Par la présente note, nous voudrions contribuer à la réflexion quant aux efforts actuellement déployés ici et là, pour un meilleur devenir du cinéma sénégalais. Aujourd’hui, l’Etat du Sénégal a manifesté sa ferme volonté de faire du cinéma, une des pierres angulaires de sa politique culturelle.
Cette volonté s’est manifesté de façon significative dans le financement de la production de films. Ceci est notamment confirmé par le doublement du fonds alloué au FOPICA. Cette grande initiative ne saurait suffire. Nous souhaiterions voir l’implication des pouvoirs publics à une autre échelle, principalement, en posant des mécanismes d’impulsion de l’activité cinématographique, et assurer en même temps un suivi-évaluation du secteur.
Sous ces différents angles, l’Etat est invité à poser des gestes forts au moins sur les points suivants :
- I/ une nouvelle mission pour la Direction de la cinématographie nationale,
- II/ la mise en place d’un Centre de cinématographie,
- III/ une réflexion sur la Distribution et l’Exploitation,
- IV/ l’union légitime et nécessaire entre cinéma et télévision.
I – De la nécessité de réformer la Direction de la Cinématographie Nationale (D.C.N.)
Le postulat de base, est que le cinéma constitue une chaîne de valeurs, la défaillance d’un seul élément de la structure hypothèque, à plus ou moins long terme, tout l’ensemble. C’est là une des raisons de l’échec de notre cinéma : Le déficit dans la maîtrise de la production et de la distribution, aussi bien dans les procédures et que dans les mécanismes de financement. Ces tâches étant pour l’heure assignées à la Direction de la cinématographie; il est urgent de repenser ce cadre institutionnel autour des urgences suivantes :
a) Doter la direction de compétences professionnelles adéquates, suffisamment imprégnés des techniques modernes de management surtout dans la gestion des mécanismes de financement.
Dans sa structuration actuelle, la Direction de la cinématographie ne convient plus au type de cinéma que nous cherchons à développer. Le travail qui est aujourd’hui effectué par ses services, consiste essentiellement en des tâches administratives : répondre aux courriers, délivrer des autorisations de tournage et gérer les fonds du FOPICA. Par conséquent, l’urgence serait plutôt, dans le cadre de notre réflexion, de redéfinir les missions de la Direction de la cinématographie comme administration chargé non de la bureaucratie du cinéma, mais du management du cinéma.
b) Assurer une mission suivi –évaluation
Mais d’une mission de suivi/évaluation rigoureuse tant des résultats que des processus, ce qui lui permettrait d’assurer, de manière efficiente, le contrôle de la gestion des fonds destinés au secteur, l’application de la politique cinématographique et son impulsion. Cette structure n’a pas pour vocation de faire de la production, de la distribution et de l’exploitation cinématographique mais plutôt de travailler à la mise en application effective du Code de l’industrie cinématographique, d’assurer la présence de la tutelle à toutes les manifestations cinématographiques se déroulant à l’intérieur comme l’extérieur du pays et de démarcher la signature d’accord internationaux pour le développement du cinéma local.
c) Mettre en place une commission de contrôle forte quant à la qualité des films proposés à la consommation du public.
Cette commission de contrôle sanctionnera les atteintes à nos valeurs de civilisation sans nous enfermer dans l’ostracisme ni refuser le réalisme de l’évolution sociale. Ne nous y trompons pas, la rentabilité financière est la loi du marché au cinéma comme ailleurs, mais ce secteur qui agit sur les schémas mentaux doit être encadré sans toutefois tomber dans la censure stalinienne.
II – La création d’un Centre Cinématographie National (C.N.C)
Les conditions de production, de distribution et d’exploitation demeurent difficiles voire anecdotiques dans la plupart des pays dit du Sud. Par ailleurs la courbe des coûts de productions ne cesse de grimper. Aujourd’hui, tout producteur sénégalais sera contraint de réduire ses ambitions du minimum standard de la qualité internationale au prorata du budget de son film.
Il est paradoxal, que pour produire nos films, nous soyons réduits à compter essentiellement sur le soutien d’un Etat étranger, notamment la France ou l’Union Européenne. La promotion des activités cinématographiques et audiovisuelles au Sénégal nécessite la mise en place d’un cadre macroéconomique adéquat.
A la suite du dispositif législatif et réglementaire par l’adoption de la loi n° 2002 – 18 du 15 avril 2002, portant organisation des activités de la production, de l’exploitation et de la promotion cinématographiques, L’Etat du Sénégal a décidé de créer le Centre National de la Cinématographie.
