régimes dictatoriaux ont été instaurés, dans certains pays du continent. Je pense au Zaïre de Mobutu et à la Centrafrique de Bokassa. Petit à petit, suite à des insurrections, les pays ont commencé à façonner et à construire des Etats-nations sur de nouvelles bases. Les débuts ont été, on ne peut plus, difficiles. Au Sénégal, les intellectuels ont pu batailler très dur sur le plan des idées. Ce pays regorge, de tout temps, d’intellectuels qui s’activent sur les plans religieux, économique, politique, culturel et j’en passe. Mais, dans ce Sénégal précisément, dans un passé récent et actuel (appréciez l’expression), beaucoup de choses sont allées de travers au point où certains s’interrogent sur la posture de l’intelligentsia. Est-ce un flottement ou un somnambulisme de l’intelligentsia sénégalaise ?

Par flottement, l’on entend un état incertain dû à des hésitations. Il peut renvoyer à l’indécision.

Le somnambulisme, quant à lui, caractérise l’état d’une personne très absorbée par ses pensées, une émotion et qui agit dans une demie-inconscience.

L’intelligentsia est la classe des intellectuels dans la Russie tsariste. Entendons-nous bien, les intellectuels, dans mon sens, renvoient à ceux dont la vie a été consacrée aux activités intellectuelles pour le bonheur et l’épanouissement de leurs sociétés.

Les termes du sujet étant éclairés, son importance prend l’envol. S’interroger sur l’intelligentsia sénégalaise est, pour moi, une manière de démontrer et de montrer, au vu et au su de tout le monde, que les intellectuels n’ont pas toujours agi dans le sens voulu par les citoyens pour des motifs divers et nombreux que nous essayerons d’évoquer, tant soit peu . Leurs actions laissent, quelque part, à désirer. Sous ce rapport, sans affirmer dogmatiquement, qu’il s’agit bien d’un flottement ou d’un somnambulisme, notre propos est de dire que l’intelligentsia sénégalaise manifeste, tantôt de la rigueur et de la vigueur de manière palpitante et percutante, tantôt d’une timidité camouflée de manière délassante et décevante.

L’on ne s’intéressera qu’à la période 2000 jusqu’à nos jours. Aussi, le niveau politique occupera-t-il l’essentiel de mon propos. Cette démarche parait le mieux à même de refléter la quintessence du sujet car tout se construit, se fait avec et par la politique.

C’est ainsi que nous verrons, dans un premier temps, l’ardeur vigoureusement et rigoureusement manifestée au début par l’intelligentsia sénégalaise (I) et, dans un second temps, sa timidité clairement et intentionnellement camouflée à la fin (II).

I-D’une ardeur vigoureusement et rigoureusement manifestée au début par l’intelligentsia sénégalaise…

L’alternance de 2000 est comme un vent nouveau qui soufflait sur le Sénégal. Un opposant au pouvoir pendant presque vingt et six ans (26) arrive, en fin, à la magistrature suprême à la suite du second tour disputé le 19 mars 2000. On se rappelle sa prestation de serment tenu au stade. C’était tout simplement unique en son genre. Petit à petit, il donna l’impression de gouverner dans un sens contraire que celui voulu par celles et ceux qui l’ont porté au pinacle. En clair, sa gouvernance ne serait pas catholique (A). De là, les certains espoirs étaient, à demi, brisés (B). Pendant cette période, l’intelligentsia sénégalaise s’est positionnée de manière vigoureuse et rigoureuse, en dénonçant toutes les bourdes du régime. On sentait et ressentait sa présence sur tous les plans. Le quatrième pouvoir, appelé communément la presse, y a joué un rôle, pas des moindres.

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A-Pour motif d’une gouvernance aux antipodes de l’orthodoxie

On ne peut aucunement nier le courage du Président Abdoulaye Wade. Il a su dirigé et gouverné le Sénégal de mains de maître. Le poids de l’âge, pour reprendre M. Idrissa Seck, l’a poussé, par moment, à gouverner, de manière, pas convenable car, faut-il, le rappeler, il est arrivé au pouvoir à l’âge où Senghor, lui-même, le quittait, c’est-à-dire, à soixante-quatorze (74) ans.

