Il est encore difficile de croire comme le soutiennent certains hiérarques que l’enseignement et l’éducation formalisés au sein d’institutions et de structures scolaires sénégalaises continuent de subir les avatars d’une crise civilisationnelle mondialisée.
Comme cela a été relevé avec les remous au sein des différents campus universitaires de par le monde et dont le point d’orgue a été situé depuis mai 1968.
Les soulèvements des soixante huitards de l’université de Dakar, comme on le sait, ont relevé moins de la revendication de conditions matérielles décentes que du soulèvement contre l’establishment d’un système d’enseignement et d’éducation soutenu localement et participant à la pérennisation de valeurs dominatrices et oppressives étrangères.
Devant la persistance des convulsions et des crises cycliques de l’école sénégalaise, l’on a dû faire vaciller les grilles de lecture et les œillères, pour essayer de mieux cerner et d’appréhender des causes autres et d’autres motivations, plus conformes à la proximité et à la réalité du vécu quotidien de nos institutions scolaires.
Les états généraux de l’éducation convoqués en 1981 par le régime du président Abdou Diouf sous la férule du ministre de l’éducation d’alors, l’agrégé en histoire le professeur Iba Der Thiam, ont eu à diagnostiquer et à éplucher les maux et les problèmes de l’école sénégalaise. Pour y apporter des solutions, des tonnes de conclusions que ne saurait contenir un seul gros porteur, issues de la réflexion d’experts et des acteurs du domaine, ont été livrées. Au centre des préoccupations, la construction d’une école d’intérêt national. Malheureusement ces conclusions ont fini par être soumises à la « critique rongeuse des souris ».
Et 1988 les portes de l’école sénégalaise ont été fermées, en pleine année scolaire. Cela a traduit éloquemment la nuit noire et la crise profonde et persistante dans laquelle elle a continué d’être engluée.
Sous le régime du président Abdoulaye Wade, l’école sénégalaise a aussi continué de tanguer en eaux troubles. En dépit d’actes majeurs posés pour endiguer les maux profonds et structurels d’un système.
Comme par exemple la création de 4 universités régionales (spécialisées) pour désengorger l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et pour mieux décentraliser et démocratiser l’enseignement. Mais aussi la généralisation des bourses et des aides pour l’ensemble des étudiants sénégalais et l’augmentation de la grille indiciaire des enseignants du supérieur notamment et des émoluments et indemnités alloués à la recherche, au logement, au déplacement.
Le remue- ménage a continué de marquer la vie d’une école sénégalaise devenue un champ clos de tensions, de débrayages, de grèves, avec leurs lots de sanctions, de rétentions de salaires, d’exclusions, d’emprisonnements, de morts sur l’asphalte.
Devant les autres acteurs que sont les parents d’élèves médusés, circonspects, dépassés. Toute la résultante ainsi des rapports demeurés conflictuels entre principalement les tenants du pouvoir politique, les enseignants, les agents et fonctionnaires du monde solaire et académique, les étudiants et les élèves.
Mais il faut le dire, c’est le conflit direct entre les autorités gouvernementales et les syndicats d’enseignants qui perturbe le plus la quiétude de la vie de l’école sénégalaise de manière générale.
Depuis plusieurs lustres, ces deux parties ont eu maille à partir du fait de désaccords, d’absence de consensus autour de points de plateformes revendicatives (promotion du statut de l’enseignant, avancement de grade, amélioration de salaire, paiement d’indemnités) posant des conditions matérielles et morales des travailleurs du monde de l’éducation et de l’enseignement.
L’ère Macky Sall a semblé afficher quelques dispositions volontaristes pour juguler le mal. Dans ce sens, l’apériste en chef a eu à annoncer bien avant, la couleur, en pleine campagne électorale présidentielle de 2012 où il a été au chevet des enseignants sur le pied de guerre contre le régime libéral de Wade. Il est parvenu, avec de simples promesses, à désamorcer la bombe en direction du monde scolaire et social.
Tant bien que mal, la seconde alternance a révélé quelques actes posés dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement (au plan infrastructurel surtout) et qui ont peut- être annihilé certaines ardeurs et la promptitude des syndicats de l’enseignement à vouloir, toutes les années, transformer l’environnement de l’école en un vaste brasier.
