Avant de m’aventurer dans le but du sujet, permettez-moi d’abord de m’incliner, une fois de plus, devant la mémoire des victimes, de présenter mes condoléances aux familles des victimes et d’exprimer ma compassion aux blessés suite au drame du Stade DEMBA DIOP.
Ainsi, après la période de renouvellement des instances de prise de décisions du Football Sénégalais, « Parlons Foot » comme le nom de l’émission sportive animée par la célèbre journaliste sportive Mame Fatou Ndoye. Et oui ! Parlons foot, parlons du Football Sénégalais. Mais comme au début de tout match officiel, une présentation et une salutation des officiels, joueurs et arbitres s’opèrent avant le coup d’envoi. Ainsi, avant notre coup d’envoi, présentons le Football Sénégalais ou plutôt les débuts du Football Sénégalais.
À la même année que le Sénégal ait obtenu son indépendance, la Fédération Sénégalaise de Football (FSF) est fondée en 1960. Une année après, le premier match officiel du Sénégal a lieu le 31 décembre 1961, à l’extérieur, contre le Dahomey (actuel Bénin), qui se conclut par la défaite sénégalaise 2 buts à 3 (premier hors-jeu du Football Sénégalais). La Fédération Sénégalaise de Football (FSF) est affiliée à la FIFA depuis 1962 et est membre de la Confédération Africaine de Football depuis 1963.
Ce rappel historique nous montre suffisamment que notre pays a, très tôt, structuré son football au plan institutionnel. Cependant, après 57 ans de son premier coup de sifflet, notre pays a dans son actif, un championnat dit professionnel et très concurrencé par le « Navétane » (Championnat populaire organisé pendant les vacances). À cela s’ajoute 14 participations à la CAN (en 30 éditions), dont une finale en 2002, 2 demi-finales, 5 quarts de finales et 6 éliminations au premier tour.
Outre ces statistiques de notre football au niveau continental, nous avons une qualification à la coupe du monde en 2002 et aux jeux olympiques en 2010. Cependant, le fair-play du Football Sénégalais reste à désirer. Si ce n’est pas l’arbitre qui est la cause d’une de nos défaites, c’est le pays organisateurs ou les problèmes personnels de nos dirigeants et ceux de la CAF qui sont toujours indexés pour justifier notre élimination ; sans oublier les complots de maraboutages entre joueurs ou la puissance mystique de l’équipe adverse (« XON »), charabia auquel je n’y crois personnellement pas. Toutefois, il ne s’agit pas de faire le bilan de notre football mais d’avoir une idée de notre statut.
En effet, depuis notre participation glorieuse à la coupe du monde 2002, on a tendance à croire que nous sommes une grande nation de football, que nous faisions partie des grands du Football Africain. En réalité, rien n’est de tel. Contrairement à ce que l’on nous fait croire, nous avons beaucoup d’exploit à réaliser pour mériter le titre « Grand d’Afrique » comparé aux véritables nations de football en Afrique. Nous sommes en réalité hors du jeu des grands d’Afrique. Ce qui nous amène à poser deux questions : qu’est-ce qui fait une grande nation de football en Afrique? Et peut-on considérer le Sénégal comme grand d’Afrique ?
Réfléchir sur le statut du football Sénégalais, revêt un intérêt pratique dans la mesure où du 12 au 13 Août passé, nous avons assisté à l’élection du Président de la Ligue Sénégalaise de Football et du Président de la Fédération Sénégalaise de Football. Ces deux élections à forts enjeux pour l’avenir du football de notre pays ont tenu en haleine la presse sportive sénégalaise.
Ces deux interrogations ci-dessus, nous permettrons d’avoir un match à deux mi-temps avec une prolongation. Les premières 45 minutes vont se solder par les critères qui font une grande nation de football en Afrique et la 2e partie va voir les arguments qui nous permettront de savoir si le Sénégal peut être considéré comme un grand d’Afrique ou non. La seule différence est que ce match ne se jouera pas dans un stade avec des gradins et un gazon vert sur lequel sont tracés des traits blancs pour désigner le rond central, les surfaces de réparation, les points de corners et de penalty ainsi que les limites du terrain. Le stade de notre match est une feuille et le gazon est de couleur noire. Notre match qui se joue noir sur blanc, a comme arbitre la conscience collective de ses lecteurs et les « j’aime, j’adore, haha, triste… commentaires et partages » seront laissés à l’appréciation des supporteurs de l’ère numérique.
