De toute la planète, le Sénégal est sans nul doute le pays le plus porté vers le fatalisme à outrance, adossé à un sempiternel et inusable «ndogalou yalla». Ce «ndogalou yalla», version sénégalaise, plonge le pays dans un mélodrame psycho-social qui ne s’interrompt jamais et qui met en péril notre droit d’exister, en tant qu’être humain, tout court.
Au Sénégal, comme pratiquement dans tous les pays du monde, la notion de droit figure dans tous les textes fondamentaux qui régissent la marche de la Nation. De façon théorique, le Sénégalais a quasiment le droit à tout. Le droit d’être soigné convenablement quand il est malade, le droit d’être à l’école quand il en a l’âge, le droit à l’eau potable, bref le droit aux services sociaux de base pour rendre meilleure son existence sur terre.
Mais c’est dans la pratique qu’on se rend compte qu’en réalité, le Sénégalais n’a droit à rien. Le fameux «ndogalou yalla» fait que, quand on meurt par négligence dans les hôpitaux, ce n’est pas le praticien négligent qui est coupable, mais c’est Dieu qui a décidé ce jour-là de t’arracher ton âme.
C’est juste un exemple pour décrier et dénoncer encore une fois les mouroirs par excellence que constituent nos hôpitaux. Malgré la bonne volonté affichée par nos autorités sanitaires pour amener le prestataire à respecter le patient en tant qu’être humain, rien ne change. Au contraire, les choses vont de mal en pis. Il suffit que le malade franchisse le portail d’une structure de santé pour qu’il perde tous ses droits. Nous tous avons été témoins, ne serait-ce qu’une fois, des pires «sévices» exercés sur un parent malade jusqu’à ce qu’il rende l’âme, sans que le prestataire ne s’en émeuve. Pour lui, c’est juste une page de tournée, en attendant la suivante. Il n’y a pas d’accompagnement dans les structures de santé, encore moins de conseils-orientations, ou si c’est le cas, c’est fait avec mépris au point de rendre le patient plus fragile et désespéré.
Cette négligence coupable devrait voir éclore de nouvelles races de consuméristes. Des défenseurs des consommateurs qui seraient à même de pouvoir faire condamner un prestataire quand il s’avère que celui-ci a fait preuve de négligence sur la vie d’un patient. Il faut qu’on en arrive à brandir et maintenir une épée de Damoclès sur la tête des prestataires de soins pour qu’ils cessent de jouer avec la vie des malades au Sénégal. Il apparaît aujourd’hui qu’à défaut d’un Etat fort et craint, seules ces associations de consommateurs peuvent être la panacée.
Cela devrait être aussi valable dans le domaine de l’éducation, des autres services sociaux de base comme l’eau, l’électricité et même les télécommunications et les banques dans une moindre mesure. Dans ce pays, le droit du citoyen est tellement banalisé qu’on peut le priver de l’eau potable pendant une semaine sans qu’aucune sanction ne s’abatte sur le responsable de cette pénurie. Celui-ci d’ailleurs a le loisir d’interrompre à tout moment la distribution de l’eau potable et servir des explications totalement désinvoltes et parfois tirées par les cheveux sans aucune suite. Le citoyen qui a le droit d’avoir de l’eau potable et de façon continue peut toujours se lamenter, suer sang et eau, pour disposer du liquide précieux sans aucun soutien. La société qui fournit de l’eau potable ne perd jamais rien et peut même se permettre de gonfler des factures d’eau pour booster sa comptabilité, quand cela lui chante.
Le consommateur, lui, ne sait pas à quel saint se vouer et se voit contraint de régler sa facture sous peine d’être privé d’eau. Si la société qui distribue de l’eau potable se savait surveillée et acculée, elle réfléchirait par deux fois avant d’interrompre la distribution quelle que soit la raison, ou de gonfler des factures selon les besoins de sa comptabilité. Ne parlons même pas de la société d’électricité qui a battu le record d’appareils électroménagers bousillés sans aucune forme de compensation du client ! Celui-ci peut se morfondre dans la douleur, en plus de devoir supporter les factures de sa consommation d’électricité, la société elle n’en a rien à cirer.
La négligence du droit du consommateur sénégalais est également perceptible dans les télécommunications, notamment dans la téléphonie mobile, où la société qui se dit leader se permet tous les écarts. Le vol opéré sur le crédit de ses clients n’émeut même plus personne. Ce qui est inacceptable par contre, c’est la médiocrité fréquente du réseau sans aucune compensation au bénéfice de l’abonné. Son droit est foulé au pied au mépris de toutes les règles contractuelles et devant l’impuissance chronique des associations consuméristes existantes. On va sans doute nous opposer l’argument selon lequel l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp) s’érige en arbitre et défenseur des consommateurs, sauf que les sanctions pécuniaires infligées aux sociétés de téléphonie profitent plus à l’agence de régulation et à son fonctionnement qu’aux consommateurs.
Le droit du consommateur sénégalais est bafoué dans les banques, où le vol et la rétention organisée de l’information sont monnaie courante. Des pères et mères de famille sont ruinés, parfois grugés injustement par des établissements bancaires, sans qu’ils ne soient défendus et rétablis dans leurs droits.
Le Sénégal est un pays tellement bizarre où les commerçants, ou encore les transporteurs s’adonnent allègrement à la hausse des prix, quand cela leur chante, sans aucune sanction des services dédiés. La conséquence, c’est que le consommateur vit les mêmes travers à la veille par exemple de fêtes qui nécessitent des dépenses et des déplacements à l’intérieur du pays. Malheureusement, aucune des associations existantes ne fait le poids devant les sociétés citées plus haut, les commerçants et les transporteurs.
Il devient urgent aujourd’hui de créer de nouvelles associations consuméristes plus fortes et crédibles, à défaut de pouvoir reconstituer celles qui existent depuis Mathusalem et qui sont dirigées par les mêmes personnes depuis leur création. Le consommateur d’aujourd’hui est devenu plus exigeant, et à juste raison. En l’absence de l’Etat, il faut des organisations de personnes privées qui ont des moyens assez conséquents pour protéger le droit de ce consommateur, faudrait-il en revanche que celui-ci y mette du sien en termes d’engagement.
Dans beaucoup de pays, comme les Etats-Unis, les associations consuméristes constituent de solides boucliers pour les consommateurs. Il leur arrive très souvent de porter plainte pour non-respect du droit du consommateur et d’obtenir réparation du préjudice causé. Mais ce sont des instances dirigées par des personnes désintéressées, qui ont un travail qui leur assure une vie décente ; donc qui n’ont pas besoin des perdiems des séminaires ou des postes de prestige pour vivre grâce à leur statut de défenseur des consommateurs.
Il faut qu’on accepte, en tant que consommateurs qui ont des droits, de nous engager et de nous mobiliser pour défendre ce qui doit nous revenir de droit. On vit dans un monde où rien ne se donne. Tout s’arrache, y compris son droit le plus élémentaire.
Aly FALL
Journaliste