Aussi serait-il judicieux de mettre en place un Centre national de Cinématographie (C.N.C.) pour permettre à l’industrie cinématographique de se développer. Il est primordial de lui accorder les attributions, les moyens et ressources nécessaires à l’élaboration d’un cadre approprié à l’exercice des métiers du secteur. Ces attributions moyens et ressources lui donneront les coudées franches pour une gestion efficace et responsable, capable à terme, d’aboutir à la production régulière de films de qualité.
C’est donc le profil d’une entreprise publique avec une autonomie administrative et financière.
C’est dans ce sens que nous militons pour l’intégration du FOPICA au niveau du CNC, comme département au même titre que celui qui sera en charge de la Formation, entre autres.
Ce CNC que nous appelons de nos vœux, sera dirigé par un administrateur civil à l’expérience avérée, à la suite d’un appel à candidatures.
La participation financière de l’Etat doit être rigoureusement et rationnellement répartie avec une part importante destinée à la production de films compte tenu de la spécificité de l’activité économique artistique et commerciale du produit film. Notamment, une attention particulière sera portée au retour sur investissement.
L’attribution des aides à la production devra être du ressort exclusif, d’une commission autonome dont les membres seront compétents en la matière. C’est-à-dire sur la qualité du scénario, le bien-fondé de la fiche technique et des moyens sollicités, la fiabilité du requérant, la comptabilité du projet de film et la projection des retours sur investissements. Le budget dont serait doté le Centre National de la Cinématographie (C.N.C) correspondrait à une ligne dans le budget du ministère de tutelle du cinéma (cas de la France et du Maroc).
Il faut aussi que les ressources générées par la distribution et l’exploitation ou toutes les formes de diffusion en salle, à la télévision et autres, puissent générer des dividendes pour le Centre. L’Etat et les collectivités locales doivent ainsi participer à pérenniser une de leur source de revenu en reversant au CNC une partie des taxes prélevées sur le cinéma.
Le C.N.C n’a pas pour objectif de produire des films mais plutôt à mettre en œuvre une politique globale de promotion de structures nationales de production et de contribuer ainsi à l’émergence d’entreprises de référence, d’entreprises modèles ayant une expertise avérée.
Ce modèle a permis à la production cinématographique française de poursuivre son petit bonhomme de chemin, malgré l’invasion du cinéma américain.
Pourtant il ne s’agit pas d’autarcie, il est également souhaitable de faire de la coproduction, qui reste un des fondements de notre politique de production. Les différentes productions nationales ont de plus en plus tendance à s’inscrire dans un processus de coproduction avec l’étranger aussi bien pour élargir la source d’investissement qu’afin d’élargir d’autant le marché de la distribution. . Il n’est pas rare actuellement de voir se mettre en place des coproductions tripartites ou même quadripartites, susceptibles de toucher une population de plusieurs dizaines de millions de spectateurs. Le CNC pourrait alors devenir une véritable plaque tournante pour la production nationale.
Les composantes dudit Centre pourraient être :
- Le Fonds de promotion cinématographique et audiovisuelle
- La billetterie Nationale
- Le registre public de la cinématographique et de l ‘audiovisuelle.
- Le service en charge de la délivrance des autorisations de tournage et visas d’exploitation de films.
- Le service en charge de la délivrance de la carte professionnelle des métiers du cinéma et de l’audiovisuel.
III – Corrélation entre les fonctions de Distribution et d’Exploitation
Il est bien établi qu’un secteur de distribution efficient permet une bonne relance de la production. Il serait alors plus aisé d’entreprendre la relance de la production en s’appuyant sur la distribution.
Ne dit-on pas que « qui tient la distribution, tient le cinéma… »
Mais pour ce faire, il faut que la distribution nationale s’implique en amont dans la fabrique des films, comme c’est déjà le cas dans la coproduction avec certains partenaires étrangers qui sont aussi des distributeurs. Ainsi l’efficience obtenue devient-elle exponentielle et les risques pour toutes les parties amoindris. Il faut que soit définitivement révolue l’ère où le Distributeur vivait de la sueur du Producteur.
Les analyses montrent que là où le cinéma est rationnellement organisé, l’industrie cinématographique occupe une place prépondérante dans l’économie nationale. L’exploitation y joue un rôle capital, on la trouve en amont et en aval. Un axe central donc dans la rotation de la grande chaîne de toute industrie cinématographique : Production, Distribution, Exploitation.