Coup d’envoi ! Le statut « grand d’Afrique » sur le plan du football ne se trouve pas à élisant des Présidents de Ligues et de Fédération. D’autant plus que le foot ne gagne pas sur le papier mais sur le terrain. Il faut remporter au moins une Coupe d’Afrique des Nations comme l’Égypte (7 fois Champion d’Afrique), le Cameroun (5fois), Le Nigéria (3fois) etc. Il faut un championnat professionnel au top comme ceux de la Tunisie, du Maroc, de l’Afrique du Sud…
Il faut aussi au moins un club qui a une fois gagné la coupe de la CAF ou la Coupe de la Ligue des Champions, la Coupe des Vainqueurs de Coupe et participer à la Coupe du Monde des Clubs comme TP Mazembe, le Raja de Casablanca, l’Espérance Sportive de Tunis… Il faut également des infrastructures sportives aux standard internationaux et non des terrains d’entrainement comme c’est le cas actuellement. Et enfin, avoir des joueurs dans les plus grands clubs du monde et jouant des rôles décisifs à l’image de Georges WEAH, Samuel ETO’O, Didier DROGBA, Seydou Keita … capables de faire la différence à chaque fois que la sélection se trouve en situation critique ; ce qui les amène à gagner régulièrement le ballon d’or Africain. Il faut un palmarès pétri de trophées pour avoir le statut « grande nation de football ».
Je ne suis pas un expert footballistique mais à mon avis, ces critères ci-dessus font partie du minimum pour mériter le titre « Grand d’Afrique ». Etant donné que nous sommes en fin de la première mi-temps de notre match, je vous permets d’être des entraineurs et de faire des modifications tactiques et des remplacements si les éléments ci-dessus ne sont pas exacts.
Quant à la deuxième partie (2e question) nous allons donner quelques éléments de réponses. Le Sénégal se dit grande nation de foot mais en réalité n’a jamais vraiment réussi à confirmer sa place de Grand d’Afrique. D’abord, à l’exception de l’équipe de Beach soccer, l’équipe nationale de football Sénégalais n’a jamais brillé au sommet du football continental toute catégorie confondue. Notre vitrine de trophée est vierge. Notre plus grand exploit reste la finale de 2002 au Mali. Ensuite le championnat Sénégalais ressemble à tout sauf à un championnat professionnel.
La preuve aucun joueur ou entraineur du championnat ne perçoit 1 million comme salaire mensuel de son club. Aucun joueur du Championnat sénégalais ne peut dire non aux recruteurs étrangers pour la simple raison qu’il se sent bien dans son pays (référence faite aux joueurs egyptiens). Aucun club Sénégalais ne peut rivaliser avec les clubs comme ASEC Mimosas d’Abidjan, Espérance sportive de Tunis… Résultat, aucun club sénégalais ne peut espérer passer le premier tour des compétitions Africaines de clubs. Et on va devoir attendre pour voir le drapeau Vert Jaune Rouge avec l’étoile verte se hisser à la Coupe du Monde des Clubs. Quant à nos joueurs, la valeur marchande des joueurs Sénégalais est très largement en dessous de leurs collègues notamment les Yaya Touré, Samuel ETO’O, Seydou KEITA… et rare sont ceux qui ont été recrutés et qui sont restés titulaires durant toute une saison dans les 5 plus grands clubs du monde.
Seul un est détenteur du ballon d’or Africain (à 2 reprises) comme pour sauver l’honneur. En ce qui concerne les infrastructures, n’en parlons même pas car c’est là où le bât blesse. Deux illustrations suffissent pour justifier la vétusté de ces dernières. Le premier exemple est celui de 2013 suite à la suspension du Stade Léopold Sedar Senghor, unique stade aux normes internationales, après la défaite concédée à domicile face aux éléphants de la Côte d’Ivoire. Le Sénégal était obligé de recevoir au Maroc parce qu’il n’avait pas sur son banc de remplacement des stades aux normes internationales sur toute l’étendue du territoire national suite à la suspension du dit stade après l’interruption violente du match par les supporteurs qui n’ont pas la discipline et le courage d’« Allez Casa ».
