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Une Parole Présidentielle Dévaluée, Le Savoir Piétiné

Que vaut aujourd’hui la parole Macky Sall ? Un rapide examen des différentes réactions suscitées par sa sortie sur le nombre de mandats permet d’édifier sur ce qui lui reste comme crédibilité. Avant de répondre à la question, il me semble important et utile d’attirer l’attention sur la décadence du savoir au Sénégal, ce qui pourrait expliquer, à bien des égards, l’état de sous-développement dans lequel notre pays se trouve et risque de demeurer.

Le savoir piétiné

Il est incontestable que nous vivons aujourd’hui dans l’ère de l’économie du savoir que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) définit comme étant celle où la productivité et la croissance de l’économie, bref la « performance économique » des pays, dépendent de plus en plus du savoir, de l’éducation, de l’information et de la technologie.

Toutes les religions monothéistes exhortent à la recherche du savoir, car ce dernier précède l’action. Si nous prenons le cas de l’Islam, le premier mot révélé dans le Coran est « Lis », car la lecture conduit au savoir. Tout en exhortant les musulmans à chercher le savoir (aussi bien le savoir religieux que le savoir profane), Allah (SWT) met en garde contre les propos qui ne fondent sur rien lorsqu’Il dit « Et ne poursuis pas ce dont tu n’as aucune connaissance.» (Coran, 17 :36). Faut-il le rappeler, une fois de plus, que le prophète Muhammad (PSL) n’a laissé en héritage aucun bien matériel, ni une fortune quelconque, mais un savoir permettant aux musulmans de connaître leur religion et de pouvoir la pratiquer proprement. C’est pourquoi, dans la tradition religieuse musulmane, on considère les détenteurs du savoir comme des héritiers du prophète. Même l’austère et « archaïque » Arabie Saoudite a bien compris la place du savoir dans la religion, mais aussi son rôle de moteur dans le développement et la prospérité des nations, en créant, depuis 2009, la King Abdallah University of Science and Technology (KAUST), la doter d’un fond de 20 milliards de dollars et de mettre à sa tête un occidental, sorti des Arts et Métiers ParisTech et de Stanford, un ancien président de l’Institut de technologie de Californie (Caltech) dont plusieurs de ses professeurs ont été récipiendaires de prix Nobel.

J’ai fait sciemment tout ce long rappel pour bien faire comprendre que le Sénégal marche sur la tête. Je prendrai deux faits pour illustrer mon propos.

Le premier fait se rapporte aux agissements condamnables des étudiants de l’UCAD qui s’étaient permis, en décembre 2013, de déclarer persona non grata le Pr Souleymane Bachir Diagne et d’interrompre une conférence de Paulin Houtondji à laquelle le Pr Diagne devait participer au motif que ce dernier avait suggéré au gouvernement de relever les frais d’inscription. Ce fait qui relève d’une banalité au Sénégal est incompréhensible lorsqu’on sait que toutes les universités du monde, particulièrement occidentales, s’honoreraient de recevoir le Pr Diagne tant son érudition est appréciée et ses enseignements courus surtout que l’homme est classé parmi les parmi les 100 personnalités du monde les plus influentes.

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La seconde illustration est relative au fait que n’importe quel quidam peut se lever et se proclamer spécialiste de quelque chose et se permettre de remettre en cause les dires et analyses effectués par d’éminents professeurs d’université sur la base de l’état des connaissances dans leurs champs disciplinaires respectifs. Je n’ai nullement la prétention de mettre les professeurs d’université sur un piédestal, ni de considérer leurs paroles comme des vérités du Coran ou de l’Évangile. Bien au contraire, les arguments et éclairages apportés par les professeurs, sur chaque sujet qui secoue l’actualité nationale, doivent être débattus, voire réfutés avec une rigueur scientifique irréprochable pour espérer voir la lumière jaillir. Cependant, ce qui heurte, les personnes qui leur portent contradiction le font avec des arguments frivoles, dépourvus de tout caractère scientifique et frisant même la désinvolture. Leur seul but est de porter un coup à la crédibilité du messager et, par ricochet, discréditer le savoir tout court.

Ce fut le cas lorsque 45 éminents professeurs de Droit avaient signé une tribune commune suite à l’avis du Conseil constitutionnel et la décision de Macky Sall de ne pas réduire son mandat de 7 à 5 ans. Pour rappel, ces 45 professeurs s’étonnaient du fait que le Conseil constitutionnel, qui s’était toujours déclaré incompétent pour se prononcer sur les lois constitutionnelles, s’est subitement trouvé compétent pour se prononcer sur le projet de loi constitutionnelle que Macky Sall lui avait soumis. Ces professeurs considéraient, également, comme une curiosité, le fait que le Président Macky Sall ait considéré l’avis consultatif rendu par le Conseil constitutionnel comme une décision. On avait entendu et lu tout et son contraire de la part de certaines personnes, sans qualifications connues, parce que la prise de position de ces éminents professeurs ne les arrangeait pas et n’agréait pas leur maître Macky.

