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Le Procès Des 33 Agents De La Senelec En 1998 Ou L’une Des Plus Grandes Injustices Du Sénégal

Le Procès Des 33 Agents De La Senelec En 1998 Ou L’une Des Plus Grandes Injustices Du Sénégal

Une page sombre dans l’histoire du SUTELEC

Le SUTELEC est le syndicat unique des travailleurs de l’électricité, regroupant une partie des agents de la Sénélec. J’en fus partie pour avoir été délégué du personnel, reconduit plusieurs fois et membre du conseil national jusqu’en 1998.

Tout d’abord, prions pour le repos des âmes disparues, qui ont été des acteurs dans cette ténébreuse histoire, les camarades Mamadou Doukouré, Chérif Sané, tombés malades puis décédés avant même son dénouement, Boubacar Dièye, mort tragiquement dans un accident, dans sa voiture qu’il conduisait, récemment Auguste Diop, messieurs Assane Ly, Directeur de la Production de la Sénélec, Elimane Mbengue, en service à la centrale du Cap des Biches au moment de faits, sans oublier M. Adiouma Dione, qui était le chef du Département du Système électrique de la Sénélec, dont le Dispatching était une entité. Je voudrais remercier sincèrement tous ceux qui m’ont assisté durant cette douloureuse épreuve, m’ont soutenu et les braves militants et les personnes anonymes qui ont cotisé chaque mois pour garantir leurs salaires aux détenus et soutenu nos familles dans ces moments pénibles. Rendons grâce au bon DIEU.

L’histoire que je vais vous raconter est authentique et a été vécue par des personnes, qui ne comprennent toujours pas ce qui s’est réellement passé.

Le réveil a été brutal pour beaucoup d’agents de cette société d’électricité ce lundi 17 juillet 1998. Lundi 17 juillet 2017, dix neuf ans après, la plaie ne s’est toujours pas cicatrisée. Moi-même, j’étais loin de m’imaginer ce jour là, ce qui allait m’arrivait. Les habitants de la ville de Pikine qui m’a vu grandir et où j’ai fait mon cycle primaire à l’école 1, qui a marqué mon enfance avaient du mal à accepter ces accusations qui vont suivre. Quand mon grand frère (paix à son âme), aujourd’hui décédé m’appela très tôt ce matin pour me demander ce qui venait de se passer à la Sénélec, parce qu’il aurait appris par la presse l’arrestation de plusieurs militants du Sutélec dont M. Mademba Sock le secrétaire général du Syndicat, ma surprise fut grande et j’étais même intrigué. Je lui répondais tout simplement que j’ignorais tout dans cette histoire et que moi je ne pouvais pas être impliqué puisque ce lundi 17 juillet, je ne me suis pas présenté au travail, étant de repos.

Ce jour là, vers 19h00, revenant d’une séance d’entraînement, mon fils attira mon attention sur une voiture de la police stationnée non loin de ma maison. Je fis vite le rapprochement avec le coup de téléphone de mon grand frère et me rapprocha. A l’entrée de ma maison, je trouvais alors deux policiers en civil. Je leur demandais ce qu’il venait faire et ils me répondirent qu’ils ont reçu des instructions pour venir me chercher. Je leur demandais qui, ils sont venus chercher? Et ils m’affirmèrent : Issa Ndiaye. Il faut signaler qu’ils ont été très corrects et courtois vis à mis de moi, allant même jusqu’à me dire, prenez votre bain et votre repas avant qu’on ne parte. Quand je fus embarqué dans la voiture de police, ils sont passés dans une maison, juste à côté de chez moi, et ce n’est que par la suite que j’ai su qu’ils cherchaient Chérif Sané qui y habitait et que j’ignorais jusqu’à ce jour. Quand dans la voiture, j’entendais un policier communiquer par radio et dire qu’ils avaient pris le corbeau si je me rappelle bien, et qu’ils n’avaient pas trouvé un tel autre chez lui (toujours un nom d’oiseau), les choses commençaient à se préciser et on leur dira que ce dernier avait déjà été arrêté. Je comprenais alors qu’il s’agissait d’un message codé et d’une vague d’arrestations. On me conduisait au commissariat de la Médina vers 20 heures. Dans l’obscurité de la cellule, j’y rencontrais Cheikh Mbaye qui me reconnut, un collègue et voisin qui m’apprenait que lui même avait été arrêté depuis le matin et qu’il ignorait les raisons de son arrestation. Vers trois heures, on me fit sortir de la cellule pour m’acheminer au commissariat central. Les policiers enquêteurs m’ont posé beaucoup de questions sur la journée du 15 juillet 1998 au cours de laquelle on avait un déclenchement général des centrales de production d’énergie électrique de la Sénélec, suivi d’un effondrement total du réseau de la Sénélec : réseau 90 KV interconnecté. Je leur expliquais que ce jour j’étais en service, en charge de l’exploitation du service électrique (communément appelé Dispatching) et que je n’avais fait que mon travail. Quand je voyais durant cette nuit beaucoup de responsables de la Sénélec défiler à la brigade des investigations criminelles, à une heure aussi tardive, je commençais alors à deviner la cause de notre arrestation et je me suis dit que la situation était grave.

