Après 23 ans de libéralisation de l’exercice des activités de promotion, de transaction et de gestion immobilières au Sénégal, le président de la République, dans le dernier conseil des ministres du mercredi 4 octobre 2017 mise sur « l’impératif de mieux encadrer l’environnement, le développement et la régulation des activités de promotion et de gestion immobilières ».
L’immobilier au Sénégal est atteint d’une réelle dérégulation aujourd’hui, ce qui n’a pas toujours était le cas.
L’organisation antérieure du secteur d’activité
Il est important de rappeler que le législateur de 1982, pour garantir la compétence, le sérieux et l’honnêteté des professionnels concernés et dans le même temps protéger les citoyens, souvent insuffisamment informés, d’éventuels abus, avait fait de ces activités des professions réglementées.
On définit communément une profession réglementée comme l’exercice d’une activité soumise à des restrictions réglementaires, administratives et législatives qui visent à délimiter les modalités d’exercice de la profession et à limiter l’installation de nouveaux cabinets, offices ou entreprises.
Alors, le législateur, à travers la loi n°82-07 du 31 mars 1982, exigeait à toute personne physique ou morale voulant exercer ces activités à titre professionnel, d’obtenir une autorisation préalable. Cette dernière était matérialisée par une carte professionnelle délivrée par la chambre de commerce après justification de toutes les conditions y afférentes. Ainsi, le professionnel devait remplir des conditions de diplômes, de stage, de probité, souscrire une police d’assurance responsabilité civile professionnelle et déposer une garantie…
Ceci indique que le législateur avait des objectifs claires dans ce secteur d’activité qui étaient d’avoir un droit de regard sur la qualification et la qualité des professionnels, de prendre en charge la protection du patrimoine des citoyens souvent insuffisamment informés et surtout de promouvoir la présence des citoyens sénégalais dans les cabinets existants mais aussi futures.
Le caractère obligatoire de la carte professionnelle permettait à toute personne intéressée, dans le cadre de la mission d’un professionnel du monde de l’immobilier, d’exiger sa présentation. En ce sens, la carte contribuait à l’identification du professionnel concerné et en même temps, constituait un moyen pour rassurer le client sur la qualité de la qualification de son interlocuteur. Pourtant l’exigence de la carte demeure obligatoire si on en croit à l’article L156 et suivants du code de la construction de 2009 mais seulement pour le gestionnaire de syndic de copropriétés.
Un revirement de décision
En 1994 le législateur sénégalais est revenu sur sa décision. Ceci est dû à un contexte assez spécial ; et comme l’on a l’habitude de le dire à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. En effet l’économie sénégalaise a été éprouvée pendant de très longues années. Après avoir mangé son pain noir (des années de sécheresse à partir de 1973) elle sera anéantie par la dévaluation du francs CFA le 02 Janvier 1994. C’est ainsi, au sortir de cette dévaluation, qu’ « une batterie de mesures et de reformes relatives à la libéralisation de l’environnement économique et à la restructuration des différents secteurs économiques » est mise en place par le législateur. Ce dernier dit clairement à travers la loi n°94-69 du 22 Août 1994, fixant le régime d’exercice des activités économiques, que les activités économiques s’exercent librement (art 2) et que la détention de la carte professionnelle ne constitue pas une condition d’exercice de profession.
C’est ainsi que l’exercice des activités de promotion, de transaction et de gestion immobilières à titre professionnel, passa de profession réglementée à professions libéralisée.
En l’occurrence, les socialistes d’alors avait cédé aux caprices des opérateurs économiques qui soulignaient déjà lors de leur rencontre qu’il y avait un déphasage entre l’environnement économique et son cadre juridique. Il y a lieu de se demander est-ce qu’une loi devait être motivée juste par des considérations purement économiques dans un domaine aussi social que l’immobilier pour ne pas dire foncier.
Pourquoi libéralise-t-on ?
La libéralisation d’un secteur économique consiste à en rendre libre l’accès de celui-ci aux différents agents économiques, privés ou publics. Cela se traduit en général par la levée de tous obstacles et toutes les conditions d’accès assez contraignantes instituées par les pouvoirs publiques. Il se justifie par le fait que l’arrivée de nouveaux acteurs sur un marché est censée être un moyen de stimuler la concurrence pour développer l’innovation, améliorer la qualité de service et faire baisser les prix. Cette baisse des prix, tarifs et honoraires escomptée aura comme conséquences attendues une croissance du pouvoir d’achat des consommateurs, la création d’emploi dans le secteur et une augmentation du PIB.
