La mise en place d’une politique de développement endogène à résultante agro-industrielle massive, est l’élément clé qui doit accompagner l’introduction d’une monnaie nationale afin de financer et transformer notre économie.
La situation actuelle n’offre pas de perspectives. La BCEAO n’a pas d’influence sur les banques. La France n’a pas grand intérêt à perdre son levier sur les pays dans sa zone d’influence. L’Etat n’a pas d’argent. Les bailleurs financent au compte-goutte. Alors que nos artisans, industriels, agriculteurs ont de la capacité à produire pour nos consommateurs.
C’est de cash dont notre économie a besoin. Cette marge de manœuvre, nous ne l’avons pas avec le CFA. Nous pouvons la créer avec responsabilité, en assurer la stabilité et la mettre au service de nos objectifs. Une monnaie nationale d’usage restreint, garantie par nos revenus pétroliers, serait un levier d’opportunité pour le Sénégal. Notre monnaie nationale coexisterait avec le FCFA. Libre à tout le monde d’utiliser ce qui lui sied. C’est l’objet cette contribution.
Le débat sur le FCFA fait souvent l’objet de joutes opposées passionnées entre les tenants d’une ligne de souveraineté monétaire et ceux qui se réclament d’une ligne de pragmatisme monétaire rationnel. Cette bataille devrait laisser place à la discussion de solutions permettant tout à la fois, de conserver la dynamique d’intégration CEDEAO, la stabilité de nos économies, la qualité des relations avec la France et surtout, apporter les changements qui seront porteurs de mieux pour les citoyens.
On ne doit quitter un bien que pour un mieux. La monnaie n’est qu’un instrument de l’économie. C’est donc les problèmes propres à cette économie qui doivent déterminer ses solutions spécifiques. Ce n’est pas tâche aisée puisque en matière de monnaie, lorsqu’un système est déjà établi, le statut quo domine. Le dénoncer urbi et orbi n’est pas suffisant, encore que cela participe à la sensibilisation. Il ne suffit pas de sortir du franc CFA pour sortir du sous-développement mais l’instrument monétaire mérite considération. Le débat économique sur la monnaie est là. L’angle de la souveraineté ne se discute pas. Elle s’assume. Il suffit que nos Etats en décident. C’est inévitable.
En attendant, le Sénégal pourrait adopter et émettre une monnaie nationale d’usage restreint. Le choix du Sénégal ne se fera pas contre la CEDEAO, mais plutôt, en accord avec les pays membres. Tous les pays ne veulent pas d’une monnaie nationale. Et tous ne peuvent soutenir une monnaie nationale. En principe, tant que ce n’est pas contraire aux objectifs économiques communs poursuivis, une telle option pourrait être négociée et admise par les pays membres. Cette monnaie nationale servirait pour payer tous les produits et services publics : dette publique intérieure, salaires des agents publics, impôts, marchés publics, bourses, subventions. Elle sera garantie par les devises des revenus qui viendront des hydrocarbures, avec une proportion qui sera au moins égale à 50% de ces revenus, si ce n’est 100%. Ces revenus pourraient atteindre 40000 milliards dans les 20 prochaines années. Elle ne sera pas convertible.
Vous ne pourrez pas aller dans une banque et demander qu’on vous la change en FCFA ou autre monnaie. Vous ne pourrez que l’utiliser dans une transaction commerciale ou financière ou alors la placer dans un compte en unités de cette monnaie nationale. Nul ne pourra la refuser. Ni banques, ni commerçants, ni particuliers. Elle aura un caractère libératoire et fiduciaire, elle sera acceptée par tous. Nul ne pourra la refuser. Elle aura cours légal partout au Sénégal.
Le Sénégal mettra en place une autorité chargée d’émettre cette monnaie, en tenant compte de nos objectifs économiques, qui seront aussi en phase avec les critères de la CEDEAO. Son équivalence avec le CFA sera administrée par cette autorité monétaire, avec un taux déterminé, administré, managé, variable. Nul ne pourra appliquer ou exiger un autre taux de calcul. Ce serait un délit d’usure réprimé par la loi. Naturellement, l’Etat n’a aucun intérêt à déséquilibrer son propre système économique et financier, en menant une politique inflationniste. Son usage sera restreint.