Il a fait de son fils, le meilleur des Sénégalais. Rappelez-vous cette phrase magistrale : « Karim, je dirai à ta mère que tu as très bien travaillé ». Ce même fils occupait de gigantesques et juteux portefeuilles ministériels au point où d’aucuns l’appelaient ministre du Ciel et de la Terre. Suivez bien mon regard.

Le naufrage du bateau le Diola pire que celui du Titanic a constitué un passif lourd. Peindre les édifices publics aux couleurs du PDS (parti au pouvoir), la patrimonialisation du pouvoir, la volonté manifeste d’une dévolution monarchique ont été, entre autres, parmi les signes avant-coureurs d’une gouvernance pas du tout catholique.

A un moment donné, a pu assister à ce qu’on appellerait la scandilisation des banalités et la banalisation des scandales : Modou Lô et Balla Gaye, deux lutteurs qui se regardaient en chien de faïence, convoqués au Palais présidentiel et récompensés à hauteur de millions. C’est tout simplement absurde ! On entendait des observateurs et analystes politiques comme Yora Dia, Bababar Justin Ndiaye dans ses lasers du Lundi. Tous les intellectuels de l’époque étaient sur le pied de guerre jouant le rôle qui leur incombe naturellement.

De ces situations susmentionnées, les espoirs nourris étaient, à demi, brisés.

B-Conduisant à un espoir, à demi, brisé

Je reprends une expression de mon professeur de français de la seconde. Parlant des Indépendances, il estimait qu’ « on a vu notre espoir naître et se briser en même temps ». Tout simplement, parce qu’après le départ du colon, certains gouvernants ont instauré un régime dictatorial et ont agi, encore pire que le colonisateur dont les agissements avaient provoqué des révoltes de toutes parts, en même temps. En effet, dans certains Etats, il y avait la dictature, le système du parti unique, l’usurpation du pouvoir, le népotisme, la corruption, la dissimulation, l’hypocrisie, le mensonge et le vol. (Cf. introduction) Loin de moi, l’idée d’assimiler la gouvernance de l’ex Président à un régime dictatorial auquel je prête tous ces maux suscités, mon intention est, tout simplement, de montrer que M. Abdoulaye Wade a déçu plus d’un, à certains égards et, a fait sourire plus d’un, à d’autres égards. D’ailleurs, c’est ce qui lui avait permis de briguer un second mandat et une tentative vaine d’un troisième. « Celui qui fait son devoir n’a pas besoin d’être remercié ». En ce sens, apporter le salut au Sénégal était dans ses attributions les plus hautes. Pas besoin de le caresser dans le sens des poils pour cela. Ce sont les choses moins bonnes qui nous intéressent.