C’est pourquoi, les meilleures productions du monde, les plus beaux films qui puissent exister, ne sont rien s’il n’existe pas de salles pour les y projeter. C’est là la base de l’exploitation, donner une bonne visibilité aux films et les exploiter dans les meilleures conditions techniques, suivant les normes internationales. Devant la concurrence événementielle et médiatique les conditions de l’exploitation optimale s’expriment en un diptyque : un film de qualité dans une salle de qualité ; c’est à dire présentant les commodités parfaites pour la réception d’une diffusion aux normes internationales.
On voit alors le challenge, mettre en place les infrastructures pour retrouver les cinéphiles perdus et conquérir les cinéphiles en devenir, plus exigeants, plus technophiles. Ceci passe inéluctablement par une réimplantation d’un réseau de salles d’exploitation modernes, en phase avec l’évolution technologique. La mise en place et l’adoption d’une politique de réimplantation d’un réseau de salles d’exploitation avec le secteur privé national, est, aujourd’hui, d’une impérieuse nécessité.
Rien dans l’industrie cinématographique ne se conçoit valablement, et rien n’a d’existence durable ou de consistance réelle, s’il n’intègre pas la problématique des recettes réalisées à partir des salles de cinéma.
Or, il se trouve que l’exploitation ploie sous la charge écrasante des taxes. Aujourd’hui, le problème fiscal est le tendon d’Achille de l’exploitation. Sous le régime fiscal actuel, aucun exploitant ne peut atteindre le seuil minimum de rentabilité.
Il faut donc accéder à l’allégement fiscal promis pour l’exploitation des salles de cinéma. Pour rappel, la Loi qui a été votée sur la taxe unique de 10% sur le billet d’entrée, représentant la totalité des anciennes taxes, attend toujours son décret d’application. Mais encore, serait-il souhaitable, entre autres mesures incitatives, même limité à une campagne de relance, que soient mises en place les exonérations afférentes aux taxes douanières, tant dans la construction que dans l’équipement, sur les matériaux et matériels nécessaires à réalisation de salles modernes.
IV – L’union légitime et nécessaire entre Cinéma et Télévision
Il est important de sceller le mariage cinéma-télévision, par un contrat de mariage par lequel tous les diffuseurs télévisuels publics ou privés opérant sur le territoire s’engageront à financer les films (et téléfilms) locaux.
Par conséquent, toute chaine de télévision, gratuite ou payante, hertzienne ou câblée, devrait consacrer un pourcentage de son chiffre d’affaires au financement du cinéma national et respecter un quota de coproduction et de diffusion pour les films nationaux.
Ce système assure actuellement à la France la prééminence de la production en Europe avec plus de 150 films par an (sans compter les coproductions tous azimuts) et fait d’elle, le seul pays européen dont le marché, défenseur de l’« identité culturelle nationale », résiste encore à l’hégémonie du cinéma américain.
Un mot sur le piratage
Nos villes se remplissent chaque jour d’étals où sont commercialisées des œuvres cinématographiques, audiovisuelles, phonographiques contrefaites et de surcroît de mauvaise qualité, exploitées sans autorisation, qui profitent du vide juridique.
Le piratage est une pratique qui appauvrit les auteurs, les interprètes et les producteurs. Il prive également l’Etat de rentrées financières importantes en taxes et impôts sur l’activité des produits culturels.
Le piratage c’est l’affaire de l’Etat, qui doit prendre à bras le corps cette problématique, en démantelant les réseaux sur le terrain.
Conclusion
Nous demeurons convaincus que les problèmes de notre cinéma ne se régleront que quand le projet de relance intégrera l’ensemble de « l’industrie ».
Dans cette optique, des tâches et missions précises se verront être confiées à chaque maillon de « l’industrie ».
Il n’existe pas un seul pays au monde où existe une production nationale, même faible, qui ne voit l’Etat soutenir d’une manière ou d’une autre, le cinéma.
L’Etat du Sénégal a toujours soutenu le cinéma. Il doit continuer à le faire, même si la crise économique ne lui permet pas de doter le cinéma de moyens plus substantiels.
Nous devons, dans ce cadre, aider l’Etat, en adoptant des schémas de financement moins coûteux, plus souples et plus efficients.
Tout en gardant à l’esprit, chers acteurs de la culture, encore et toujours, que la culture, ce n’est pas le folklore !
Clarence Thomas Delgado
cinéaste (réalisateur et scénariste)
Président des Cinéastes sénégalais associés (CINESEAS)