« Toujours est-il qu’il est grand temps de rompre avec le fétichisme des clivages, legs d’une longue colonisation dont on a du mal à se départir. Les daaras représentent une offre éducative valable à travers laquelle se retrouve une bonne frange de la population sénégalaise. Au lieu de continuer à dresser deux catégories opposées, il paraît plus judicieux de chercher à gommer les disparités entre daara et école française et mettre en place un système d’école typiquement sénégalaise qui aura la charge de mouler le nouveau type de Sénégalais (NTS). Un Sénégalais qui aura un bon ancrage dans son environnement socioculturel et religieux, et bien préparé à s’ouvrir au monde extérieur. ( … )
De chaque enfant qui mémorise le Coran aux environs de 10 ans, il est possible de faire un génie en autant d’années dans n’importe quelle autre discipline. Encore qu’il faudrait que les structures d’accueil soient existantes. Cette tâche est dévolue à l’Etat et non à de simples bonnes volontés. L’âge de mémorisation baisse davantage et avec l’introduction récente des préceptes du Tajwiid dans le système d’apprentissage, de plus en plus de jeunes Sénégalais participent aux concours de récitation organisés à l’échelle internationale où ils sont bien classés. Ne pas assister ces potentialités précoces à éclore convenablement en résolvant pour de bon l’absconse question de l’insertion sociale et professionnelle est une lourde responsabilité face à laquelle l’Etat ne peut se dérober sous quelque prétexte que ce soit. Que de talents étouffés! C’est une simple question d’éducation de base. A titre d’exemple, Abdou Wahab Ndao a mémorisé le Coran, appris l’arabe qui l’introduit à la Sorbonne où il apprit le français, l’anglais avant de revenir comme professeur d’allemand à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université de Dakar. Qu’Allah ouvre encore sur lui les outres de sa mansuétude. ». Ce passage tiré de l’épilogue de la contribution réponse : « Fallait-il hurler avec les loups ? » faite en 2014 par le « Promoteur du Coran » suite à la parution de l’ouvrage du Professeur Oumar Sankharé (Paix à son âme) : « Le Coran et la culture grecque», conserve encore sa fraîcheur et paraît plus que d’actualité.
La même année, Ndombour Sène, une jeune pensionnaire du daara « Aicha Oummoul mouminiin » de la vaillante Sokhna Aja Binta Thiaw a remporté le troisième prix du concours international de lecture du saint Coran en Malaisie. Trois ans après, ce fut l’accomplissement total d’un vœu; le Sénégal s’imposa au même concours à la première et troisième place grâce aux exploits respectifs de Mouhamed Moujtaba Diallo et Mame Diara Ngom. Le sublime duo qu’ils formèrent rappela au monde entier qu’en Islam c’est une réalité bien établie que la femme peut valablement entrer en compétition avec l’homme, partout où besoin est.
Ce fut au Sénégal (malgré la reconnaissance tardive du grand mérite) une entrée en matière pour vivre un mois de Ramadan à l’ère du Coran. Naturellement il n’y a rien d’étonnant de parler, réviser voire revisiter le Coran en plein Ramadan, mois de sa révélation et pour cause. La particularité du mois béni d’où nous sortons a été qu’avec la médiatisation du triomphe, nombre de Sénégalais ont eu la volonté réelle de parfaire leur Coran, d’autres celui de leurs enfants; au moment ou d’autres encore trouvaient nécessaire de parler vaille que vaille du Coran pour une question de buzz.
Passé les moments d’émotion et d’exultation, cet heureux évènement devrait nous amener à analyser et réfléchir davantage sur les clichés et idées reçues que nous avons du Coran ou de l’enseignement du Coran et qui n’ont rien à voir avec. Cette réflexion vivement encouragée par le Coran est le seul moyen d’en tirer profit pour un tant soit peu d’amélioration de nos conditions de vie. « Que de signes répandus dans les cieux et sur la terre! Les gens passent auprès d’eux en s’en détournant! » Sourate Yussuf , v. 105.
Dès lors, admettons que le présent article n’a pas la prétention de traiter ces stéréotypes de manière globale ou exhaustive, mais d’en tirer juste quelques uns afin de les mettre, – loin de tout prisme déformant- en collation avec la réalité du Coran, du monde du Coran, au sortir du mois béni du Coran.
