Chassez la Françafrique, elle revient au galop, soutiennent certains très sceptiques quant à la volonté des autorités françaises de mettre un terme à une pratique dénoncée de part et d’autre de la Méditerranée comme étant le principal frein au développement de l’Afrique. Les plus optimistes pensent que les nouvelles dispositions régissant les échanges automatiques d’informations marquent un tournant très important dans l’histoire des paradis fiscaux. Fini le temps où il était possible d’ouvrir un compte bancaire dans certains paradis fiscaux pour dissimuler un bien mal acquis ou de l’argent sale. Fini le temps où il était possible d’avoir une société quelque part dans le monde sans la déclarer au fisc français. On peut maintenant parler de transparence totale sur les comptes bancaires offshore ; ce qui évidemment va fortement limiter les fraudes fiscales et réduire l’utilisation des banques offshore.
Le contrôle à priori exercé sur les futurs membres du premier gouvernement d’Emmanuel Macron avant leur nomination à de si hautes responsabilités, prouve que la France a décidé de franchir le pas pour entrer dans l’ère de la transparence.
Désormais, les citoyens français comme ceux de la plupart des pays occidentaux vont devoir se soumettre à cet exercice qui fait partie intégrante des principes de la bonne gouvernance. Une bonne gouvernance qui s’appuie sur ce qu’il est convenu d’appeler la demande sociale qui associe pression des opinions nationales et surveillance des systèmes de contrôle et de lutte contre la corruption et le recyclage de l’argent sale.
Cette lutte contre les paradis fiscaux, déjà très ancienne, a connu une accélération ces dernières années à la lumière des multiples révélations sur ces pratiques souterraines dont l’Afrique est la principale victime.
La Françafrique est, à cet égard, le cas le plus illustratif des systèmes et des méthodes qui, depuis des décennies, ont plombé le décollage du continent et créé des situations d’instabilité, de luttes de pouvoirs, de conflits larvés et de drames sociaux dans plusieurs pays de l’Afrique francophone.
Objet de toutes les plaintes et lamentations des citoyens français comme africains, sujet de préoccupation des dirigeants de la nouvelle génération, la Françafrique est plus qu’un dinosaure qui dort de sa belle mort, c’est un phénix qui renait toujours de ses cendres. Elle est le socle sur lequel repose toute la stratégie souterraine et occulte de pillage des ressources africaines au profit non pas des citoyens français mais plutôt des banques offshore qualifiées pudiquement de paradis fiscaux. Les citer ici équivaut à en oublier beaucoup tant elles sont nombreuses à travers le monde. Ce qui, au départ, était perçu comme une spécialité des banques suisses est devenu, aujourd’hui, une véritable internationale de détournement et de blanchiment d’argent sale.
Pas moins d’une trentaine de paradis fiscaux ont été répertoriés dans les pays développés : Etats-Unis (Delaware), Luxembourg, France (Monaco), Royaume-Uni (City of London), Irlande, Belgique, Bermudes, Singapour, Hong Kong, Îles Caïman, mais aussi dans des territoires moins connus comme Andorre, Anguille, Antigua and Barbuda, Bahamas, Barbade, Belize, Bermudes, British Virgin Islands (Iles Vierges Britanniques), Brunei, Iles Cayman, Iles Cook, Grenade, Guernsey, Liechtenstein, Maldives, Iles Marshall, Ile Maurice, Montserrat, Nauru, Niue, Panama, Saint Kitts et Nevis, Saint Vincent et les Grenadines, Seychelles, Turks et Caicos, Us Virgin Islands, Vanuatu.
Seul pays africain présent sur cette liste, le Liberia bénéficie-t-il de cette faramineuse manne financière qui, pour l’essentiel, quitte l’Afrique pour emprunter des chemins de traverse ? Rien n’est moins sûr quand on sait que ce pays a encore toutes les difficultés du monde à sortir des affres d’une guerre destructrice pour ses hommes et ses ressources.
