Ces derniers jours, diverses déclarations et analyses ont attiré l’attention sur les soi-disant réalisations des cinq ans de mandat du président de la République. Certaines d’entre elles émanent, curieusement, d’intellectuels censés disposer, plus que tout militant de base ou citoyen «ordinaire», du savoir, des compétences et des attributs nécessaires pour appréhender, avec la distanciation, l’objectivité, la cohérence et surtout l’honnêteté dans le raisonnement que cela requiert, toute la réalité vivante.
Malheureusement, nous avons été médusés d’entendre le porte-parole du parti présidentiel s’exclamer, pastichant en cela la célèbre phrase du Président Wade : «Macky, je dirai au Peuple que tu as bien travaillé.» Au-delà de l’incongruité et surtout de la légèreté d’une telle sortie sur un sujet aussi sérieux, ne serait-ce qu’au regard de l’angoisse des populations, le porte-parole de l’Apr ne sait-il pas qu’à la différence de la mère de Karim Wade, confortablement installée au Palais présidentiel, le Peuple sénégalais est bien placé – et sans doute mieux que lui – pour savoir si le Président Sall a bien travaillé et s’il a amélioré son vécu quotidien, en apportant les réponses appropriées à la demande sociale et en satisfaisant ses attentes ? Quelle maladresse de communication !
L’on a aussi entendu un professeur de sciences politiques se risquer, sous prétexte d’évaluation des politiques publiques, à une analyse économique pour le moins singulière. Il a prétendu, notamment : que ce n’était pas «en un coup de bâton magique que le Président Macky Sall allait régler, en un temps record, les problèmes des Sénégalais», qu’il fallait «laisser le temps au temps», que «les gens sont tellement pressés et veulent avoir de très bons salaires sans travailler», que «les grands créateurs d’emplois, c’est le secteur privé, or le secteur privé au Sénégal est très frileux ; c’est un secteur qui à la fois veut attendre tout de l’Etat et veut profiter de l’Etat», que «le secteur privé doit accompagner l’Etat dans son effort de modernisation de l’économie» ; etc.
Pourtant, l’on ne peut s’empêcher d’attirer l’attention du professeur sur une contradiction dans ses laborieux efforts de dédouanement du régime, lorsqu’il affirme : «On doit également instaurer une culture de l’évaluation. Chaque étape doit être évaluée avant d’en entamer une nouvelle.» Aussi, une évaluation froide et objective sur la base des promesses qui avaient été formulées et des programmes qui avaient été élaborés n’est-elle pas de mise aujourd’hui, au terme des cinq ans d’un mandat présidentiel qui était, au demeurant, parti pour être un quinquennat ? Le besoin, ressenti par les citoyens de faire un rapprochement entre les réalisations et les promesses faites et objectifs définis, n’est-il pas naturel ?
Le chef de l’Etat lui-même ne s’y est pas trompé lorsqu’il a fait un bilan des réformes engagées, lors de l’avant-dernier Conseil des ministres du mercredi 29 mars, en soulignant :
la mise en œuvre de 98% des innovations introduites dans la nouvelle Constitution à la suite du référendum du 20 mars 2016 ;
son engagement à améliorer le pouvoir d’achat des Sénégalais, leurs conditions de vie et leur bien-être de manière générale, invitant le gouvernement à poursuivre et à intensifier les réalisations d’envergure et les actions déterminées dans tous les secteurs économiques et sociaux ;
et l’impératif d’assurer le déploiement du Plan d’urgence pour l’emploi des jeunes «en partenariat avec le secteur privé, dont la place dans l’exécution de la commande publique et le développement économique doit être significativement renforcée».
Au terme de ces cinq années d’exercice du pouvoir, il n’y a donc pas meilleur aveu d’immobilisme, sur le plan économique, que de telles déclarations d’intention ! Des déclarations qui corroborent, involontairement certes, les observations critiques que n’ont cessé de faire les observateurs avertis.
Sur le plan institutionnel, l’assertion selon laquelle 98% des réformes introduites par la nouvelle Constitution auraient été traduites dans notre arsenal juridique est pour le moins erronée. En effet, depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle Constitution, seuls les textes d’application concernant cinq points sur les quinze du projet présidentiel de référendum, soit 33% et non 98%, ont été pris et promulgués ; à savoir : la durée du mandat présidentiel, la mise en place du Hcct, l’élargissement de la composition de l’Assemblée nationale, la réorganisation du Conseil constitutionnel et la révision du Code électoral. Sans doute, a-t-on voulu parler de 98% de ces 33% ?
Curieusement – et dans la passivité la plus complète des alliés de la coalition Benno bokk yaakaar – aucun des textes d’application relatifs aux différentes autres dispositions constitutionnelles n’a été pris à ce jour, alors que les bases d’un jeu politique apaisé et d’une institution parlementaire moderne, disposant d’un cadre rationalisé, auraient dû être jetées avant ces prochaines élections législatives. Ces dispositions concernent : la modernisation du rôle des partis politiques dans le système démocratique, le financement des partis politiques, le renforcement des droits de l’opposition et la définition d’un statut de son chef, et enfin l’élargissement des pouvoirs de l’Assemblée nationale en matière de contrôle de l’action gouvernementale et d’évaluation des politiques publiques.
Pour toutes ces raisons, les thuriféraires du régime devraient se garder de parler de «célébration des cinq ans de l’accession du Président Macky Sall au pouvoir», car les populations ne sont pas dupes et ne sauraient être «suggestionnées».
Au terme d’une période coïncidant avec ce qui aurait dû être la durée du mandat actuel, pas grand-chose n’a été réalisé au regard des promesses, qu’il s’agisse de la satisfaction de la demande sociale, de la lutte contre le sous-emploi, de la promotion d’une nouvelle gouvernance «sobre et vertueuse», ou du respect du slogan «la patrie avant le parti». Bien au contraire, la captation de ressources financières extérieures disponibles en abondance, ainsi que l’utilisation de pseudo «fonds politiques» exorbitants, ont servi, par-delà la réalisation de gros projets non prioritaires, voire d’utilité douteuse, à enrichir un clan, à entretenir une clientèle, à corrompre des fonctionnaires-clés dans le dispositif judiciaire et/ou électoral et à distribuer des prébendes à des compatriotes considérés encore aujourd’hui comme de «grands électeurs».
Mohamed SALL SAO
Membre fondateur de la Plateforme «Avenir, Senegaal bi nu bëgg»
Président de la Commission Etudes et Stratégies