Tout récemment, 2 éminents professeurs (Babacar Gueye et Jacques Mariel Nzouankeu) se sont prononcés sur la possibilité qu’aurait Macky Sall de briguer un troisième mandat en 2024 advenant sa réélection en 2019. Pourtant, pour qui veut comprendre, leurs propos sont limpides. Ils sont étayés sur des bases juridiques solides notamment sur la décision du Conseil constitutionnel n° 1/c/2016 du 12 février 2016 qui rappelle que « le mandat de 7 ans n’était pas régi par l’article 27 de la Constitution. Il ne pouvait donc pas constituer l’un des deux mandats prescrits par l’article 92 de la Constitution » (Pr Jacques Mariel Nzouankeu). Autrement et simplement dit, le mandat de Macky Sall en cours ne fait pas partie du décompte du nombre de mandats. Ces deux éminents professeurs font l’objet d’un lynchage qui ne justifie pas et traités de nuls, parce que, tout simplement, ils viennent d’éventrer un leurre introduit dans la Constitution et qui devrait assurer à Macky Sall la possibilité de briguer un troisième mandat (à condition de passer l’étape de 2019).

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Une parole présidentielle dévaluée

Le Président Macky a dit qu’il « est dans la logique de ne pas dépasser 2 mandats ». On notera qu’il aurait pu être plus explicite, plus formel et plus ferme en déclarant, par exemple, moi Macky Sall, je partirai dans tous les cas de figure en 2024 après une réélection en 2019. Il a préféré rester dans le clair-obscur, car « être dans la logique de … » n’est qu’un chapelet de bonnes intentions et nullement un engagement ferme et formel. L’usure du temps et les circonstances (toujours exceptionnelles pour les thuriféraires) pourraient faire en sorte que ces belles intentions se muent en nécessité de conjurer un péril ou d’assurer la stabilité du pays (un État a toujours les moyens, tour à tour, de provoquer un incendie, puis de venir jouer au pompier), de terminer certaines réalisations, etc. Même si nous lui accordons le bénéfice du doute en considérant que ses propos sont sincères et sa décision irrévocable, cela ne nous empêcherait de nous poser la question de savoir que vaut la parole Macky Sall ?

À la lumière des faits, tirés de sa gouvernance « sobre et vertueuse », on peut affirmer, sans aucun doute, que sa parole ne vaut plus rien !

En effet, celui qui s’est fait élire sur la base de la profession de foi « la patrie avant le parti », a commencé son mandat par servir sa famille, sa belle-famille et ses partisans. Les nominations de Mansour Faye comme ministre, d’Aliou Sall comme patron de la CDC et tant d’autres sont là pour le prouver. Les récentes nominations-recasements (Éva Marie-Coll-Seck, Youssou Touré, etc.) de partisans ou le versement de dessous de table aux membres de sa coalisation ne font que confirmer que c’est son parti qui prime sur la patrie.

Celui qui avait fermement pris l’engagement de ne s’appuyer que sur un gouvernement de 25 membres, au maximum, nous impose un attelage de plus de 40 ministres siégeant au conseil des ministres et autant, voire plus de ministres-conseillers.

Celui qui avait fait campagne sur la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans a réalisé la prouesse de transformer un avis consultatif du Conseil constitutionnel en une décision avec, à la clé, un référendum qui a coûté (inutilement) plus de 15 milliards de nos pauvres francs.

Celui qui avait déclaré ne protéger personne, a lui-même affirmé avoir mis le coude sur plusieurs dossiers de prévarication relativement à la gestion des deniers publics.

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Celui qui avait proclamé une gestion « sobre et vertueuse » a vu son mandat entaché de scandales financiers les plus gigantesques depuis que le Sénégal est indépendant. Au nombre de ces scandales, on peut citer notamment les dossiers d’Arcelor-Mittal, de Pétro-Tim, de SNEDAI d’Adama Bictogo (remboursement généreux et suspect de 12 milliards), du Train express régional (TER) de Dakar (coût surévalué du projet estimé à 563 milliards). Une gestion dépourvue de toute vertu nous amené à un niveau d’endettement jamais égalé et qui qui hypothèque l’avenir de nos enfants (d’après le projet de LFI 2018 présenté il y a 3 jours en conseil des ministres, le service de la dette publique a évolué de 23,5% passant de 680 milliards de FCFA dans la LFI 2017 à 839,8 milliards de FCFA en 2018).

Last but not least. Au regard de tous ces faits, et bien d’autres, il s’avère que le Président Macky Sall est un habitué du « wax wakhète ». Il n’accorde pas, lui-même, aucun crédit à sa parole. Il passe tout son temps à se dédire, à dire une chose et son contraire. Par conséquent, il n’est pas digne de confiance.

Une écoute ou une lecture attentivement des propos du Pr Babacar Gueye et du Pr NZouankeu permet de se rendre compte que Macky Sall prépare, comme à son habitude, un coup fourré. Il agit comme un véritable boulanger qui roule tous ses adversaires et mêmes ses partisans dans la farine. Je m’en tiens aux avis éclairés des spécialistes que sont les Professeurs Gueye et NZouankeu. Notre constitution actuelle a besoin rapidement d’une clarification (avant les élections de 2019) en y insérant une disposition transitoire qui préciserait que le mandat en cours du Président de la République fait partie du décompte du nombre des mandats autorisés par l’article 27 de la présente Constitution. Si nous ne le faisons pas, le boulanger nous roulerait dans la farine, une fois de plus. Les propos du Pr Nzouankeu ci-après sonnent comme un avertissement en même temps qu’ils constituent une invitation à agir vite :

« l’article 27 de la Constitution ne peut pas faire l’objet de révision. Il entrera en vigueur avec l’élection présidentielle de 2019 à l’issue de laquelle sera conféré le premier mandat de 5 ans qu’il institue. A partir de ce moment, aucune révision constitutionnelle ne peut l’affecter, directement ou indirectement ».

 

Ibrahima Sadikh NDour

Ibasadikh@gmail.com

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