Officiellement saisi le 21 septembre 2017 par l’Association des juristes africains (Aja), puis le 13 octobre dernier par les députés du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur) aux fins d’engager l’action légale offerte par le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale pour exiger l’arrêt des poursuites, donc la libération du député-maire de Dakar, l’honorable Khalifa Ababacar Sall, le président de l’institution parlementaire a fait le mort. Il a suffi que le procureur lui écrive pour réclamer la levée de l’immunité parlementaire de ce même élu de la Nation pour qu’en un quart de tour, il s’exécute immédiatement en faisant mettre sur pied la Commission ad hoc chargée d’étudier le dossier.
Chacun appréciera ce comportement reptile du Législatif qui foule au pied le sacro saint principe de la séparation des pouvoirs, en rampant devant l’Exécutif et un Judiciaire aux ordres du premier cité.
Ce faisant, cette Législature débutante aura adopté une posture pire que l’attitude générale de la précédente, car elle n’aura pas encore voté une loi- ce qui représente le cœur de son «métier»- qu’elle aura levé une immunité parlementaire. Record du monde ! A inscrire dans le Guinness des records de la mal-gouvernance. Quand on sait que l’immunité parlementaire est destinée à protéger, d’abord et avant tout, l’institution parlementaire dans sa globalité ! On aurait admis qu’avant de voter la première loi de cette Législature, l’Assemblée nationale exige la libération d’un de ses membres, otage du couple exécutif/judiciaire, qui est illégalement empêché d’exécuter son mandat national. Pas le contraire. On aurait compris que l’Assemblée priorise la mise en place d’une commission d’enquête chargée de se pencher sur le drame de l’hôpital de Pikine où une enfant a perdu la vie.
Rappelons les termes de l’article 35, in fine, du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale : «Les membres du Bureau de l’Assemblée nationale ne peuvent faire partie des bureaux des commissions.» Donc aucun vice-président ni président de groupe parlementaire ni secrétaire élu ni questeur ne saurait occuper les fonctions de président, vice-président ou secrétaire/rapporteur de la Commission ad hoc chargée du travail préparatoire, car bien que «ad hoc», bien que temporaire, elle ne reste qu’une commission. Que l’on ne vienne pas nous dire que cela s’est déjà fait, car l’illégalité ne saurait créer, encore moins fonder la jurisprudence ! Au-delà du simple respect de la loi, cette précaution sert à prévenir toute manipulation des travaux de la commission. Aux «députés debout», nous conseillons la vigilance sur cette question et l’opposition par tous moyens lors de la ratification de la composition de la commission en plénière.
En outre, les mêmes devraient exiger de la présidence de l’Assemblée des clarifications sur la saisine du Parlement. Cela s’est-il fait via un simple courrier du procureur transmis par le ministre de la Justice ? C’est notre conviction. Dans ce cas, c’est insuffisant au regard du Droit parlementaire et de la pratique adoptée dans les Parlements sérieux. Si elle tient à se faire respecter, l’Assemblée a le devoir de rejeter la requête du Parquet et d’exiger la production de tout un dossier dont les pièces pourraient permettre d’apprécier de l’opportunité de se pencher ou non sur ladite demande. En attendant, son devoir impératif serait d’exiger que la disposition d’ordre public qui s’impose à tous, y compris aux juges, soit d’application immédiate à travers une mise en liberté sans délai de Khalifa, enfin reconnu comme bénéficiaire de l’immunité parlementaire. Maintenant, si elle demeure dans une logique de soumission servile…
Enfin, les «députés debout» doivent récuser tel député Ps désigné pour faire partie de la Commission ad hoc, cela pour suspicion légitime, car son hostilité personnelle contre Khalifa Sall est de notoriété publique.
L’article 52, alinéa 2 dispose : «La Commission doit entendre le député intéressé…» A cet effet, une convocation écrite avec décharge personnelle doit lui être adressée plusieurs jours avant la séance d’échange – qui n’est pas une «audition» puisque la commission n’est ni un enquêteur ni un Tribunal.
Bien sûr, cela suppose et impose que le député-maire de Dakar soit totalement libre. Sinon, comme il l’a déjà signalé, qu’il n’accepte pas de recevoir à Rebeuss cette commission encore moins de s’entretenir avec elle. Pour leur part, les commissaires devraient conserver assez de dignité pour refuser de se rendre au lieu de détention.
D’un autre côté, nul n’a le pouvoir de procéder à une quelconque «extraction» pour forcer Khalifa à se rendre à l’Assemblée nationale, puis s’en retourner en prison. Répétons-le : la Commission ad hoc n’est pas la barre du Tribunal !
Donc condition sine qua non : exigence antérieure de mise en liberté pure et simple. Autrement dit, des subterfuges du type «liberté provisoire» ou «sous contrôle judiciaire» seraient inacceptables, car ce sont de situations de poursuite.
Dans ces éventualités, Khalifa Sall sort de prison, mais doit refuser de s’entretenir avec la commission. Advienne alors que pourra ! La posture est politique. Le député-maire de Dakar doit se refuser de tomber dans la naïveté du respect de qui que ce soit, si lui-même n’est pas respecté. Qu’il ne se laisse pas aussi endormir par la rumeur tendant à faire croire que le pouvoir engage cette procédure pour pouvoir s’en sortir dignement à travers un refus de la commission et donc de l’Assemblée ! C’est faux.
Si le ministre de la Justice, tout compte fait aussi décevant que son prédécesseur, avoue l’objectif de la manœuvre : aller vers un procès, c’est que le but visé consiste à condamner Khalifa pour l’écarter de la route de l’élection présidentielle. Or, ce monsieur n’a aucune compétence légale pour en décider ou non. Son décret d’attribution n’indique nulle part cette prérogative. Preuve supplémentaire que tout cela relève du politicien.
Jean-Paul DIAS