A l’occasion du conseil des ministres du mercredi 1er mars 2017, le chef de l’Etat avait insisté sur l’urgence d’une plus grande prise en compte des risques majeurs dans la gouvernance. « saisissant l’occasion de la célébration, le 1er mars, de la Journée mondiale de la protection civile, il a rappelé au gouvernement l’impératif de promouvoir une culture de prévention en matière de protection civile, d’assurer l’actualisation et l’opérationnalisation du dispositif national d’organisation des secours ainsi que le fonctionnement régulier des Commissions supérieures, régionales et auxiliaires de protection civile ».
En conseil des ministres du mardi 6 juin 2017, le président de la République exigeait « l’effectivité des contrôles systématiques de la qualité des produits alimentaires, pour éviter la mise sur le marché de produits périmés, non conformes ou contaminés (…) ».
Cette invite de la plus haute autorité à une prise de conscience collective a le mérite de rappeler à ceux qui seraient tentés de l’oublier que le Sénégal reste un pays peu résilient.
Mais, quel effet ces directives présidentielles auraient produit, serait-on tenté de se demander, au regard des nombreux risques majeurs survenus dans le pays au cours de ces derniers mois ?
• Incendie du Daaka de Médina Gounass : 22 morts ;
• Chavirement d’une pirogue à Bettenti : 21 victimes ;
• Affaissement d’un mur au stade Demba Diop : 08 morts.
Tous ces trois drames ont un dénominateur commun : l’absence de culture du risque majeur. Face à la croissance rapide et sauvage de Dakar, les populations comme les décideurs se sont installés dans un fatalisme qui frise l’irresponsabilité, voire l’inconscience.
Il y a quelques années, la Direction de la protection civile (Dpc) avait alerté sur le collecteur de Hann-Fann dont l’état de vétusté avancée menacerait la vie de 300.000 Dakarois représentant le tiers de la population de la capitale.
« Le bassin de Hann-Fann draine une superficie urbanisée de 2200 ha représentant un peu plus du tiers de Dakar-ville sur une longueur d’environ 7 km.
Vieux de plus de 60 ans, les effets de l’hydrogène sulfurée ont fortement diminué sa résistance physique, occasionnant, par endroits, des affaissements à la zone A, à l’Ucad, à Niary Tally, à Bopp, à Bene tally et sur la route du Front de Terre en amont du pont de Hann.
Ces affaissements, de plus en plus rapprochés, peuvent avoir de lourdes conséquences en cas de casse sous un bâtiment surtout avec la présence, dans cette canalisation, du gaz H2S qui, à une certaine concentration, devient mortel après seulement une minute d’inhalation. Cette situation expose la ville de Dakar à des risques de catastrophes sans précédent ».
Dans l’attente de la mise en œuvre du programme spécial de réhabilitation de l’ouvrage, évalué à dix milliards de FCfa, aucune initiative de renforcement de la résilience des populations n’est développée ; même pas des actions d’information préventive sur la gravité de la menace et les actions de mitigation développées.
En 1992, l’explosion d’une citerne d’ammoniac à l’usine Sonacos de Bel Air avait fait 120 morts.
Aujourd’hui, Bel Air n’est pas à l’abri d’une série de « Boiling liquid expanding vapor explosion » (Bleve) qui pourraient compromettre les activités économiques dans cette partie névralgique de Dakar.
L’ouverture effrénée de stations d’essence dans les quartiers, outre les risques d’incendie, pourrait polluer, à terme, le sol et compromettre l’avenir des générations futures.
L’occupation des emprises et la cohabitation des populations avec les pylônes haute tension de Senelec constituent un risque majeur de plus en plus préoccupant.
Les incendies de marchés dont le coût est évalué à des milliards, compte non tenu des pertes en vies humaines qui auraient pu survenir, sont si récurrents au Sénégal qu’ils n’émeuvent plus.
D’importantes quantités de produits impropres à la consommation sont régulièrement saisies ces derniers temps.
Le transport au quotidien de matières dangereuses (Tmd) le long du corridor Dakar-Bamako pose problème.
Rares sont les établissements recevant du public (Erp) qui répondent aux normes de sécurité et de sureté définies :
A Mbao, des ouvrages sont construit sur les pipelines contenant des produits chimiques alors qu’une simple fuite pourrait entrainer des « Bleve » aux conséquences humaines et économiques incalculables.
Le naufrage du bateau le Joola, avec ses 2000 disparus, est la plus grande catastrophe maritime jamais survenue dans le monde.
Au total, comme dans beaucoup de pays pauvres, le Sénégal est un Etat peu résilient pour ne pas dire vulnérable, véritable poudrière, sauf qu’ailleurs la culture du risque majeur est érigée en principe de vie.
En attendant le prochain risque majeur pour s’émouvoir, comme c’est le cas actuellement avec le drame du stade Demba Diop, le Sénégal a surtout besoin de renforcer sa résilience.
