Les événements sanglants du stade Demba Diop, survenus le 15 juillet 2017, qui ont coûté la vie à huit personnes avec des centaines de blessés sont édifiants. Ce drame consécutif à l’effondrement d’une partie de la tribune découverte, suffit comme preuve tangible pour montrer le niveau de régression du comportement de non-violence des Sénégalais et l’ascendance de celui belliqueux et animalier.
Tout le monde croyait que la tragédie du Joola, en 2002, qui a fait 1864 victimes, allait demeurer gravée dans la mémoire collective de la Nation pour qu’elle soit une ligne de conduite contre toute indiscipline, anarchie et incivisme de la vie quotidienne des Sénégalais.
Le chavirement du bateau au large de la côte gambienne a été très vite oublié et classé dans les légendes populaires. Ceci explique la répétition de pareils événements comme :
la mort des talibés dans des conditions atroces à la rue 15 de la Médina en 2012 ;
l’effondrement multiple et répétitif des bâtiments en cours de construction ;
l’affaissement des immeubles sous le poids de l’âge et de la vétusté ;
l’incendie des marchés, des villas, du Daaka au mois d’avril 2017 ;
la noyade des baigneurs ;
la disparition des pêcheurs dans la mer à cause du refus de porter le gilet de sauvetage, entre autres ;
les accidents de circulation qui font des centaines de victimes par an ;
la surcharge des cars du transport en commun.
Tous ces événements sont tributaires, en grande partie, à l’indiscipline de l’homo senegalensis et favorisés par la tolérance sur l’application des lois.
Le Sénégal se trouve aujourd’hui dans une situation charnière entre périr et vivre. Pour éviter que le premier cas se produise, il faut que les autorités étatiques, religieuses, traditionnelles et coutumières mutualisent leurs efforts pour éduquer la population sans complaisance dans les valeurs ancestrales, et appliquer rigoureusement et strictement les lois sans aucun clientélisme politico-religieux.
Une Nation ne se construit jamais dans l’indiscipline. Celle-ci est le vice de tout progrès et de tout développement d’une société.
Notre défunt Khalife Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Maktoum «qu’Allah l’agrée» disait : «une patrie doit être lavée soit par le sang, soit par la sueur de ses fils» ou les deux à la fois, c’est-à-dire se battre pour la libérer de l’emprise des oppresseurs étrangers et travailler durement pour son développement.
Le dernier scandale suscité par la fuite des épreuves du baccalauréat 2017 montre que les responsables de nos écoles sont corrompus au plus haut niveau et tout le monde cherche le moyen le plus facile pour s’offrir une 4×4 de la dernière génération.
Il faut signaler que le Sénégal a raté le train en marche dès l’aube de son indépendance après avoir été la capitale de l’Aof, avec ce que tout cela requiert comme privilège et procure comme moyen. Toute une décennie durant, les Sénégalais vivaient dans des slogans de supériorité intellectuelle et civilisationnelle, dans le lyrisme et l’irréalisme qualifiant les autres de «Niack», de «cons».
La vie des Sénégalais était longtemps façonnée dans l’imaginaire.
Les lois sont faites pour faire plier et non pour faire plaisir
Le constat amer est qu’à chaque fois qu’un drame se produit, les autorités annoncent des mesures répressives mais elles ne s’appliquent que conjoncturellement et sporadiquement. C’est le cas palpable du transport qui, malgré les mesures annoncées par les hautes autorités pour diminuer considérablement les récurrents accidents de circulation, reste inchangé. Les gros porteurs ne respectent généralement pas le tonnage de chargement autorisé, les conducteurs du transport en commun continuent à presser les voyageurs comme dans des boîtes de sardines avec le système de «Versailles» dans les cars (purement sénégalais) et ne respectent point le code de la route. Les conducteurs des motos Jakarta refusent de porter une casquette sous le prétexte de la chaleur.
En pleine ville, sur les corniches, sur la Vdn à Dakar, les charrettes, les voitures de luxe, les vélos, les motos, les bus de Dakar Dem Dikk, les taxis clandos, les taxis bagages ou urbains, rivalisent incorrectement la priorité de passage ou le droit de stationnement.