Après une garde à vue de quarante huit heures qui a été prolongée, nous avons été présentés devant le procureur de la République qui nous a tous inculpé, en qualifiant les faits de dégradation volontaire d’installations électriques d’utilité publique, violences et voie de fait, atteinte au libre exercice du travail, actes ou manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique et complicité, et nous a décerné un mandat de dépôt à nous tous. Nous fûmes tous déférés à la maison d’arrêt et de correction de Reubeus. Seul le nommé Mamadou Guèye échappera, il sera libéré pendant la période de la garde à vue, puisque ce dernier était tout simplement l’homonyme du vrai Mamadou Guèye qu’ils recherchaient. Il faudra signaler aussi que les enquêteurs n’ont jamais pu mettre la main sur six (06) militants du Sutélec, supposés impliqués et restés introuvables durant plus de trois mois, et qui étaient activement recherchés, de jour comme de nuit. Un autre fait marquant était la libération du camarade Malick Ndoye pendant notre détention, puisque ce dernier a pu prouver qu’il n’était pas dans le territoire sénégalais au moment de l’incident, et qu’il a eu même à verser dans le dossier un certificat médical, attestant qu’il a été victime d’un accident dans le train qui le transportait, lors de son voyage vers le Mali.

Au cours de notre séjour carcéral, très éprouvant, deux camarades m’ont beaucoup marquées : il s’agit de Assane Ndiaye qui avec un dévouement inégalable et désintéressé, s’occupait et nous partageait les repas aux heures du manger (Kourèle), et de l’Imam Ibrahima Mbaye qui dirigeait la prière et nous redonnait confiance dans ces prêches.

Le 23 décembre 1998, sera le jour du procès en première instance tant attendu, après plus de trois mois passés en prison. Les supposés responsables, commanditaires et complices de cette coupure générale d’électricité étaient convoqués au palais de justice, situé à l’époque au bloc des Madeleines. Ils étaient au nombre de trente trois (33), dont : Mademba Sock, Samba Yoro Dièye, Denis Honoré Minkette, Ibrahima Mbaye, Abdoulaye Diagne, Assane Ndiaye, Cheikh Mbaye, El Hadj Seck, Issa Ndiaye, Chérif Sidy Hadre Sané, Malick Ndoye, Abdoul Latif Diaw, Auguste Diop, Moctar Cissé, Joseph Sarr, Alioune Thioune, Amadou Ndiaye, Aboubacrine Sadikh Ndaw, Kalidou Sarr, Alioune Bâ, Saliou Sarr, Mamadou Diémé, Mamadou Guèye, Abdoulaye Sène, Khalifa Ababacar Manga, Boubacar Dièye, El Hadj Malick Samb, Aboubacrine Samba Ly dit Abou Ly, Amadou Diop, Ousmane Ndiaye, Yéro Sabaly, Mamadou Doukouré et Kéba Ndoye.

L’on échappera tous cependant de justesse à la cour d’assise, puisque nos accusateurs ont cherché vainement à retrouver des pertes en vie humaine, liées à cette fameuse coupure d’électricité. Il se passera deux faits inattendus au cours de ce procès : d’abord la perte de connaissance au cours de son interrogatoire du camarade Mamadou Doukouré. Il fut aussitôt amené à l’hôpital, il s’en est suivi une paralysie et il ne survivra pas à cette maladie. D’autre part, en pleine audience, après des discussions entre le procureur et nos avocats, ces derniers demandèrent à l’ensemble des inculpés de ne plus se présenter à la barre pour répondre à l’interrogatoire. On procédera alors à l’appel des inculpés et personne n’acceptait de se présenter à la barre, conformément aux instructions données par nos avocats. Le procureur oubliera alors de m’appeler et la liste était close. A ce moment, je lui fis comprendre alors que je n’avais pas été appelé. Il me répondit que le résultat était le même puisque nous tous, solidairement, avions convenu de ne pas nous présenter à la barre. Je lui fis comprendre que ce n’était pas mon cas puisque j’avais décidé moi de m’y présenter.