Quand, il a amorcé le processus de dilapidation des ressources publiques, d’impunité, l’espoir nourri par le peuple et qui fondait son élection s’évanouissait. Les écrivains, sur le pied de guerre, ne rataient pas l’occasion de tirer à boulets rouges sur lui et sa gouvernance. On se rappelle les enregistrements audio de Souleymane Jules Diop sur seneweb, ses pamphlets, les productions de Abdou Latif Coulibaly, un journaliste d’investigation, qui usait et abusait de la satire vis-à-vis du régime libéral, celles de Yakham Mbaye et de Madiambal Diagne et j’en passe. Joseph GaÏ Ramaka, à l’entame de son documentaire, « Et si Latif avait raison », s’inspirant de l’ouvrage d’Abdou Latif Coulibaly, Wade, un opposant au pouvoir – l’alternance piégée ?, s’interrogeait : Que restent-ils des rêves nourris au soir du 19 Mars 2000 ? Que reste-t-il de cette victoire conquise pas à pas souvent au prix d’immenses sacrifices, mais aussi de persévérance, de calme et de lucidité de tout un peuple ? Les intellectuels, de tous bords, ont fustigé cette gestion pas du tout orthodoxe. Le meurtre du vice-président du Conseil Constitutionnel, froidement assassiné en 1993, a assez marqué les esprits. Le 26 février 2002, le Président demande la libération des meurtriers de Me Bababar Seye. La fameuse loi d’amnistie dite loi Ezzan du nom du député Ibrahima Isidore Ezzan. Tout a été fait pour épaissir le mystère autour de l’affaire. L’arbre de la gouvernance n’a pas tenu la promesse des fleurs du « Sopi ». Au regard de l’engagement des intellectuels et au vu de leur détermination manifeste, professer le flottement et le somnambulisme de l’intelligentsia sénégalaise relèverait, de ma part, d’une pure invention, défaut d’un citoyen observateur et averti. Ce qui est clair c’est qu’elle avait fait ce que souhaitait Aimé Césaire : « se ceindre les reins comme un vaillant homme ». En gros, il y avait un bouillonnement intellectuel. Tous ont participé à son départ du pouvoir avec le projet : « tout sauf Wade ». C’est cela qui a amené M. Macky Sall au pouvoir. Son arrivé a coïncidé avec l’enrôlement de presque toutes les couches de la population. Son exercice du pouvoir ne paraît pas retrouver l’assentiment des populations et des intellectuels qui, par le fait des occupations et préoccupations quotidiennes, doublées d’une gouvernance quasi ubuesque, manifestent une timidité camouflée à la fin.

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II-…à une timidité intelligemment et astucieusement camouflée à la fin.

Sous M. Macky Sall, on assiste à un régime que certains considèrent comme étant pire que celui de M. Abdoulaye Wade. Ses promesses électorales, ses engagements, devrais-je dire, restent sans suite comme pour dire, à l’exemple de l’ancien Premier ministre israélien, Golda Meir : « J’ai fait des promesses mais je n’ai pas fait la promesse de tenir mes promesses ». En ce sens, l’intelligentsia sénégalaise, gagnée par les occupations et préoccupations quotidiennes, se fait de plus en plus absente. Il s’y ajoute le fait d’une gouvernance que je qualifie d’ubuesque, les cantonnant à un silence presque complice.

A-Des occupations et préoccupations quotidiennes de l’intelligentsia sénégalaise

Répondant à une question que m’a été posé un ami dans le cadre de ses travaux de recherches sur le faible engagement des jeunes en politique, j’avais pu relever trois (03) raisons. La première est relative au manque de courage de certains jeunes qui ont surtout peur de leurs idées et principes. La deuxième est d’ordre générationnelle : les « vieux » s’arcboutent aux sphères de décision et ne daignent pas laisser la place aux jeunes. La dernière, celle qui m’intéresse le plus ici, tient au fait que les problèmes quotidiens ne laissent pas le temps et l’occasion de s’occuper des affaires de la cité. On est trop submergé de difficultés et, comme j’ai l’habitude de la dire, le développement est d’abord personnel avant d’être endogène et collectif.

Aujourd’hui, ceux-là qu’on appelle les intellectuels, pour la plupart du moins, n’ont d’autres buts et visées que de s’occuper de problèmes leur concernant, à quelques exceptions près. Les quelques écrivains se soucient actuellement de ce qui va nourrir leurs familles. Les quelques observateurs avertis cherchent, en permanence sans relâche, le pain au quotidien et s’attèlent aux préoccupations journalières. En gros, les intellectuels sont, aujourd’hui, partagés entre le désir de sortir de leur réserve en dénonçant, par des mots, les maux qui gangrènent notre société avec un manque à gagner et le fait de se cantonner à leur profession en investissant et en glanant çà et là des dividendes. Voilà le constat qui semblerait à un flottement. Tout de même, d’autres poursuivent leur but qui est celui de lanceur d’alerte avec une fréquence quelque peu irrégulière.