Pour un pays comme le Sénégal, le contrôle de la politique monétaire ne sera pas compliqué. Il a besoin d’être encadré, structuré et clairement aligné sur nos objectifs de politique économique. Cet encadrement déterminera aussi les paramètres aux questions suivantes : A quel taux de change serait initialement fixée cette nouvelle monnaie par rapport au Franc CFA ? Serait-il fixé de manière fixe et permanente ou flottante au quotidien ou au besoin par l’autorité ? Son taux serait-il déterminé par l’Etat ou le marché financier ? Comment s’assurer que le marché noir ne va pas le pervertir ? Quelle seraient les mécanismes pour s’assurer qu’il n’y a pas d’inflation monétaire ? Comment coordonner la politique monétaire nationale par rapport à celle régionale de la BCEAO ?
Ces réponses relèvent des techniques de gestion monétaire. Elles se posent pour toute monnaie. Il est donc inutile, dans le cadre de cette contribution, d’en développer les mécanismes. Ils s’appliqueront simplement.
Partons de là pour illustrer les avantages d’un tel instrument monétaire sur la base des objectifs économiques suivants : Réduire l’extraversion excessive de notre économie, financer l’industrie nationale et la consommation endogène pour ces produits. Disposer d’une monnaie ne suffit pas atteindre pour ces objectifs. Mais, des lors que notre dispositif est en place, voilà ce que nous pourrons faire.
Les agents du service public seront payés avec cette monnaie. Les marchés publics seront aussi payés avec cette monnaie nationale. Les investissements publics seront financés avec cette monnaie. Le déploiement d’un plan d’agro industrialisation est consubstantiel à la proposition pour l’adoption d’une monnaie nationale.
L’Etat pourrait déterminer avec cette monnaie, une enveloppe d’investissement de 15 000 milliards (en ressources nouvelles, compte non tenu des ressources actuelles) pour les 7 prochaines années, pour financer l’agro-industrialisation.
Un montant équivalent issu des revenus pétroliers sera conservé en devises de réserves, assurant ainsi la confiance des populations pour cette monnaie.
L’investissement massif de 15 000 milliards ira vers la mise en place de plateformes de production sur l’ensemble du pays afin de faciliter le développement agro industriel, partout, sur l’ensemble du pays, et non dans quelques domaines choisis.
Les moteurs de production doivent être allumés sur tout le pays, dans chaque terroir. Chaque terroir a un potentiel de production. Ce qui leur manque, c’est le financement. Cela aura l’avantage de favoriser la fixation des populations par les opportunités locales.
C’est cette dynamique dont nous avons besoin pour lancer une industrialisation portée non pas par quelques grandes entreprises, mais par des centaines et milliers d’unités, travaillant sur l’ensemble du pays, intégrées en chaînes de valeurs.
Cette forme de dynamisme micro-industriel à l’échelle nationale va favoriser l’emploi, la redistribution des richesses et l’innovation. Les maillons faibles liés à l’approvisionnement, la logistique et les infrastructures seront comblées par l’Etat.
Les sociétés étrangères auront leur place dans ces chaînes de valeurs, dans certains cas pour leur savoir-faire, dans d’autres pour la fourniture de matières premiers ou encore dans l’exploitation de plateformes techniques.
Si nous ne disposons pas d’un tel dispositif, il est facile de prévoir que les revenus gagnés de notre pétrole vont être réinjectés dans l’économie et ressortir du fait que notre consommation est extravertie. Le Cameroun, le Gabon, le Congo, l’Angola, l’Algérie, le Tchad et le Nigeria ont exactement vécu ce phénomène.
Ces pays, qui ont des revenus pétroliers depuis près de 25 ans, ont dépensé tous leurs revenus pour leurs consommations. Même si la gabegie des pouvoirs publics a joué un rôle dans cette situation, il est important de comprendre que ces pays n’avaient pas de dispositif pour éviter l’extraversion de leur économie et la sortie des revenus pétroliers qui s’en est suivie.
Les pays de la CEMAC vont devoir maintenant passer par un plan d’ajustement structurel avec le FMI ou subir la dévaluation. Ce qui ne changera rien. Nous sommes déjà passés par là et nous pouvons nous retrouver en ajustement.
Le Sénégal est en position pour capitaliser sur toutes ces expériences et innover. Il bénéficie de stabilité politique, de fondamentaux économiques stables, d’une capacité de diversification de l’économie, d’une position géostratégique intéressante et de ressources nouvelles qui exigent autre chose que de les dépenser comme des ressources ordinaires. Le pétrole est une ressource stratégique, un levier dont les revenus peuvent soutenir une politique intelligente de développement industriel local.
Amadou Guèye
Président de l’UNIS