L’un des fléaux majeurs qui gangrène la société sénégalaise est le phénomène de la mendicité auquel on a encore du mal à trouver un remède. Unanimement nous avions poussé un ouf de soulagement quand un bon matin les plus hautes autorités du pays se sont levées pour dire qu’il fallait y mettre un terme. Hélas, aujourd’hui encore s’offre à nous dans la capitale comme dans les autres grandes villes ce décor hideux d’hommes, de femmes et d’enfants qui tendent la main à chaque tronçon de rue.
D’où viennent ces enfants déguenillés qu’on trouve à 5h du matin sur la route à Pout, qu’on croise à Rufisque et qui nous accueillent à Dakar où ils vadrouillent jusqu’à des heures tardives? S’ils viennent des daaras, quel temps peuvent-ils consacrer à leurs études? Où sont leurs parents ? Qui a voulu leur assigner comme profession: quémander ?… « Kuleen juroon yeremleen» (Pitié), entonnait la cantatrice.
Les « spécialistes » de la matière y perdent leur latin en voulant démêler l’écheveau. Dans le lot de ceux qui squattent les allées et autres places publiques en quête d’obole ils établissent une savante dichotomie entre les éclopés, les talibés, les enfants sous traite, en rupture familiale (de la rue, dans la rue)… Soit. Par une heureuse coïncidence, la journée mondiale de lutte contre le travail des enfants (12 juin) a été célébrée cette année en plein Ramadan. Les nombreux débats animés autour du sujet analysés à l’aune de la réalité telle qu’elle se dresse crue devant nous sur le terrain, depuis la publication de « La grève des battu » de Aminata Sow Fall à nos jours, laissent voir qu’il y a encore plus de paroles que d’actes.
Mise à part un infime besoin de socialisation de l’enfant, tout autre procédé consistant à l’exposer dans la rue est synonyme d’exploitation, surtout quand celui-ci a des relents pécuniaires ou mercantiles. Le seul endroit où l’on peut admettre l’enfant jusqu’à l’âge d’admission à l’emploi, c’est l’école. Aucune dérogation possible face à cette loi.
Sur ce point essentiel, les maîtres coraniques (serigne daara, marabouts) doivent comprendre que c’est eux-mêmes qui ont intérêt à l’adoption du projet de loi portant statut du Daara. Bien sûr le travail se fera dans une approche participative. Quid de la méthode d’enseignement du Coran et de la maltraitance et autres sévices corporels qui l’accompagnent souvent?
A ces pratiques, vient se greffer une autre forme de mendicité qui se propage insidieusement sous le prétexte d’organisation de « ndogu ». Cette jeunesse qui sans gêne tend la sébile à chaque coin de rue pour organiser des ndogus durant le Ramadan devient de plus en plus inquiétante. Celui qui ne s’assure même pas un emploi stable s’il s’impose le devoir de nourrir les autres en tirant les sonnettes peut facilement faire du fruit de sa collecte une source de revenus. Est-il besoin de rappeler que le plier le plus onéreux de l’Islam, le pèlerinage en l’occurrence, ne s’impose qu’exclusivement à ceux qui en ont les moyens?
A bien des égards, l’exploit de Moujtaba et Mame Diara nous édifie sur le fait que le Coran n’est l’apanage de personne. En effet s’il y avait une quelconque logique devant prévaloir dans le domaine de l’apprentissage ou de la maîtrise du Coran, les lauréats d’un tel concours (aussi sélectif et sérieux) devraient venir de la Mecque où le Coran fut révélé ou de l’Egypte où il fut lu. Dans une moindre mesure, on les situerait au Sénégal dans des foyers religieux traditionnels ou même ils porteraient d’autres patronymes. Rien de tout cela. Ils sont Diallo, Sène, Ngom, et s’imposent bien au-delà de nos frontières, à la communauté internationale. Ce qui veut dire que le « domaine », loin d’être réservé, est démocratiquement ouvert et accessible au plus offrant (effort) et au plus méritant. Ils ont le double mérite de faire rayonner le Sénégal à travers le monde et de sonner définitivement le glas de l’ère des Sharifu et de leurs suppôts flibustiers.
