Pourrait-on reprocher à la presse sénégalaise de se faire l’écho de dossiers judiciaires en cours ou de divulguer des informations d’une bonne fraîcheur parce que simplement leur procédure vient d’être entamée ? Surtout qu’un flot d’informations sur la question de la reddition des comptes, à charge appelée « traque des biens mal acquis », a très souvent barré la «Une» de la presse quotidienne aux premières heures de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) juste après sa réactivation par le président Macky Sall ?
Nous avons même vu des quotidiens paraître avec les mêmes contenus au début de cette « traque ». Ne parlons pas d’un même entretien reproduit dans différents journaux avec la signature de différents journalistes. Encore que nous avons très récemment entendu l’édile de la ville de Dakar, Khalifa Sall, et ses affidés s’en prendre à la presse pour publication de nouvelles assimilables, à ce stade de la procédure, à du « Confidentiel défense ».
A l’instar d’un François Fillon, candidat de la droite et du centre à la présidentielle française du 23 avril prochain, empêtré dans des ennuis judiciaires qui l’éliminent potentiellement au premier tour, et qui accuse le chef de l’Etat français d’instrumentaliser son « dossier » et de le mettre sur la place publique, la presse sénégalaise a très souvent fait l’objet d’accusations sur son abdication devant les pouvoirs publics.
La presse a bon dos d’autant plus que les mêmes récriminations portées à son endroit ont été faites au procureur de la République pour « violation du secret de l’instruction » après une récente sortie publique. Nous pouvons affirmer sans ambages qu’elle joue son rôle de se coller à l’actualité, de rapporter des faits qu’elle n’invente pas, de relayer le développement de l’info…
Ces accusations contre cette presse, vieille de plus d’un siècle, nous ramènent à une simple interrogation : la presse sénégalaise est-elle libre ? A-t-elle encore un projet éditorial qui constitue et définit sa trame et son déroulé quotidien ? Nous écartons d’emblée la liberté au sens de « liberté d’expression » et son corollaire « liberté de la presse » garantie par la Constitution et qui existe réellement au Sénégal.
A y voir de plus près, l’on serait confronté à un « excès » ou à un « trop plein » de liberté qui ferait que le pays ne vive que de contradictions stériles relayées par des médias qui auraient perdu de leurs capacités de discernement. Ou encore de leur propension à apporter une plus-value dans l’information proposée aux populations. Bref de leur superbe.
Il nous paraît évident qu’il n’existe pas une presse écrite, parlée ou filmée et même électronique qui dispose d’une ligne éditoriale qu’un de ses employés pourrait, par exemple, brandir pour évoquer la « clause de conscience » et dire qu’elle s’en démarque. Il faut souligner, s’agissant des médias dits de service public (RTS, Le Soleil, APS) cette tendance à se faire l’écho plus que disproportionné des activités gouvernementales toujours dans le bon sens.
Et jamais de critiques négatives de l’action gouvernementale. Et pour les autres, il faut simplement questionner l’actionnariat dans le capital, les accointances avec toutes sortes de pouvoirs, politique notamment, pour mieux comprendre les prises de position en faveur ou en défaveur d’une chapelle.
Il serait également juste de dire que le questionnement sur l’indépendance de la presse doit être aussi posé en d’autres termes : qu’est-ce que cette même presse a encore fait pour pousser les autorités au respect et au rappel de leurs engagements : réduction du mandat présidentiel en cours à cinq ans, limitation du gouvernement à 25 membres (effective au premier gouvernement donc possible à pérenniser), aucune protection à apporter à quiconque dans la reddition des comptes, bonne gouvernance…
Tout cela pour dire que pour nous autres professionnels, nous assistons à une faillite des médias non pas seulement dans le contrat moral signé avec les populations qui ont le droit d’être informées « juste et vrai », mais surtout dans les assauts et estocades quotidiens reçus. On n’a jamais aussi délibérément limogé ou licencié de journalistes que ces dernières années.
De nombreux groupes privés l’ont fait : Le Quotidien, 2S TV, Global Médias Communication (GMC, fusion entre Nouvel Horizon et le Témoin). Des groupes dont les actionnaires majoritaires ou promoteurs seraient proches des tenants du pouvoir actuel. Reste le Groupe Futurs Médias dont le propriétaire a la qualité de ministre de la République.
Il reste alors une autre presse qui a l’air non pas d’apporter la plus-value attendue mais de s’opposer parce que n’étant pas dans les grâces du pouvoir. Il convient toutefois de relever le professionnalisme qui habite et irrigue la production de la plupart des confrères.
Le mal est donc dans le montage des organes, entreprises de presse (la spécification est importante). A la décharge des autorités actuelles, l’on a très souvent octroyé, sous le régime de Wade, des fréquences radio et télé à des promoteurs qui ne respectaient aucun des critères édictés. Le métier de journaliste étant encore très attractif, les nombreux aspirants qui tapent à la porte de la profession n’ont pas toujours les qualités requises.
Nous assistons, impuissants, à un phénomène inédit : de puissants médias manipulés par des mains inexpertes qui se révèlent incapables d’inviter les personnes-ressources indiquées sur un plateau de télévision…Et cela, c’est un drame.
Ibrahima Khaliloulaye Ndiaye
SG du SYNPICS