Les assises de Saly l’an passé sur la problématique de l’école sénégalaise avalisées par l’Etat et sous la supervision de COSYDEP ( Coalition des organisations en synergie pour la défense de l’éducation publique ) ont été aussi retenues comme une volonté des acteurs du monde de l’éducation de se retrouver autour de l’essentiel, pour juguler et enrayer les écueils et les scories qui font grincer la machine.
Les rencontres initiées en 2013 par CNAES ( Concertations nationales sur l’avenir de l’enseignement supérieur ) et en 2014 par l’ANEF ( Assises nationales de l’éducation et de la formation ) ont été aussi en droite ligne, sur un plancher où les acteurs de l’école et ses partenaires se sont ingéniés à la résolution des contraintes et des handicaps. Mais ce qui continue d’étonner, ce sont les recommandations issues de conseils présidentiels sur l’éducation, la formation et l’enseignement supérieur formulés par le président Macky Sall, dont la mise en place d’un comité de suivi, qui sont restées lettres mortes.
Les accalmies ( absence de grèves ) ont toujours semblé être une exception, une règle non établie et non admise dans les comportements naturels de ces syndicalistes brandissant de tout temps et en permanence la revendication matérielle et financière. Et cela, avec une position de jusqu’auboutisme exacerbée qui frise un égocentrisme notoire. Comme s’ils étaient les seuls travailleurs d’un pays, qui, du reste, a alloué 40% (même si c’est de façon irrationnelle) de son budget à l’éducation. Certains ont ainsi déjà annoncé la couleur avec dépôt de préavis de grève et menace de perturber l’école dès la présente rentrée scolaire.
Il est ainsi temps que ce syndicalisme nombriliste et alimentaire cesse, pour un syndicalisme patriotique, qui bannit le chantage, les menaces de grèves et de perturbations de la vie scolaire. Même s’il est en face d’un Etat aussi irresponsable, qui ne respecte pas souvent ses accords et ses engagements et qui joue au dilatoire. L’Etat doit se ressaisir, pendant qu’il est encore temps, au risque de compromettre et de précipiter sa propre survie. Parce que l’école est un tout.
Il faut le dire, l’école sénégalaise est malade de son Etat et de ses enseignants, surtout encagoulés et qui franchissent vite la ligne de démarcation entre syndicalisme et politique, principalement.
Les différentes parties la composant devraient être au chevet de ce grand malade pour s’ingénier et déployer leurs efforts et énergies à trouver des solutions aux multiples angoisses. Tels le déficit et le manque de formation des enseignants (l’an passé il est noté un ratio de 1 professeur de philosophie pour 2000 élèves dans quelques localités du pays ) , des enseignants qui ne bénéficient que de 6 mois de formation pédagogique au lieu d’une année). De Dakar à Saint- Louis, des classes de 100 élèves et des amphithéâtres de 1000 élèves au nombre ainsi pléthorique, meublent le paysage scolaire et universitaire. La norme étant de 45 élèves par classe. La prolifération des abris provisoires d’une triste renommé dans tout le pays est posée comme une solution de rechange. Une école aux résultats catastrophiques aux examens du secondaire et du supérieur (en 2016- 2017 il n’y a eu que 43% de réussite au baccalauréat), une école qui n’oriente pas tous ses bacheliers et d’où prévaut toujours l’inadéquation entre la formation et l’emploi.
Aujourd’hui, à l’ère du numérique et du digital l’école sénégalaise devrait aussi pouvoir choisir librement les contenus et les modules de sa formation adaptés aux politiques et aux objectifs de développement socio- économique. Pour un enseignement enraciné aux valeurs traditionnelles, religieuses, linguales, où la pensée et les oeuvres de Cheikh Ahmadou Bamba, de Cheikh Omar Foutiyou Tall, de El hadj Malick Sy, de Seydina Limamoulaye, de Kocc Barma Fall, de Ndamal Gossas, de Khaly Madiakhaté Kala, de Cheikh Anta Diop sont prodigués et sont au programme du primaire au supérieur. Bref, une école ancrée sur le génie propre du peuple sénégalais (l’exemple du pays des dragons est là). C’est cela qui permettra véritablement d’être au diapason de ce qui se conçoit de meilleur au monde, dans tous les domaines du savoir et de la connaissance humaine. Là, l’homo senegalensis retrouvera aussi sa véritable personnalité et sa dignité, d’homme libre et épanoui.
Mohamed El Amin THIOUNE