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Si à ces motifs, on y ajoute la gouvernance qui ressemble à celle d’Ubu le roi, par son caractère comiquement cruel et cynique, la timidité intelligemment et astucieusement camouflée ne peut que se marquer davantage.

B- Une gouvernance presque ubuesque

Ubu roi est une pièce de théâtre d’Alfred Jarry. Il s’agit de farce mêlée de provocation, d’absurde, de satire, de parodie et d’humour gras. Ubu assassine le Roi Vanceslas et prend le pouvoir et fait tuer les nobles. Il disait ceci : « j’ai l’honneur de vous annoncer que, pour enrichir le royaume, je vais faire périr tous les nobles et prendre leurs biens ». Ubu incarnait tous les vices les plus primaires avec une cruauté enfantine. C’est le symbole de la cupidité des hiérarchies politiques, l’absurdité de vouloir toujours tout : « encore une fois, je veux m’enrichir, je ne lâcherai pas un sou ». Bien qu’il soit arrivé au pouvoir de façon démocratique, le Président Macky Sall exerce une politique que je n’ai vue nulle part dans le monde. Sans toutefois l’assimiler à Ubu le roi (parce qu’étant démocrate jusqu’aux bouts des ongles), mon objectif est de montrer les dérives du pouvoir qui devraient permettre les uns et les autres à les fustiger. Le pays tel qu’il est gouverné pousse à avoir une attitude pusillanime. La presse qu’on considère comme le quatrième pouvoir est presque muselée, les potentiels opposants sont freinés, les quelques autres observateurs et intellectuels enrôlés comme ce qu’avait fait le Président L. S. Senghor, c’est-à-dire la cooptation (fait d’inclure dans une structure d’autres membres avec l’avis des uns qui la composent) stratégie idéologiquement enrobée par la nécessité de réaliser l’unité nationale par l’unité partisane.

En cela, l’intelligentsia sénégalaise n’honore pas la posture qu’on attendait d’elle, à quelques exceptions près. L’inquiétude et la peur (la peur des représailles) de subir les affres du régime la cantonnent dans une posture de neutralité et de torpeur indescriptibles. Le courage qui animait d’autres auteurs, d’ailleurs, lui manque. On se souvient de ces phrases magistrales : « Honte à qui chante pendant que Rome brûle ». « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouches, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ». Si l’on attribue la première citation à Alphonse de Lamartine, écrivain et homme politique qui a participé à la Révolution de 1848 en proclamant la Deuxième République suite à la bataille contre la Monarchie de Juillet, la deuxième citation a été prononcée par Aimé Césaire comme pour être l’étendard des dominés sous la colonisation. C’est de cela qu’on attend des intellectuels qui doivent sortir de leur mutisme.

In fine, l’on dira que, selon les époques, les circonstances ainsi que les contextes, il s’est agi, soit, d’engagement exprimé férocement de manière exaltante, soit de puritanisme dissimulé de façon déchirante. Force est, cependant, de constater, qu’à l’heure où l’on parle, on se rapproche plus du flottement et du somnambulisme, sans les toucher dans leur fond.

Mamadou Ibra Kane, sans sa chronique d’hier dit ceci : « De 1960 à 2017, que de rendez-vous donnés ! Que de rendez-vous manqués ! Que de rêves brisés ! »

Il urge de faire savoir que malgré cette situation pas du tout reluisante, çà et là, on voit des jeunes intellectuels, dans le secret des réseaux sociaux, qui jouent un rôle d’alerte et sont beaucoup plus vigilants quant à la gestion de notre Etat. Je pense à Abdou Aziz Ba, à Ben Diallo blogueur….Ceux-là redorent quelque part, sans toutefois, en abuser, le blason de l’intelligentsia sénégalaise (Pardonnez la faible place que je vous accorde, mesurez-en la teneur).

Ch. A. L. Fall, étudiant de droit à l’GB

Falllahat319@gmail.com

77 693 56 37

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