A l’horizon 2021, l’exploitation pétrolière et gazière devrait débuter au Sénégal.
Cette perspective a ouvert un large débat qui est devenu presque une obsession dans le pays, par la peur de voir notre Peuple tomber dans ce que l’on nomme communément la «malédiction des matières premières», dont le pétrole et le gaz.
Les autorités de l’Etat ont entrepris d’assurer le Peuple par la création d’un «Comité d’orientation pour le pétrole et le gaz» (Cos-Pétrogaz) qui vient d’organiser un colloque international à cet effet, en collaboration avec «l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives » (Itie) à laquelle le Sénégal a souscrit. Le Sénégal a ainsi opté pour une orientation devant lui permettre de disposer de meilleurs atouts pour obtenir des retombées significatives de l’exploitation du pétrole et du gaz à partir de 2021. Mais le maximum de revenus à tirer de cette exploitation est une chose, mais il en est une autre, qui est de définir une stratégie de gestion de cette rente qui n’est pas inépuisable, et qui est extrêmement sensible à la variation des cours mondiaux, à des fins de développement économique et social durable pour éradiquer le chômage et la pauvreté.
C’est dans ce cadre qu’il y a une grande tentation de politique de «transfert de revenus» aux pauvres pour qu’ils sortent du seuil de la pauvreté, comme au Brésil avec la «Borsa Familia», et une politique d’épargne d’une partie de ces revenus sous forme de «Fonds souverains pour les générations futures», à l’exemple des pays arabes du Golfe qui, pour se fructifier, participent à la spéculation financière internationale qui provoque des «crashs boursiers» qui leur sont souvent fatals.
Mais l’expérience récente, avec l’effondrement des cours des matières premières, a montré que cette stratégie de gestion de la rente pétrolière et gazière n’est pas durable, du fait de sa forte dépendance aux lois du marché, qui sont objet de manipulation et /ou de spéculation, suivant les rapports de force entre pays producteurs eux-mêmes, (Opep), entre eux et les multinationales des grandes puissances occidentales, et entre eux et la gestion unilatérale, selon leurs intérêts propres du moment, du dollar qui leur sert de monnaie de change, par les autorités américaines. L’effet dévastateur, chez les producteurs de pétrole et de gaz, de ce virement de conjoncture, a été sans commune mesure sur les acquis sociaux de sortie de la pauvreté, et dans le tarissement des «Fonds souverains», en ressuscitant, dans ces pays, le «syndrome de la malédiction du pétrole et du gaz», comme aujourd’hui au Venezuela, et le «syndrome des déficits budgétaires», comme en Arabie Saoudite.
Ainsi, pour un pays en développement comme le Sénégal, cette politique de gestion de cette rente serait sans commune mesure, dévastatrice. D’où la nécessité d’une autre alternative qu’une approche marxiste peut bien donner.Pour les Marxistes, l’éradication du chômage et de la pauvreté ne peut être un succès durable que dans l’investissement pour développer les forces productives dans les infrastructures et les ressources humaines, pour créer les conditions d’emplois durables et décents, au fur et à mesure de l’élévation de la productivité du travail.
Ces conditions d’emplois durables et décents peuvent être réunies au Sénégal si la rente pétrolière et gazière sert principalement à investir dans les infrastructures routières, dans les transports publics, dans l’énergie, dans les télécoms, dans l’éducation, la recherche et la santé publiques, dans le financement de la modernisation de l’exploitation agricole familiale, en généralisant les «Domaines agricoles communautaires» (Dac), et le financement de petites et moyennes entreprises, organisées en cartels ou en trusts, pour leur modernisation et l’élévation de leurs capacités à produire.
C’est dans ce cadre, que pour les Marxistes, l’élévation de la productivité du travail va générer des plus-values dont une partie de plus en plus croissante va financer l’élévation du niveau de vie et du bien-être des citoyens.
Dans une telle stratégie, un retournement défavorable des cours du pétrole et du gaz peut ralentir le rythme de réalisations des conditions de création des emplois durables et décents, mais ne peut en aucun cas remettre en cause les acquis sociaux des populations qui reposent sur une politique de répartition des plus-values créées par leur travail, et non par la captation de la rente.
Ainsi, au Sénégal, la politique de «Bourse familiale» et la «Couverture maladie universelle», qui financent l’amélioration de la capacité de produire des ressources humaines de qualité, par les familles vivant en-dessous du seuil de pauvreté, en améliorant l’éducation et la santé de leurs enfants, d’une part, et, d’autre part, le Pudc, les Dac, et les subventions en équipements et en intrants agricoles, qui visent à moderniser l’agriculture, peuvent être considérés comme des précurseurs pour cette option marxiste d’utilisation de la rente pétrolière et gazière. Avec cette rente, ces politiques d’amélioration des conditions de création de travail, devraient être portées à une très grande échelle par une option claire de sortir de la pauvreté par la promotion d’emplois durables et décents, et non par un transfert de revenus pour la consommation et le renforcement du «Fonds souverain» existant, le «Fonsis».
Dans ce cadre, il serait nécessaire de procéder d’une part, à la centralisation des participations publiques dans le capital des banques de la place pour faire de la Bnde le bras financier de l’Etat pour moderniser l’agriculture à travers les Dac, promouvoir l’Agro-industrie, et soutenir les Pme/Pmi organisées en cartels , et, d’autre part, au renforcement de la «Caisse de dépôts et de consignation» (Cdc) pour soutenir la Cmu.
Ainsi, le Budget de l’Etat, la Bnde, et la Cdc devraient être les réceptacles de la rente pétrolière et gazière, sous le contrôle de l’Assemblée nationale, du Cos/ Pétrogaz, et sous la surveillance de l’Itie. Le Sénégal peut bien éviter «la malédiction des matières premières».
Ibrahima SENE
Pit/Sénégal