Cette deuxième contribution devrait être dédiée au pillage systématique de nos maigres réserves foncières par l’ancien président-politicien, comme je l’annonçais en concluant la première. Ce scandale fera l’objet de la prochaine contribution, la troisième. Pour des raisons d’antériorité, je consacre celle de ce jour au premier mensonge d’Etat de la gouvernance du ‘’créateur de milliardaires’’. Il s’agit exactement de la rocambolesque rénovation de l’avion de commandement, ‘’La Pointe de Sangomaar’’.
L’une des toutes premières préoccupations du nouveau président de la République a été, dès son entrée en fonction, de disposer d’un avion neuf. Arguant de raisons d’économie budgétaire, il opta pour une révision générale de l’avion de commandement. Une révision qui se déroula dans l’opacité la plus totale. Quelque temps après, un très luxueux palais volant est réceptionné avec pompe à Dakar, en présence de toute la République, avec une très large couverture de la télévision nationale, à l’époque toute bleue. Le Président de la République aux anges déclare alors au peuple sénégalais, pour le rassurer, que « la rénovation n’a pas coûté un franc Cfa au contribuable sénégalais, et que ce sont des amis qui ont préféré garder l’anonymat qui lui ont avancé l’argent ». Rares étaient les compatriotes qui s’imaginaient, à l’époque, qu’il nous racontait des histoires : il était encore en période de grâce et nombre d’entre nous étaient loin de soupçonner la véritable nature de l’homme. Ce n’est que trois ans après, que nous nous rendrons compte, que notre tout nouveau Président de la République nous avait tous roulés dans la farine.
C’est notre compatriote Abdou Latif Coulibaly, alors journaliste d’investigation, qui éclairera notre lanterne. Il jeta un véritable pavé dans la mare, en publiant, le 17 juillet 2003, un retentissant brûlot : « Wade, Un opposant au pouvoir. L’alternance piégée ? », Les Éditions Sentinelles, Dakar. M. Coulibaly révéla que, « après sa prise de service, Abdoulaye Wade a aussitôt manifesté le désir d’acquérir un avion flambant neuf. Des conseillers autour de lui et le Ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Mactar Diop, tenteront de l’en dissuader. Avec beaucoup de peine, il est vrai, ils y parviendront » (page 177). ‘’La Pointe de Sangomaar’’ avait été d’abord proposée à la vente mais, finalement, la révision générale de l’avion de commandement a été proposée et retenue. M. Coulibaly révéla aussi qu’une firme anglaise (SFR Aviation) a été préférée à une entreprise américaine (BF Goodrich) qui, pourtant « (…) proposait pour tous les travaux envisagés, la somme de 16 millions de dollars, soit un peu plus de 10 milliards de francs Cfa. Donc beaucoup moins cher que l’offre anglaise estimée à 18 milliards de milliards de francs Cfa » (page 177). Cette préférence pour la firme anglaise beaucoup plus chère pouvait bien se comprendre : Karim Wade avait ses entrées et sorties à Londres où il a travaillé jusqu’au 19 mars 2000.
L’ancien journaliste d’investigation allait bien plus loin. Dans son autre livre « Sénégal, Affaire Me Sèye : un meurtre sur commande », L’Harmattan, Paris 2005, il revenait largement en annexes (pp.195-211), sur la rénovation de ‘’La Pointe de Sangomaar’’. S’appuyant sur des informations et documents officiels précis, il estimait alors le coût de la rénovation à au moins 31 milliards de francs Cfa, tirés de l’argent du contribuable, dans des conditions des plus opaques. En réalité, les ‘’généreux amis’’ dont parlait l’ancien président-politicien n’existaient que dans son imagination.
Après la parution du premier livre de M. Coulibaly (juillet 2003), l’hebdomadaire Jeune Afrique/L’Intelligent n° 2225 du 31 août au 6 septembre 2003, est revenu avec le Président de la République sur cette nébuleuse affaire de la rénovation de ‘’La Pointe de Sangomaar’’. Le journaliste lui a notamment posé cette question-ci : « Une commission parlementaire va se pencher sur l’opération de rénovation de l’avion présidentiel (…). Une affaire plutôt embrouillée, qui semble s’être déroulée dans la plus grande opacité et qui aurait coûté, si l’on en croit Coulibaly, 28 millions de dollars à l’État. »
Me Wade répondit alors, en s’imposant un aplomb qui lui faisait cruellement défaut cette fois-ci, et se perdit dans des explications laborieuses qui n’avaient point convaincu le journaliste de ‘’Jeune Afrique’’. Ce dernier revint à la charge et, anticipant sur la réponse du Président-politicien, posa cette question : « D’où l’utilisation des fonds routiers sénégalais ? »
« Faux », s’empressa-t-il de répondre, avec une indignation feinte. Il reconnut quand même avoir « puisé dans un fonds résiduel du Ministère de l’Équipement intitulé ?autres opérations routières? » et non dans des fonds destinés à des routes ! Il rejeta aussi le montant qu’il estimait à ‘’seulement’’ 10,5 milliards et non pas 15, « comme le dit Coulibaly apparemment fâché avec l’exactitude ».
Il continua ses laborieuses explications. La note de la facture étant lourde pour le Sénégal (17 milliards selon lui), il a fait jouer ses relations. Il aurait ainsi reçu notamment de Taïwan l’équivalent de 6 milliards de francs CFA de et un chèque d’un milliard 500 millions de l’Arabie saoudite. Ses autres amis qu’il a sollicités ne s’étant pas manifestés, il s’est retrouvé face à un gap de 10 milliards qu’il est allé chercher quelque part dans une rubrique du budget. Dix bons milliards, alors que l’on se rappelle l’assurance formelle qu’il nous avait donnée, que la rénovation de l’avion de commandement n’avait pas coûté un rotin au contribuable sénégalais. En réalité, il a puisé infiniment plus dans les différentes rubriques du budget, avec la complicité manifeste de son Ministre de l’Economie et des Finances d’alors (Abdoulaye Diop) et de ses services. Je renvoie le lecteur aux deux livres (cités) de M. Coulibaly, s’il veut en avoir le cœur net.
Les Sénégalais découvraient donc avec stupeur un gros mensonge d’Etat : la rénovation de ‘’La Pointe de Sangomaar’’ nous a couté les yeux de la tête, dans des conditions des plus louches. En réalité, des amis se sont manifestés, comme Taïwan qui a donné 6 milliards qui se sont volatilisés, comme se seront volatilisés plus tard, les autres fameux 15 millions de dollars de ce même partenaire. L’ancien président-politicien nous avait donc manifestement et publiquement mentis. Que personne ne m’oppose son âge ou sa fonction ! C’était d’abord à lui qu’il appartenait de les respecter et donc, de les faire respecter, en nous disant la vérité. Ce qui a été rarement le cas, tout au long de ses douze longues années de gouvernance meurtrie.
Voilà l’homme qu’on veut nous présenter comme un héros et dont on nous demande de passer facilement l’éponge sur ses forfaits gravissimes. Voilà le champion de la mal gouvernance, dont on nous prépare à la réconciliation avec l’autre champion, son sosie qui lui ressemble comme une goutte d’eau. Nous refusons catégoriquement d’entrer dans ce jeu, et continuerons de rappeler ses nombreux crimes, dans les contributions qui vont suivre.
Mody Niang