A travers une déclaration en date du 8 mars – au lendemain de l’arrestation de Khalifa Sall – le Forum social sénégalais était le premier à affirmer que «l’inculpation de Khalifa Sall relève purement d’une machination politique visant à éliminer un adversaire potentiel à l’élection présidentielle de 2019».
Tous les développements de cette affaire depuis lors nous ont amplement donné raison. Et la demande de levée de son immunité parlementaire, dont le pouvoir disait qu’elle «n’existait pas», vient confirmer aux yeux de l’opinion que Khalifa Sall est bien victime d’un vulgaire complot ourdi au plus haut sommet de l’Etat.
Khalifa Sall est un otage politique
En vérité, Khalifa Sall est un otage entre les mains du régime de Macky Sall. La volte-face ridicule sur son immunité parlementaire est une nouvelle preuve de l’instrumentalisation de la justice et des mensonges éhontés du pouvoir pour le garder en prison et éventuellement le condamner pour l’écarter de la course à la Présidentielle de 2019. C’est un secret de Polichinelle que si Khalifa Sall s’était aligné derrière M. Ousmane Tanor Dieng pour soutenir Macky Sall, rien ne lui serait arrivé. Des membres du parti présidentiel, convaincus de détournements, de dilapidation de deniers publics et mis nommément en cause par des organes de contrôle, ont plutôt reçu des promotions, au lieu de voir leurs dossiers transmis à la justice.
Une justice dont le rôle aura été peu glorieux dans cette affaire Khalifa Sall, malheureusement. C’est elle qui devait être un des remparts contre la tyrannie. Alors, si elle se laisse instrumentaliser par l’Exécutif, cela sape les fondements de l’Etat de droit et met en danger les libertés individuelles et collectives.
C’est pourquoi, plus que jamais, les hommes et femmes de conscience et tous ceux qui sont épris de justice doivent élever la voix contre l’injustice faite à Khalifa Ababacar Sall et demander sa mise en liberté immédiate. C’est un devoir de solidarité pour nous protéger mutuellement, car face au despotisme et à l’arbitraire, personne n’est à l’abri.
L’honneur perdu de l’Assemblée nationale
L’autre institution qui aurait dû faire entendre la voix du Peuple qu’elle est censée représenter, l’Assemblée nationale, est devenue elle aussi un essuie-pieds pour le pouvoir dont elle exécute docilement les desiderata, en violation de la loi et de son propre Règlement intérieur. Avec l’épisode de la levée de l’immunité de Khalifa Sall, l’Assemblée nationale sénégalaise a définitivement perdu le peu de crédibilité qu’elle avait encore aux yeux de l’opinion. Le refus de discuter du cas de Khalifa Sall lors de la séance d’installation de la nouvelle Législature et le silence de son président par rapport à la lettre de l’honorable député Issa Sall du Pur montrent bien qu’elle n’est qu’une vulgaire chambre d’enregistrement au service de l’Exécutif. «Une annexe du Palais», comme dirait l’honorable député Mamadou Lamine Diallo. La majorité mécanique au service de l’Exécutif a terni à jamais l’image de l’Assemblée nationale qui a perdu ainsi son honneur et sa dignité. Elle renforce ainsi dans l’opinion l’image d’une institution composée d’individus qui ne sont mus que par des intérêts personnels et qui n’ont aucun souci de l’avenir de ce pays.
Et dans ce discrédit de l’Assemblée nationale, il y a le rôle de son président, accusé de violer le Règlement intérieur de l’institution pour servir les desseins de l’Exécutif. Au crépuscule de sa longue carrière politique, on lui reproche d’avoir choisi de porter allégeance à un homme, le Président Macky Sall, au lieu de mettre sa riche expérience au service de la consolidation de la démocratie et de l’Etat de droit.
Cela lui a valu des critiques acerbes de ses collègues de l’opposition, dont certains ont publiquement dit qu’il est une «honte pour le pays» ou «lâche intellectuellement». Beaucoup ne manqueront pas de se demander comment un homme qui a côtoyé Senghor à un jeune âge, exercé de très hautes fonctions dans tous les régimes, de Léo-le poète à Macky Sall, en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade – desquels il fut l’éphémère Premier ministre – a-t-il pu se retrouver dans une telle situation au point de s’entendre attribuer des qualificatifs aussi infamants ? Cruel destin !
Dans son for intérieur, peut-être s’est-il remémoré cette célèbre strophe tirée du Cid de Corneille : «Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie/N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie» !
Demba Moussa DEMBELE