Est-ce que le résultat le plus attendu dans cette libéralisation est obtenu ? Pas du tout d’autant plus que l’enquête sur les priorités des ménages a montré que les dépenses liées au logement absorbent 17,9 % du budget des ménages, positionnant ainsi le logement comme la deuxième priorité des ménages après l’alimentation.
L’immobilier, un réceptacle d’importants capitaux
L’immobilier, étant l’un des secteurs qui permet encore de réaliser des marges bénéficiaires très confortables ne cesse de se voir envahi à la suite de la déréglementation de son régime d’exercice. En effet, les activités de l’immobilier représentent un poids considérable dans l’économie de notre pays du fait de l’importance du montant de toutes les dépenses liés aux logements.
Dès lors l’ouverture de son marché à la concurrence, suivie du boom immobilier que vit le Sénégal depuis 2000, est à l’origine de nombreux investissements, de création massive de sociétés immobilières, de la multiplication des acteurs et intervenants dans un secteur en plein essor. Ce qui a favorisé la présence d’acteurs sans compétences véritables dans le domaine, confrontant aujourd’hui le milieu, à une pratique informelle et clandestine croissante et à un manque d’organisation insoutenable. Eu égard à ses nombreux enjeux financiers, économiques, fiscaux et sociaux l’activité immobilière est devenue le lieu d’innombrables abus et d’une anarchie persistante.
Le secteur n’est pas l’apanage des acteurs du secteur de l’informel. On y rencontre des étudiants, des chômeurs lettrés ou illettrés, presque tous les autres corps de métier mais aussi des étrangers. Dès lors, des milliers de personnes trouvent leur source de revenu dans ce secteur et vivent aujourd’hui de cette pratique qui s’est bien ancrée dans les habitudes des Sénégalais. L’assainissement de cette situation déplorable justifie en partie la préoccupation du Président de la République soucieux de rendre le secteur sain et profitable à tous les acteurs : citoyens et opérateurs intéressés. Aussi, la mise en œuvre de mécanismes pour résorber le manque à gagner du côté fiscal s’avère nécessaire.
Le marché de l’immobilier est devenu une véritable fourre-tout et cette situation engendre une faiblesse du législateur dans la prise en charge des droits de protection dus aux consommateurs (locataires, acheteurs, vendeurs….) qui demeurent exposés aux pratiques spéculatives et laissés à la merci des opérateurs.
Une règlementation bien existante
Malgré toutes les réglementations existantes dans le domaine qui atteste une réelle volonté des pouvoirs publics de bien encadrer le secteur et protéger les citoyens, les questionnements sur un bon fonctionnement de celui-ci demeurent entiers. Entre autre la loi n°81-21 du 25 juin 1981 réprime la hausse illicite des loyers à usage d’habitation et exige la surface corrigée de la part des bailleurs. Cette loi est actualisée par la loi de 2014-03 du 22 janvier 2014 portant baisse des prix du loyer n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée, toujours dans le but de mieux protéger les consommateurs. Le COCC encadre fermement les beaux à usage d’habitation en l’assortissant de règles d’ordre publiques. Ainsi il a bien définit sa durée, la détermination de son montant, les modes possible de sa résiliation, les obligations du bailleur et celles du preneur etc… afin de garantir une stabilité sociale. Aussi le législateur exige l’intervention obligatoire du notaire dans les transactions immobilières dans le but d’assurer une sécurisation de ces opérations, assorties d’un régime de publicité foncière confirmé par la loi n° 2011-07 du 31 mars 2011. L’Acte Uniforme portant Droit Commercial Général définit le champ d’intervention des intermédiaires de commerce comme l’agent commercial, le commissionnaire et le courtier, agent très pesant dans le secteur.