Une faute que la CAF a sanctionné non pas par un carton jaune mais par un carton rouge direct. Pour le deuxième exemple, le drame survenu au Stade DEMBA DIOP nous prouve à quel point notre pays manque d’infrastructures sportives. L’absence d’infrastructure aux normes internationales est l’une des raisons qui font que le Sénégal ne peut pas respecter le cahier de charge de la CAF, pour postuler à l’organisation de la CAN. Comment peut-on croire que nous sommes une grande nation football avec zéro palmarès zéro trophée zéro infrastructure sportive de qualité ? Fin du temps réglementaire !
Au vu de tout ce qui a été dit, je vais profiter du temps additionnel pour emprunter l’expression du coach en développement personnel Joel Pie William GBAGUIDI : « vrai de vrai de vrai » le foot Sénégalais va mal. Le foot Sénégalais manque de joueurs de qualité capable porter l’équipe nationale dans des situations décisives. Le foot Sénégalais manque d’hommes qu’il faut à la place qu’il faut. Le foot sénégalais manque d’ambition sincère. Lors des récentes CAN, nous savions tous que nous n’avions pas tout ce qu’il faut pour devenir championne d’Afrique mais on nous faisait toujours croire que cette fois-ci c’était la bonne et en fin de compte on s’est donné rendez-vous à la prochaine fois. A quand cette prochaine fois ? Il manque également de vision politique claire. Aucun régime des deux alternances n’a fait du football (et le sport en général) sa priorité en investissant sur des infrastructures sportives modernes, polyvalentes, fonctionnelles et capables d’accueillir des compétitions nationales et internationales d’envergure.
Seulement comme disait Djibril Serigne Touba Badiane : dans « un pays où les vrais problèmes sont mis de côté au profit de la polémique. Les gens ne travaillent pas, sont dans des futilités et magouilles qui ne mènent à rien. Aucun sérieux dans ce que nous faisons, nous sommes dans une aisance totale et le laxisme a fini par triompher dans la conscience collective ». Je parle aujourd’hui du Football, parce que c’est le foot qui est à l’actualité et par ailleurs, c’est la discipline sportive la plus dominante, mais en réalité c’est le sport Sénégalais qui est malade. Le sport Sénégalais va mal et c’est la même maladie à l’école, à la santé, à la justice, bref dans tous les secteurs clés du Pays. Mais bon, en bon Sénégalais « grawoul » (ce n’est pas grave) « dina bakh » (ça ira), « Y’ALLAH bakhna» (DIEU est Grand) Fin de match !
Généralement, après chaque match les téléspectateurs et auditeurs ont droit à une analyse d’un chroniqueur sportif ou d’un journaliste pour tirer les leçons du match. Je n’ai pas la mémoire d’Abdoulaye DIAW, ni le talent d’Aboubacry BA encore moins l’éloquence de Pape Biram Bigué NDIAYE, mais à leurs places, je dirai que les leçons de ce match sont : la redynamisation de toutes les catégories de notre football, la professionnalisation du championnat, les moyens de financement durable des clubs, l’autonomisation de la fédération, la construction de nouvelles infrastructures aux standards internationaux, et enfin une administration managériale dirigée par des personnes de valeurs qui n’ont pas l’ambition de vivre de notre football mais de le faire vivre. Tout cela ne peut être possible sans une volonté politique de l’Etat à la hauteur de l’ambition « Grand d’Afrique », soutenue par une population (des supporteurs responsables et disciplinés) qui a soif de grandeur. Il est clair qu’aux allures où les choses vont, ce n’est pas demain notre heure de gloire.
Le football est plus qu’une industrie et fait partie des moteurs de développements de plusieurs grandes nations. A côté du football, la lutte, les arts martiaux, l’athlétisme… bref toutes les disciplines sportives sont des vecteurs de progrès. Tous les pays qui ont pu prendre au sérieux le sport, ont pu en faire un secteur porteur projet et de changement positif. Comme disait mon entraineur politique, Nelson Mandela :
« Le sport a le pouvoir de changer le monde. Il a le pouvoir d’unir les gens d’une manière quasi-unique. Le sport peut créer de l’espoir là où il n’y avait que du désespoir. Il est plus puissant que les gouvernements pour briser les barrières raciales. Le sport se joue de tous les types de discrimination ».
Pour conclure, je souhaite bonne chance aux lions pour le prochain match contre le Burkina Faso et pour tous les autres matches mais également aux lionnes du Basketball présentement à Bamako pour l’Afro basket. Elles, au moins, méritent le titre de « grandes d’Afrique ».
Cheikh Ibra FAYE