Le lourd tribut payé par l’Afrique à l’illicite fiscal
Pourtant, si l’on se fie aux dernières statistiques, l’Afrique valse entre évasion et fraude fiscale. Conséquence : le continent a vu s’évaporer plus de 1000 milliards de dollars américains au cours des cinquante dernières années. 1000 milliards de dollars perdus en cinquante ans du fait de pratiques liées à la délinquance économique et financière qui, en fait, ne profite qu’aux paradis fiscaux. L’évasion et la fraude fiscale sont tellement énormes que le Global financial integrity (Gfi), organisme de recherche et de conseil basé à Washington, qui produit des analyses de haut niveau des flux financiers illicites, a dû tirer la sonnette d’alarme. « L’évasion et la fraude fiscale annuelles imputées aux multinationales en Afrique sont plus importantes que l’Aide publique au développement (Apd) reçue, chaque année, par les pays du continent.
En 2015, le Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites de l’Union africaine et de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique a établi que les flux illicites financiers en provenance d’Afrique étaient de l’ordre de 50 milliards de dollars américains par an, soit le double de l’Apd que reçoivent les États africains des membres de l’Ocde.
Pour les observateurs, si l’aide au développement favorise généralement le commerce extérieur des pays donateurs, l’évasion et la fraude fiscale des multinationales issues de ces mêmes pays participent à la fragilisation des États africains dans la mise en œuvre de leurs politiques publiques. Or, la dépendance à l’aide extérieure crée un asservissement sur les concepts du développement.
La bonne gestion des affaires publiques, combinée avec une politique de recouvrement des impôts effective, efficace et efficiente, permettrait aux États africains de renforcer leurs services publics et de parvenir à construire le « bonheur brut national » de leurs citoyens.
Aide au développement contre argent illégal
Paradoxe des relations Nord-Sud, les flux financiers en direction de l’Afrique subsaharienne, l’Aide publique au développement et les investissements étrangers directs sont, certaines années, inférieurs à la somme des flux financiers illicites. Si l’on en croit Global financial integrity, la plus grande part de ces flux quittant l’Afrique sont constitués par les prix de transfert faussés du commerce international (sur- ou sous-facturation des échanges entres filiales de groupes transnationaux).
Un argument qui confirme la thèse de la fameuse détérioration des termes de l’échange vainement dénoncée par le défunt président Léopold Sédar Senghor qui n’a jamais pu trouver une oreille favorable du côté de l’Occident. Il suffit de comparer la quantité des ressources naturelles et autres tirées de l’Afrique et le niveau des investissements et de la croissance du continent pour se rendre compte de l’ampleur du pillage.
Il est vrai que deux cents ans d’esclavage et trois cents ans de colonisation laissent des traces sinon indélébiles, du moins difficiles à effacer. La Françafrique fait partie de ces marques qui semblent inscrites dans les gènes des relations entre la France et ses anciennes colonies. Il faut donc une véritable révolution des mentalités pour mettre un terme à ces pratiques anachroniques et obsolètes. Imposées par une caste de politiciens et d’hommes d’affaires plus soucieux de leurs comptes offshore que du destin de leurs peuples, ces pratiques ne seront bannies que sous la pression conjuguée, voire concertée, des citoyens des deux continents. C’est sans doute par là que passera l’amorce de ce qu’il sera convenu d’appeler l’Internationale citoyenne. Laquelle n’est rien moins que l’expression de la demande sociale portée par les peuples français et africains qui perçoivent la Françafrique comme un frein à leur stabilité et à leur épanouissement.
La spoliation des ressources africaines et l’immigration clandestine sont, en effet, intimement liées. La fin de la Françafrique marquerait alors la fin de la relation de causalité entre cette mainmise sur l’Afrique par des opérateurs véreux et l’envahissement de l’Europe par les migrants africains.
Mamadou KASSE
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