Le président du tribunal, le juge Mbaye, très jeune à l’époque, m’appela alors à la barre et me demanda d’expliquer le déroulement des évènements, durant cette fameuse journée du 15 juillet 1998. Je lui disais alors que j’avais décidé personnellement de venir témoigner à la barre afin d’éclairer l’opinion nationale et démontrer techniquement que l’acte d’accusation n’était pas fondé.

Dans cette affaire, j’étais considéré comme l’instigateur principal de cet incident ayant conduit au déclenchement général des centrales. On me reprocha d’avoir ordonné le démarrage puis de faire monter à la puissance maximale la Turbine à gaz n°3, dans le seul but d’épuiser les réserves de gaz, provoquer son déclenchement, de manière à ce que les centrales ne puissent plus être redémarrées, une fois que le « black out » sera crée. Il faut préciser que la particularité de cette turbine à gaz est qu’elle pouvait être démarrée sans source de tension et rappeler que les turbines à gaz ont une consommation spécifique beaucoup plus élevée que les autres unités de production (il s’agit là de la quantité de combustible qu’il faut fournir en gramme pour produire un KWh. Elle peut atteindre plus de 500 g/KWh et près de 190 g/KWh pour les unités à bon rendement). Elles sont destinées à passer les moments de forte demande, ont l’avantage de pouvoir être démarrées et montées en charge à leur puissance maximale très rapidement et doivent être découplées du réseau dès que la demande baisse, du fait de leur mauvais rendement.

J’expliquais alors au président du tribunal, que rien d’exceptionnel ne s’était produit ce jour, dans le cadre de mon travail pour lequel je m’étais acquitté avec même beaucoup d’applications.

Très tôt ce jour là j’avais enregistré un déficit de production et étant chargé de la gestion de la demande en énergie et des manœuvres électriques dans le réseau interconnecté HT 90 KV et MT des régions, et avec le déclenchement des groupes, j’ai du recourir au démarrage de la turbine à gaz n°3, que j’ai porté aussitôt à sa puissance maximale, puisque j’étais confronté à un problème de délestage, du fait de l’inadéquation de l’équilibre de la demande et de la production d’énergie électrique du moment. Presque chaque matin, la TAG n°3 était couplée sur le réseau, et on la laisser tourner jusqu’à l’épuisement du gaz, pour être redémarrée le soir, une fois que les réserves en gaz avaient été relevées. Cela se faisait tous les jours et je lui ai affirmé que tels propos étaient vérifiables à travers des enregistrements qui sont disponibles au Dispatching. Je lui expliquais que l’incident aurait dû se produire ce jour là, un peu plus tôt, vers neuf heures, quand brusquement, on notait le déclenchement successif de plusieurs de nos groupes dans le parc de production, pour une puissance avoisinant près de soixante dix MW (70 MW). A ce moment précis, constatant une chute rapide de la fréquence, je me suis rappelé instinctivement que l’étude du gradient qui est une grandeur vectorielle traduisant la variation de la grandeur physique dans le temps, montre que dans certains cas, il faut anticiper sur le délestage automatique, géré par les relais de fréquence et aussitôt, j’ai demandé au chef de poste de la sous station de Hann, d’ouvrir le disjoncteur d’un des transformateurs de 80 MVA, afin de pouvoir sauver le parc de production et rétablir la fréquence du réseau à sa valeur nominale. Il réagit avec promptitude et exécuta ma demande, et cela nous a permis ainsi d’éviter un déclenchement général à ce moment. Seulement, vers onze heures, l’on enregistra de nouveau, de manière presque simultanée le déclenchement des autres groupes, sauf la centrale de Kahone. Dès lors, j’avais opté résolument pour le schéma d’exploitation qui me permettait d’envoyer la tension à Dakar, à partir de cette centrale, afin de pouvoir redémarrer les autres unités de production. Je demandais alors à l’agent de manœuvre basé à Diourbel (Toukara que je salue au passage), de me décharger la ligne appelée Kaolack Nord, qui permet d’interconnecter la centrale de Kahone et Dakar et y arriver avec une tension de service acceptable. Une fois, cette opération terminée, je demandais à la centrale de Kahone de fermer le disjoncteur de la ligne Kaolack Nord, ce qui aurait permis d’envoyer la tension vers Dakar. Ma surprise fut grande, quand il m’annonça que le départ en question avait déclenché sur un défaut max intensité au moment de l’essai de sa fermeture, et provoqué le déclenchement de toute la centrale de Kahone. A partir de ce moment, le redémarrage des centrales n’était plus possible.

