Permettez que ma modeste personne se prononce sur un sujet brillamment développé par de hautes personnalités du secteur de l’éducation et de la formation de notre pays. Ces voix plus autorisées ont bien attiré l’attention sur l’importance et l’intérêt que doivent porter les peuples africains pour se libérer des liens des nouvelles formes d’esclavage et de colonisation. Ce débat, enclenché par voie de presse, devrait susciter de nombreuses réactions de la part des intellectuels de ce pays et continuer ou approfondir les réflexions pour aboutir à des résultats bénéfiques pour notre système éducatif en général. N’oublions jamais que la transformation de notre société en une société de croissance économique stable et durable, en une société de paix et de développement culturel harmonieux et stable, passera forcément par l’éducation et la formation de nos enfants. A ce titre, toutes les populations africaines et sénégalaises en particulier sont interpelées.
Si je n’ai pas pu me retenir devant l’évocation de ce sujet, c’est parce que j’y ai travaillé pendant 10 ans. Ce, dans ma modeste carrière de 37 ans au service du développement de mon pays en qualité de fonctionnaire de l’État. Je viens juste partager cette expérience qui m’a amené à représenter mon pays et les pays de la zone francophone au sud du Sahara dans une instance panafricaine qui regroupe plus de 30 États, tous préoccupés par le devenir des sciences et de la technologie dans leur système éducatif et de formation.
Il faut reconnaître que le gouvernement japonais, à travers la Jica, que nous saluions au passage, ne semble pas avoir la démarche des « amis » telle que évoquée par le Pr Abdou Sène, directeur de l’Enseignement supérieur privé. En effet, depuis les années 2003, ce gouvernement a initié et impulsé en Afrique un grand projet, dont le siège est au Kenya, pour accompagner les pays dans la promotion et l’amélioration de leur système d’enseignement des mathématiques, des sciences et de la technologie. Ce projet s’appelle Smase Wecsa et le Sénégal en est membre. Il a un centre international de formation des formateurs dans les disciplines de mathématiques, des sciences et de la technologie (Cemastea) qui accueille annuellement des centaines d’auditeurs pour ces formations et dont notre pays a toujours bénéficié d’un quota respectable. Smase installe aussi dans les pays membres des projets locaux pour booster et apporter des améliorations sensibles dans les approches pédagogiques d’enseignement des disciplines scientifiques et techniques. Notre pays en a bénéficié et continue d’en bénéficier. D’ailleurs, le Sénégal a eu à organiser la Grande conférence internationale annuelle, à Saly Portudal, en 2006, sous la présidence du ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur avec la participation de tous les acteurs et Partenaires techniques et financiers (Ptf) de l’époque. Les résultats des travaux sont encore disponibles, mais n’ont jamais été exploités.
Le financement du Smase est alloué par le gouvernent du Japon à travers les Ticad et dont les rencontres réunissent les chefs d’État africains. La dernière rencontre en date s’est tenue en Afrique et notre pays y a pris part.
Mais pourquoi ai-je dis que la démarche japonaise était différente ? C’est simplement parce que Smase-Wecsa s’est muée en Smase-Africa. L’accompagnement japonais a évolué vers une autonomisation des pays africains membres. Après les avoir accompagnés pendant 10 ans, il était logique de les laisser s’exercer tout en ayant un œil sur leur capacité à conduire eux-mêmes leur destin. Aujourd’hui, on est dans cette phase de Smase-Africa où les pays africains doivent relever le défi de la réussite dans cette entreprise de délivrance des emprises néfastes de néo dominations industrielles et numériques.
La question posée par le Pr Sène trouve toute sa quintessence dans l’approche holistique du sujet que nous devons en avoir. Nous ne pouvons pas développer une démarche isolée sans les autres pays du continent. Les millions de ressources de haute qualité de la diaspora peuvent être convoqués et mis à contribution, mais aussi une part importante doit être accordée aux nationaux qui doivent jouer les premiers rôles dans cette affaire. Ces derniers doivent se concerter régulièrement et adopter des programmes pédagogiques harmonisés avec leurs homologues africains afin de les mettre en œuvre ensemble et de les évaluer constamment.
C’est à ce prix que le combat aura plus de portée et d’efficacité. Mais, comme disait l’autre, y aura-t-il la volonté politique qu’il faut ? En tout cas, pour ce qui est du Smase, le Sénégal manque toujours à s’acquitter correctement de sa cotisation annuelle symbolique alors qu’il bénéficie de tous les avantages liés à sa participation comme tous les pays membres. Je crois quelque fois qu’il faut faire attention à l’image de souveraineté de son pays.