Dans le transport interurbain, certains gros porteurs roulent sans lumière ni feu de signalisation, ni de détresse, ni de vieillesse, sous le regard d’impuissance ou de complicité des agents chargés de la circulation. Des fois, on est content quand on sait qu’il y a un officier de police qui guette les véhicules défectueux et les conducteurs violeurs de code de la route mais hélas, après une courte salutation de courtoisie suivie d’échange de poignées de mains, le camion s’enfile dans le noir comme dans un cercueil.
Ce qui est paradoxal, c’est que le conducteur de véhicule est plus digne que l’agent de l’Etat chargé de la circulation, c’est pourquoi l’interlocuteur de celui-ci est l’apprenti et non le chauffeur. Il est remarqué que le conducteur ne daigne même pas descendre de son véhicule pour récupérer son attestation de verbalisation ou son permis de conduire, mais il laisse le soin à son apprenti parce qu’il est, peut-être, l’argentier qui règle l’affaire selon la loi ou à l’amiable.
Les femmes de teint clair, généralement d’origine étrangère, continuent à défier les autorités, faisant fi de l’interdiction du port de hijab qui couvre tout le corps, on les croise dans les rues, les marchés et les grands espaces sans qu’elles soient inquiétées du tout.
Le Sénégal est un pays à loi non de loi
En parcourant la législation sénégalaise on trouve un arsenal de lois et de règlements. Le Sénégal a signé et a ratifié plusieurs lois et conventions internationales mais il peine à les appliquer à la lettre, notamment en ce qui concerne la protection de l’enfant contre la mendicité, celle de l’environnement et de la femme.
Les enfants de la rue sont de retour avec leur éternelle boîte de conserve de tomate pour mendier au nom de l’école coranique «Daara», alors que la loi le bannit.
J’ai été tellement ravi de l’annonce de Monsieur Bamba Fall, de sa décision courageuse d’interdire la mendicité sur l’étendue de sa commune. Pour marquer mon adhésion à cette mesure, je lui ai adressé une lettre de félicitations, mais combien j’ai été surpris et abattu lorsque je me suis trouvé devant la mairie pour déposer cette lettre, c’est un groupe de talibés qui m’a accueilli sous le regard des vigiles, comme si de rien n’était.
Les arbres sont coupés, mutilés, écorcés, émondés et brûlés sans autorisation.
Les artères des villes sont devenues nues, dépourvues de leur paysage. On abat les arbres sans avoir le moindre souci de les remplacer. Les arbres importés dans les années soixante se substituent aux essences «originales » comme les khayes dans plusieurs avenues et boulevards des grandes villes.
Le tourisme urbain est moins attrayant car les avenues sont bordées des essences européennes.
Les terres arables, les zones humides, les bas-fonds, les dépressions jadis réservées aux cultures vivrières sont morcelées en parcelles, sans aucun plan d’aménagement viable, pour satisfaire la demande sociale en logement ou pour remplir la caisse de la commune par les recettes tirées de taxes de bornage ou de frais de mutation …
Les routes sont barrées à toute occasion : match demi-camps des enfants du quartier, tanebêr, simb, dahira, gamou, conférence, baptême, sabar, … alors qu’elles sont le bien commun des populations.
Les affiches sont collées de façon anarchique sur tous les murs et les supports. On écrit partout, on désigne l’effigie des marabouts et des figures nationales partout, on mélange pêle-mêle les photos des chanteurs, danseurs, lutteurs, hommes politiques et guides religieux dans un décor odieux.
Le jeune douanier gagne mieux que le jeune agronome. Les rabatteurs «coxeur» des «cars rapides» sont plus fortunés que le chauffeur du véhicule.
L’amour du métier n’est plus à la vogue. L’éthique et la déontologie sont l’affaire des ignares non instruits. Tous les moyens sont valables pour s’enrichir.
Le constat est inquiétant et préoccupant pour un pays qui aspire à l’émergence.
Sénégalais, Sénégalaises l’indiscipline, l’incivisme et l’anarchie nous éloignent du rendez-vous de l’universel, du progrès et du développement.
Dr El Hadji Ibrahima THIAM
Chercheur
thiamsane@yahoo.fr