Cependant, malgré la pertinence de cette libéralisation au nom de l’efficacité économique, le marché de l’immobilier se révèle défaillant. En réalité, une insuffisance est notée dans l’encadrement de l’exercice de ces activités de promotion, de transaction et de gestion immobilières. Ce qui n’a pas manqué de causer une désorganisation dans le secteur due en grande partie par la faiblesse dans la prise en charge du contrôle du secteur, l’exposant à des malversations de toutes sortes dont le blanchiment d’argent.
Le secteur a fait et continu de faire couler beaucoup de larmes. Des économies de toute une vie ont été escroquées, arnaquées et détournées de leur objet.
Dans la promotion immobilière
Nous avons le cas de la société immobilière Namora qui a été incriminée par de nombreux Sénégalais de l’intérieur comme de l’extérieur et des adhérents à diverses coopératives d’habitat de la place, d’escroquerie foncière et abus de confiance et dont le préjudice est évalué à plus de deux milliards de Francs CFA. C’est aussi le cas de la société immobilière «Agir Immo» dont le responsable a été condamné d’une peine d’emprisonnement de trois (3) ans ferme, le remboursement des sommes de trois milliards et une amende d’un million, sous contrainte par corps ; deux cas parmi tant d’autres.
« Aujourd’hui, ces centaines de victimes invitent Son Excellence le Président de la République du Sénégal à venir à leur secours en vue de réparer ce préjudice qui s’identifie à un drame social qui a anéanti des familles entières dont le seul tort aura été de vouloir bénéficier d’un toit pour leur famille »
Dans la gestion immobilière
Beaucoup de propriétaire se sont plaint de la mal gestion de leur bien immeuble et ont souffert de manque de conseils adaptés de la part des agences immobilières.
Suite à son prêt bancaire pour construire un immeuble locatif, un propriétaire s’est vue arnaqué de plus de sept mois de reversement par une agence immobilière ce qui lui a presque valu son investissement après une procédure de réalisation intentée par sa banque.
Ceci justifie que beaucoup de propriétaires de nos jours préfèrent gérer personnellement leur bien immeuble au lieu de le confier à une agence malgré leur manque de temps et leur incompétence dans ce domaine.
Réaction attendue de l’État
Il est urgent aujourd’hui que l’État intervienne dans l’assainissement du secteur de l’immobilier et est tenu de mettre sur pieds un Conseil National des Professionnels de l’Immobilier (CNPI). Une institution qui constituera une commission de contrôle et de discipline dans le but de coordonner voire co-réguler le secteur avec les différents acteurs concernés. Elle s’occupera d’établir un fichier fiable où s’identifiera tous les intervenants du secteur à savoir : promoteur, agence immobilière et courtier pour ne citer que cela. Le Sénégal est un pays en pleine construction ce qui atteste une urgence à assainir voir fluidifier son marché immobilier. Quand l’immobilier marche dans un pays, tout marche comme disait l’autre.
Il faut tenir actuellement en compte de ce changement de contexte et redéfinir les règles du jeu quid à réactualiser cette loi n°82-07 du 30 Juin 1982.
Organisation de la profession
Dans tous les pays où le secteur a été libéralisé, la profession s’est conduite à s’organiser. Elle s’est faite à travers des syndicats, collèges ou associations biens structurés qui veillent sur l’éthique professionnelle et imposent à ces adhérents des formations professionnelles continues sous peine de sanctions disciplinaires.
Le régime libéral permet aujourd’hui l’exercice de ces activités sans compétence spécifique et sans aucune expérience professionnelle préalable. Alors qu’au-delà d’une profession commerciale, ces métiers impliquent une obligation de conseil et d’accompagnement qui nécessite de fortes connaissances dans ce domaine sensible et si bien encadré par des lois et règlements en vigueurs. Les professionnels du secteur de l’immobilier doivent dorénavant le prendre en main et le gérer jalousement contre la prolifération de tout acteur qui contribuerait à ternir l’image de leur métier. Et pour cela il leur faudra impérativement faire l’effort de s’organiser et se fixer des objectifs, pour anticiper sur leurs prochains concurrents dans le cadre du marché communautaire voire international.
En définitive, la question à savoir : qui peut exercer les activités de promotion, de transaction et de gestion immobilières au Sénégal ? mérite d’être reposée. Et le chef de l’État n’a pas eu tort d’alerter sur « l’impératif de mieux encadrer l’environnement, le développement et la régulation des activités de promotion et de gestion immobilières.
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