Certains décideurs, sur ce plan, ne semblent pas avoir un bon comportement de citoyen responsable et fier de son pays. Sinon, comment peut-on expliquer le refus d’abriter au Sénégal un Centre international de formation des formateurs en mathématiques, sciences et technologie à l’image du Cemastea pour la zone francophone ? S’agit-il d’une négligence, d’irresponsabilité citoyenne ou de manque de volonté politique ? En tout cas, ce serait tout sauf l’ignorance de toute l’importance et de tout le bénéfice que ce projet pourrait apporter à nos enseignants et à nos apprenants à tous les niveaux.
C’est pourquoi la volonté politique, concrétisée et matérialisée par des actions d’envergure visibles et évaluables, est d’une extrême nécessité pour réussir cette mutation à laquelle nous invitent nos deux éminents professeurs. Il faut aussi ajouter que nos prétendants « gestionnaires assermentés » de notre système éducatif sont extrêmement jaloux et réfractaires à tout changement, mutation ou évolution de paradigme qui remet en cause leur avantage lié à leur posture dans le système éducatif et de formation. Raison pour laquelle les blocages sont très nombreux et se dresseront toujours devant les rénovateurs qui chercheront à actualiser et moderniser le système.
La suggestion du Pr Sall au sujet du baccalauréat unique est pertinente et géniale ; mais pourra-t-on la réaliser dans ce Sénégal inféodé par un système colonial très ancré dans des habitudes cristallisées, avec des souteneurs inconditionnels ? Cela me surprendrait agréablement. Toutefois, l’intérêt de tout cela est de poser le débat et de susciter la réflexion. Je voudrais humblement suggérer quelques recommandations sur le sujet :
• pour renverser la tendance dans les filières, il faudra avoir l’audace de modifier ou revoir complètement les programmes scolaires avec l’accord de tous les acteurs. Une approche participative et inclusive pourrait permettre de faire un bon travail avec des résultats de qualité dans les meilleurs délais ;
• une concertation régulière entre les responsables du secteur de l’éducation et de la formation (éducation national, enseignement technique et formation professionnelle et enseignement supérieur et de la recherche) pour harmoniser leur position et leurs actions, en vue de mettre en œuvre, suivre et évaluer la vision et la volonté politique du président de la République, maintes fois exprimées à toutes les occasions appropriées depuis son accession à la magistrature suprême (discours au Concours général, discours inaugural des universités, etc.) ;
• organiser toutes les structures existantes qui s’activent dans le domaine et les soutenir par des moyens logistiques et financiers (associations nationales, conseil national, etc.). Une convergence de leurs interventions respectives conduirait à une synergie d’actions plus efficace et efficiente pour des objectifs clairs et précis qu’on leur aurait assignés. Leur encadrement et leur accompagnement s’avèrent nécessaires et même obligatoires de la part des institutionnels si on désire atteindre des objectifs dans les meilleures conditions et dans les meilleurs délais ;
• aller résolument vers l’adoption et la pratique de nouvelles méthodes pédagogiques d’enseignement de ces disciplines de manière à ne pas décourager ou désintéresser nos apprenants à tous les niveaux. Cela sera accompagné par la mise en place de puissants et réels leviers de motivation des enseignants et des apprenants.
Je termine mes propos en remerciant encore les professeurs Abdou Sène et Issa Sall (recteur de l’Université du Sahel), de nous avoir invité à un débat pour trouver les voies et moyens de conduire notre pays à une véritable croissance économique durable et sans tromperie. Tout ce qu’ils ont évoqué sur les nouvelles donnes du temps, avec les découvertes pétrolières, gazières et minières, sont de réels challenges pour notre jeunesse et interpellent au premier chef les acteurs de l’éducation et de la formation. Rester à ne rien faire ni entreprendre serait équivalent à une haute trahison.
J’exhorte ainsi tous les acteurs du domaine à se prononcer sur la question. En effet, le sujet est hautement d’actualité et appelle à une prise de conscience et une préparation psychologique aux éventuels changements de données politico-économiques qui vont bientôt s’imposer à notre environnement immédiat et au quotidien. Il faut particulièrement préparer la population et les jeunes en priorité pour leur permettre de bien s’adapter à de nouvelles règles de jeux, pour tendre à une croissance économique et numérique plus complexe et plus étendue. De la diversité d’opinions peut jaillir de bonnes idées qui conduisent au progrès et à la réussite pour notre société, mais aussi pour toute l’humanité.
Adama FAYE
Coordonnateur « Cabinet A.D.M. Consulting »
Dakar-Sénégal