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La Refondation Du Droit Financier Des Collectivités Locales: L’autre Réforme

Après l’entrée en vigueur de la loi n° 96-06 du 22 mars 1996 portant Code des collectivités locales et de celle de la loi n° 2013-10 du 10 décembre 2013 portant Code général des collectivités locales (CGCL), aucune réforme n’eut lieu en ce qui concerne le droit public financier des collectivités locales. Ainsi, avec le recul, on peut dire que la réforme de la décentralisation a négligé, à ce jour, la règlementation financière des collectivités locales.

La vérité est que tous les textes d’application du CGCL relatifs à la matière financière ne sont pas encore édictés, ou, s’ils existent, il faut aller les découvrir « dans un tel enchevêtrement qu’il est pratiquement impossible à une personne non initiée de ne pas s’y perdre »[1]. De plus, plusieurs dispositions des textes en question sont devenues surannées, parce qu’édictées sur des conceptions devenues désuètes.  En bref, il n’existe aucun texte qui codifie l’ensemble des règles de la comptabilité publique applicables aux collectivités locales.

Voilà pourquoi dans une étude intitulée « contribution à la réforme de la décentralisation » publiée dans la presse sénégalaise et dans la Revue L’administrateur n° 3 de mai 2016, je concluais, entre autres points, que « tous les textes dérivant du Code (devaient) être élaborés, outre la révision de tous ceux dont dépend l’application du Code ».

La présente contribution expose quelques considérations à propos des modalités d’application des dispositions de l’actuel CGCL qui font défaut, ce qui est une source d’insécurité juridique dans l’exercice des mandats locaux.  Les développements qui suivent s’intéressent aux articles 10, 182, 189 et 201 à 203 du CGCL et accessoirement à l’article 12 du même Code.

L’article 10 : les conditions de préparation, d’adoption, d’exécution et de contrôle de l’exécution du budget des collectivités locales doivent être précisées

L’article 10 dispose : « La préparation, l’adoption, l’exécution et le contrôle de l’exécution du budget des collectivités locales s’effectuent dans les conditions prévues par le présent code et dans le respect des règles de la comptabilité publique ».

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Je me demande quels sont les textes qui organisent à l’heure actuelle les règles de la comptabilité publique applicables aux collectivités locales. Certaines règles budgétaires et comptables sont prévues par les articles 181 à 219 du CGCL ; mais force est de constater que ces dispositions légales ne sont pas correctement traduites par des textes d’application.

Les articles 182 et 189 : la nécessité d’un décret fixant les règles particulières de gestion budgétaire et comptable des collectivités locales

L’article 182 et l’article 189 prévoient respectivement, pour la ville et pour chaque collectivité locale, que le budget est présenté « dans les conditions qui sont déterminées par les décrets relatifs à la comptabilité publique ».

La rédaction de ces deux articles s’inspire de celle de l’article 244 du Code de 1996. En employant le pluriel, les rédacteurs de ce Code renvoyaient certainement aux décrets :

– n° 66-458 du 17 juin 1966 portant règlement sur la comptabilité de l’État dont toutes les dispositions sont abrogées depuis 2003 par le décret n° 2003-101 du 13 mars 2003 portant Règlement général sur la Comptabilité publique (RGCP) et

–  n° 66-519 du 04 juillet 1966 portant régime financier des collectivités locales, qui bien que non explicitement abrogé, contient plusieurs dispositions devenues caduques.

Le RGCP de 2003 s’appliquait à l’État et aux collectivités locales. Toutefois, l’article premier dudit décret donnait la possibilité aux collectivités locales d’y déroger « sous réserve de règles particulières les régissant ».  L’actuel RGCP (décret n° 2011-1880 du 24 novembre 2011) a maintenu la possibilité de fixer des règles particulières régissant les collectivités locales. Mais, il n’a jamais été pris à ce jour un décret fixant les règles particulières régissant les finances des collectivités locales.

Les articles 201 à 203 : les dépenses obligatoires ou facultatives et quid des dépenses interdites ?

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Selon l’article 201, les dépenses de fonctionnement des collectivités locales sont obligatoires ou facultatives. Le CGCL distingue deux catégories de dépenses obligatoires : les dépenses que la loi impose expressément aux collectivités locales (article 202) et celles induites par les transferts de compétences (article 203). Ainsi, toutes les dépenses qui n’entrent pas dans celles rendues obligatoires par les articles 202 et 203 sont à considérer comme des dépenses facultatives. En énonçant (article 204) qu’« une dépense facultative ne peut être inscrite au budget que lorsqu’elle présente un caractère d’intérêt local », le législateur donne aux collectivités locales le pouvoir discrétionnaire d’apprécier les dépenses à considérer comme autorisées par rapport à celles qui sont prohibées (c’est-à-dire des dépenses qui ne présentent aucun intérêt local ou qui sont expressément interdites par la loi). Ne serait-il pas nécessaire de préciser les dépenses interdites aux collectivités locales ?

L’absence d’un décret établissant la nomenclature des pièces justificatives des recettes et des dépenses des collectivités locales. Aucun texte ne définit la nomenclature des pièces justificatives des opérations de recettes et de dépenses des collectivités locales : une lacune à combler dans le CGCL qui doit prévoir, en particulier, l’intervention d’un décret pour fixer la liste des pièces justificatives que le comptable de la collectivité locale est tenu d’exiger avant de procéder au paiement.

Une question avant de conclure : le droit à la formation des élus locaux posé par l’article 12 du CGCL est-il une réalité ?

En énonçant que « les élus des collectivités locales ont droit à une formation adaptée à leur fonction », l’article 12 du CGCL consacre un principe essentiel du statut de l’élu local et rend obligatoire la formation des élus locaux.

Je me demande si ces derniers ont une bonne connaissance des différentes responsabilités qui pèsent sur eux au titre des missions qu’ils remplissent au nom de leur collectivité locale et au nom de l’État. Il est donc souhaitable que l’État publie une circulaire qui rappelle les dispositions législatives et règlementaires relatives à la responsabilité administrative, civile, pénale et financière du maire et du président du conseil départemental.

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En l’absence d’une formation adéquate des élus locaux sur les différents types de responsabilités qu’ils encourent, ne nous étonnons pas, à l’avenir, que le juge pénal et les élus locaux « se rencontrent de plus en plus fréquemment (…), souvent dans les cabinets d’instruction, parfois dans les prétoires, toujours sous le regard avide des médias et de ceux qui s’en abreuvent » [2].

Conclusion

Il urge d’anticiper les difficultés qui ne manqueront pas de surgir dans l’avenir, à l’occasion de l’application de certaines dispositions du CGCL. À cet effet, il revient à l’État de prendre tous les décrets, arrêtés, circulaires et instructions nécessaires à l’application correcte du CGCL.

Enfin, il est essentiel de fixer des règles de gestion budgétaire et comptable propres aux collectivités locales mais également de restructurer le CGCL en deux parties : une partie législative et une partie règlementaire, ce qui donnera l’occasion de regrouper dans un seul et même texte l’ensemble des règles budgétaires et comptables régissant les finances des collectivités locales.

 

Mamadou Abdoulaye Sow

Ancien Directeur général de la Comptabilité publique et du Trésor  Ancien ministre

Mamadou Abdoulaye SOW

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