Tout commande une prise de conscience collective et individuelle pour l’émergence d’une véritable culture du risque majeur encore qu’il est temps, car demain, ce sera trop tard.
• Un contexte ouest africain où le crime transfrontalier appelle l’émergence d’une véritable défense capable de mobiliser toute la nationale avec des risques de déplacements massifs de populations le long des frontières comme cela aurait pu arriver lors de la crise gambienne.
• L’impact non encore évalué sur la santé des populations des zones aurifères de la région de Kédougou de l’utilisation de produits hautement toxiques.
• La perspective de l’exploitation du pétrole avec les risques de pertes de maitrise de l’appareil de forage, entrainant des explosions et déversement d’importantes quantités en mer (cas du golfe du Mexique en 2011 ayant entrainant une grande pollution marine qui aura coûté à Bp 50 milliards de dollars de dédommagements.
• L’avancée de la mer, annonciatrice de la disparition de beaucoup de villes et d’enjeux patrimoniaux (sites historiques, archives, monuments historiques, etc.). Que serait l’Université Cheikh Anta Diop, la Bu et sa base documentaire ou bien toutes les archives universitaires vieilles de plusieurs décennies ?
• La mise en service prochaine du Ter et de l’aéroport internationale de Diass commande, dès à présent, le développement de programmes d’éducation aux risques majeurs pour anticiper sur les risques de catastrophes inhérentes à la non préparation des populations pour vivre avec de telles infrastructures.
• Le non traitement de rejets polluants par des établissements classés peu soucieux du code de l’environnement (baie de Hann, Mbao, etc.) et de déchets biomédicaux constitue un risque majeur qui doit interpeler tout un chacun.
• Au moment de la réalisation du Monument de la renaissance (plus de 100 tonnes), avait-on pris en compte la gestion d’un tel risque majeur, le jour où il céderait à cause de l’âge et d’un mouvement de terrain. Le Sénégal aura-t-il les moyens de gérer une telle catastrophe ? Nous sommes d’autant plus fondés à se poser la question que la digue de protection réalisée à Saint-Louis, à 2004, pour lutter contre les inondations est devenue une véritable catastrophe écologique.
Peut-être que nous ne vivons pas avec plus de risques que les autres nations du monde, sauf qu’ailleurs la culture du risque est érigée en principe de vie alors que notre rapport au risque majeur demeure ambigu.
En effet, il y a deux manières d’accepter le risque majeur : l’acceptabilité par méconnaissance ou refus et l’acceptabilité à cause des mesures de mitigation prévues.
Si la première relève du fatalisme, la seconde, elle, se base sur le principe de précaution dont le postulat de base reste que le risque zéro n’existe pas.
Tous les risques de catastrophes ne sauraient relever d’une punition divine. Cette perception fataliste fait oublier que les progrès scientifiques sont parfois générateurs de risques majeurs auxquels ils ne proposent pas toujours de solutions de mitigation. D’où l’urgence, au Sénégal, d’une prise de conscience collective et individuelle de l’évidence que le risque zéro n’existe pas.
Il aura fallu un long processus au peuple japonais pour cohabiter avec le risque majeur sismique.
Madagascar aura appris des effets destructeurs des cyclones récurrents pour adapter ses modes de construction.
Et c’est là tout le sens du retour d’expériences et de la mémoire du risque (Mémo risk).
Le Sénégal doit passer par là pour promouvoir une véritable culture du risque majeur pour ne pas compromettre tous ses efforts de développement.
Il n’est pas encore trop tard pour relever le défi, mais il faut aller très vite.
L’Etat central, les collectivités locales, le secteur privé et surtout les communautés doivent tous s’engager pour l’émergence d’une société sénégalaise véritablement résiliente, c’est-à-dire capable de résister à tous les risques de catastrophes, mais surtout prête à se relever rapidement.
A l’Etat de repenser la législation nationale et le cadre institutionnel de prévention et de gestion des risques majeurs. Aux collectivités locales de mieux intégrer la problématique des risques de catastrophes dans leurs missions. Au secteur privé de tendre vers les High reliability organisations (Hro), c’est-à-dire organisations de haute fiabilité (Hfo), à l’image de Senelec qui a engagé cette mutation en renforçant les capacités de son « Top management » en risques majeurs et en améliorant ses procédures.
Et, enfin, aux communautés d’être partout et toujours prêtes pour être en première ligne dans la protection civile. Il faut une révolution des mentalités pour ne plus comprendre le plan Orsec comme l’organisation des secours, mais l’organisation de la réponse de sécurité civile qui est un processus non ponctuel et statique, mais permanent, progressif et dynamique.
Papa Ousmane SECK
Formateur Rme, membre de l’Institut français
des formateurs risques majeurs et protection de l’environnement (Ifforme)
Président de l’Association urgence et développement (Aud) Bp 6432-
Dakar- Etoile