A travers leurs performances, il convient d’apprécier et à juste raison le travail remarquable de leurs distingués encadreurs: MM. Habib Sy, Moustapha Ngom et Sokhna Aja Binta Thiaw. Ces efforts individuels qui ont fait la fierté de la nation entière doivent certes être salués, mais aussi positivement sanctionnés par un renforcement de leur structure de formation en moyens matériels, humains et financiers; eu égard au déficit de moyens criard qui est leur sort commun. Combien de Moujtaba en herbe seraient-ils sur l’étendue du territoire national? Nul ne saurait le dire. Probablement on les rencontre matin et soir entrain de quémander leur pitance et de rater leur vie. Ne vaudrait-il pas la peine de leur offrir leur chance? Davantage de considération à ces talents précoces et à ces centres d’incubation peut nous valoir des avancées notoires au plan national et des succès continus à l’échelle internationale. Aussi, mémoriser le Coran est une chose, avoir une maîtrise des disciplines permettant sa compréhension est un cheval d’une autre couleur. En tout état de cause ce produit est bien de chez nous, made in Sénégal. Bien entretenu (en assistant ces jeunes à parachever leur formation), on pourra s’en servir à souhait et, valablement l’exporter demain, au lieu de se contenter d’une médaille mondiale.
Le président de la République semble bien s’inscrire dans cette perspective en les recevant en audience et en décidant d’élever « Yaye » à l’Ordre national du Mérite. Au-delà de son auguste personne, c’est un hommage rendu à toutes les braves femmes (connues ou inconnues) ayant consacré leur vie à la cause de l’éducation islamique et de l’enseignement du Coran en particulier.
Force est de reconnaître que nous devons une fière chandelle à Sokhna Aja Binta Thiaw pour services rendus à la nation, singulièrement dans la formation de la jeunesse. Affectueusement appelée « Yaye », la « mère » qu’elle est dans toute l’acception du terme a couvé de 1996 à nos jours plus de 1000 « hafizat » (femme ayant mémorisé le Coran). Difficile de battre un tel record au Sénégal et ailleurs. Partie de rien, ceux qui la retrouvaient en octobre 1996 dans une modeste villa des Parcelles assainies contenant à peine une trentaine d’élèves étaient loin de s’imaginer qu’elle était porteuse d’une ambition démesurée pour le Coran. Drapée d’une abnégation sans faille, elle se mit résolument et sans fracas à transformer un rêve en réalité palpable. Certes. Notre grand-père Adan n’a été pris en défaut que par manque de détermination.
Yaye a fait de l’efficacité dans la discrétion son crédo. A un moment où le voyeurisme est érigé en mode de vie, elle se détourne volontiers des micros de radios et caméras de télévision en préférant s’effacer totalement. Une option qui se reflète sur son style teinté au quotidien de sobriété. De par son style vestimentaire on comprend aisément qu’elle souhaiterait passer partout inaperçue. Cependant cette ferme volonté de s’effacer finira par rehausser sa prestance et l’imposer partout où elle se trouve.
Yaye a patiemment mis en place une institution scolaire des plus prestigieuses de la place, Aicha Oummoul Mouminiin, renfermant aujourd’hui tous les cycles d’enseignement partant du niveau préscolaire au baccalauréat. Le choix de la mère des croyants comme marraine est loin d’être fortuit. Les résultats de la structure parlent d’eux-mêmes. Cinq (5) jeunes filles de la première promotion à se présenter au baccalauréat viennent d’obtenir avec brio leur sésame pour entrer à l’université. Ces nouvelles bachelières ont tout l’outillage qu’il faut pour poursuivre correctement leurs études à l’université à n’importe quelle faculté et assumer dignement toute forme de responsabilité. La cerise sur le gâteau, elles ont toutes mémorisé le Coran. Elles sont la preuve par neuf que les deux catégories d’enseignement classiques et parallèles que nous avons au Sénégal, loin d’être antagoniques, peuvent se compléter. Mieux, les fondre en un creuset comme c’est le cas, serait le meilleur raccourci pour les générations futures qui incarneront à la fois connaissances modernes et valeurs éthiques et morales pour une meilleure gestion des affaires de la Cité. Du coup, elles n’auront plus besoin d’attendre la veille de leur départ à la retraite pour commencer à apprendre les rudiments de leur religion. De même l’ennuyeuse problématique de l’insertion des diplômés en langue arabe est résolue dès le départ, et l’Etat ne sera plus en situation de les traîner comme un boulet quelles que soient leurs spécialisations, à cause d’une simple question de barrière linguistique. Dans les deux centres d’examen où les candidates de l’institution étaient réparties pour se présenter au BFEM, elles ont occupé la première place. A cela il faut ajouter un taux annuel toujours honorable de cent pour cent au Certificat de fin d’études élémentaires, CFEE.
