« J’interpelle le ministre de l’Enseignement supérieur sur une réflexion nationale pour une réforme du baccalauréat, voire sa suppression »
Je plaide pour une réforme du baccalauréat, voire sa suppression, car il ne mesure pas, de manière efficiente, la performance des jeunes de notre système éducatif. A la place du baccalauréat, je préconise la mise en place d’un contrôle continu sur trois ans. Et ce, depuis la seconde. Il faut également une suppression des séries, lesquelles cloisonnent le savoir et conduisent à une spécialisation trop précoce des adolescents. Nous avons parfois la frilosité d’initier des réformes ou nous attendons que les autres le fassent pour nous y mettre à notre tour. A cet égard, la France envisage la suppression des trois filières actuelles : littéraire (L), économique et sociale (Es) et scientifique (S), et la réforme du baccalauréat doit y être effective en 2021.
Le diplôme du baccalauréat est un gaspillage de notre dividende démographique et un malthusianisme des jeunes compétences, organisé par les États sur la base d’un héritage colonial, peut-être parce que les États africains francophones n’ont jamais eu le courage et ne se donnent pas les moyens d’accompagner une génération dans sa totalité pour l’accès aux études supérieures et pour la formation à l’acquisition de compétences précises leur permettant d’embrasser la carrière de leur choix.
Le baccalauréat est un «diplôme de destruction massive de notre jeunesse» : ne pas avoir le baccalauréat est dévalorisant socialement, dans le regard des parents, des employeurs potentiels et de soi-même, alors que cela ne rend absolument pas compte du potentiel, de la personnalité et des compétences du jeune concerné. Ils sont légion les jeunes qui sont mis au ban de la société, tout simplement parce qu’ils n’ont pas obtenu le Bac.
Avec le baccalauréat, ce diplôme-couperet, on condamne précocement à la voie de garage des centaines de milliers de jeunes. Le système éducatif ne doit pas être un centre de tri, mais une modalité républicaine de mise en œuvre de l’équité sociale. Il ne s’agit pas de donner la même chose à tous les élèves, mais à chacun selon ses carences à combler. L’échec n’est pas une fatalité et un pays en développement ne peut pas se permettre le luxe d’éliminer aussi vite de l’accès au circuit productif les jeunes qui sont son présent et son avenir. Beaucoup de pays développés n’ont pas ce système de diplôme pour accéder aux études supérieures et n’en ont pas moins d’excellents systèmes universitaires. Le système de contrôle continu, que nous préconisons, permettra d’évaluer sur une longue période (trois ans) la constance, la progression dans les compétences, la consolidation des connaissances, etc.
Cette (r)évolution ne sera pas facile : une informatisation du système scolaire dans son ensemble, la double correction et une anonymisation des copies des évaluations seront certainement à envisager. Enfin, la forte promotion des Stem (Science, Technologie, Engineering, Mathématiques) ne milite pas en faveur de la suppression progressive des séries, système de séries que je trouve inadapté dans un monde où les connaissances sont de moins en moins cloisonnées. L’objectif de former des têtes bien faites, et non des têtes bien pleines, doit nous enjoindre à revenir aux humanités avec un alliage harmonieux des sciences exactes, des sciences sociales et des matières littéraires.
Enfin, pour toutes ces raisons, l’ancrage des classes de seconde, première et terminale ne doit pas être au niveau du ministère de l’Éducation, mais bien au niveau du Ministère de l’enseignement supérieur. Comme c’est déjà le cas au Burkina Faso. Cela, pour lui donner la possibilité de réformer et d’innover à ce niveau qui est critique dans notre système scolaire.
Monsieur le ministre, vous avez réussi d’indéniables réalisations dans votre secteur depuis plusieurs années. Toutefois, pour aller plus loin, il faut absolument que les données d’entrée dans le système de l’enseignement supérieur soient revues, pour permettre d’aboutir à ces citoyens engagés, éclairés et compétents dont nous rêvons tous.
Moustapha Mamba GUIRASSY
Député, ancien ministre
Président directeur général Iam