Le lendemain matin, le président du tribunal me fit revenir à la barre pour me poser d’autres questions puisqu’il était intéressé, avait entrevu mon innocence et il venait de comprendre beaucoup de choses, à travers ma démarche et les explications techniques que je venais de donner. A ce moment précis de ce procès, toute la thèse d’accusation de la Direction générale de la Sénélec venait de s’écrouler comme un château de cartes. A mon Avis, le juge Mbaye a été un très grand juge, impartial, plein d’objectivité et a assumé toute son indépendance, non pas du seul fait qu’il m’a acquitté en rendant le verdict, moi sur qui pesait toute l’accusation, mais surtout pour avoir pris ses responsabilités et lu le droit.

Depuis, je me pose des questions pour lesquelles je ne trouve malheureusement pas toujours de réponse :

1. la direction générale de la Sénélec avait-elle des indices avérées et fiables en accusant le Sutélec de sabotage et d’être à l’origine de cet incident du 15 juillet 1998 ? Même dans ce cas, pourquoi avoir choisi des innocents pour les licencier et les mettre en prison ?

2. Le président de la république de l’époque M. Abdou Diouf et le régime PS, voulaient-ils profiter d’un incident qui s’est réellement produit, pour accuser le Sutelec de sabotage et pouvoir l’anéantir définitivement, puisque ce dernier menaçait chaque fois les autorités d’une coupure générale d’électricité. L’on se rappelle, une fois à l’aéroport, lors de son retour d’un voyage, après une coupure d’électricité de trois jours qui avait précédé cet incident, il avait déclaré dans la presse que les coupables seraient châtiés.

3. L’état et la direction générale de la Sénélec avaient-ils imaginé ce scénario, dans le seul but d’anéantir le Sutélec ?

4. Le Sutélec serait-il l’initiateur d’un plan qui aurait mal tourné et dont il ne pouvait plus assumer sa responsabilité, quand on sait qu’il attendait toujours la réussite des mouvements pour déclarer que les travailleurs étaient en grêve ? Ce serait grave si c’est le cas d’engager des camarades non avertis dans un combat mal préparé et sans en informer les membres.

Après analyses, je peux dire simplement que la similitude et la synchronisation généralisée des événements au niveau national dans les unités de production de la Sénélec, et la tentative anéantie ou non réussie de la reprise de la production à partir de la centrale de Kahone avec le déclenchement déclaré, sur un défaut max intensité, de la ligne d’interconnexion avec Dakar appelée Kaolack Nord, suivi du déclenchement de la centrale qui restait la seule alternative possible pour permettre la mise sous tension les unités de production de Dakar et permettre ainsi le redémarrage des unités de production, posent beaucoup d’interrogations et m’écartent de plus en plus du cas d’un incident classique, même si de grands incidents ont eu déjà à se produire dans le passé dans le monde. Je citerai :

5. Pourquoi quand mon chef de département de l’époque « feu » Adiouma Dione a demandé au directeur général de la Sénélec de l’époque (M. Abdourahmane Ndir) de me libérer, puisqu’il ne voyait pas en quoi je pouvais être impliqué dans cette affaire, et que ce jour là, je me suis acquitté de mon travail, le plus normalement et consciencieusement, ce dernier lui a répondu nettement que si on me libérait, toute l’accusation de la Sénélec qui reposait essentiellement sur ma personne allait s’effondrer et que je n’avais qu’à me défendre devant le tribunal. je n’ai vraiment pas compris pourquoi.

Après le dénouement de cette crise, je n’ai pas accepté la réintégration à la Sénélec qui m’était offerte puisqu’ayant trop souffert, moi-même, ma famille et tous ceux qui me sont proches durant ces douloureux événements.

Je m’excuse de m’être beaucoup exprimé dans cette page, mais nous le devons à la postérité, pour que la vérité sur l’origine de ce malheureux incident éclate un jour. Je reconnais n’avoir dit que l’essentiel, d’avoir soustrait volontairement beaucoup d’explications techniques dans lesquels les non-initiés ne se retrouveraient pas. J’espère que vous le comprendrez ainsi. C’est un livre qui rendrait fidèle et complète la description de ces douloureux évènements et je pense pouvoir m’y consacrer et le publier un jour si le bon Dieu me donne longue vie et en décide ainsi. L’on remarquera cependant que depuis cette date du 17 juillet 1998, le Sutélec n’a plus revendiqué être à l’origine d’une quelconque coupure d’électricité et n’a plus menacé l’état. Cela au moins est une bonne chose.

 

Issa Ndiaye

Ingenieur en Electromecanique

Directeur General de I.Technologie

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