Enfin l’on ne saurait s’empêcher d’admirer la discipline qui est de rigueur chez Moujtaba et Mame Diara. Ayant remporté le plus valeureux prix au monde, on peut s’étonner de ne les voir ni exulter, ni jubiler lors de leurs différentes sorties. En lieu et place des plastronnades auxquelles nous ont habitués les grands champions de leur étoffe (y en a-t-il d’ailleurs ?), ils font preuve davantage de mesure et de sérénité. Cette grandeur rompt d’avec la vindicte consistant à caillasser et à brûler à la moindre incartade. Sans doute c’est la raison pour laquelle Oustaz Alioune Sall le célèbre prêcheur cherchait à nous convaincre à essayer cet autre modèle, en faisant de « Mosleen Daaraji » un slogan pour entrer au Parlement. Ils offrent ainsi à la jeunesse sénégalaise un exemple concret de pondération à méditer et à copier, pour pallier le relâchement progressif des disciplines individuelles et collectives.
Un dernier point, mais pas le moindre, les sketches du Ramadan. Le Ramadan, c’est un truisme que de le souligner, est une occasion inestimable pour tout musulman de faire le maximum de profit et de se faire pardonner ses erreurs. A cet effet, nombre de saints devanciers le guettaient à six mois avec beaucoup d’impatience, en priant ardemment Dieu de leur accorder cette grande faveur. Comme à rebours, aujourd’hui à six mois du Ramadan toutes les chaînes de télévision préparent des sketches pour nous divertir et nous égayer. Rire et faire rire tout court. Le moment choisi unanimement est l’heure cruciale de rupture, une heure d’écoute, de recueillement et de repentir. On proposerait ces films en dehors du Ramadan, il serait difficile d’établir le lien qu’il y a avec. Même si le jeûneur ne peut se passer d’humour, un minimum de bon sens voudrait que le message véhiculé épouse le contexte et apporte un plus au fidèle, dans le sens de parfaire ses connaissances ou de renforcer sa foi. Que nenni. Au contraire il est vide de sens et assez souvent heurte la sensibilité du croyant puisque tournant en dérision les préceptes de la religion.
Dans un pays champion du monde du Coran, les artistes devraient pouvoir désormais (sans se faire censurer), travailler en intelligence avec les oulémas pour enrichir le contenu des messages à livrer pendant le Ramadan; et pourquoi ne pas établir une coopération pérenne? Chaque corps de métier devant consulter l’autre en cas de besoin, établir la différence entre le sacré et le profane aiderait à proposer au public une production saine, consommable et digeste. « Dans le Livre, Il vous a déjà révélé ceci: lorsque vous entendez qu’on renie les versets (le Coran) d’Allah et qu’on s’en raille, ne vous asseyez point avec ceux-là jusqu’à ce qu’ils entreprennent une autre conversation. Sinon, vous serez comme eux. Allah rassemblera, certes, les hypocrites et les mécréants, tous, dans l’Enfer. » Sourate An Nissa i, v. 140.
Il convient enfin d’encourager et de féliciter vivement la direction de l’entreprise SENICO SA qui a eu l’ingénieuse idée d’accompagner la Fédération nationale des Associations d’Ecoles coraniques pour la réussite du Concours national de récitation du Coran. Elle vient de prouver que par un esprit de méthode et d’organisation, il est bien possible de mettre en valeur les talents dont regorge ce pays, mais aussi de les habiliter à tenir la dragée haute aux meilleurs du monde, lors des joutes internationales. Avec la même hardiesse le Sénégal peut aller demain à la conquête de tous les valeureux prix du monde notamment le Prix international de Dubai.
Last but not least, il est aussi pertinent de féliciter le président de la République qui vient d’enregistrer (chance historique) son troisième lauréat au Concours international de récitation du Coran. Par la même occasion, nous lui demandons solennellement de bien vouloir désormais honorer de sa présence ce prestigieux concours national, dans le vœu intime de conjurer par la baraka du Coran les imprécations suscitées par les nouvelles richesses (pétrole et gaz). Afin que la nation puisse en bénéficier de façon pérenne dans la paix et la stabilité, gage de l’émergence.
Mouhamed M. LOUM
Coordonnateur de l’association
Les Partenaires du Coran
LPC / THIES
Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale
Dakar, 28 juillet 2017