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Exporter De L’arachide Est Un Mauvais Choix économique

Le ministre de l’Agriculture répète à chacune de ses sorties, avec une certaine fierté, que le Sénégal est le premier pays exportateur d’arachide au mon­de. Cela est surprenant parce qu’anormal que notre pays, qui est loin d’être le premier producteur d’arachide au monde, en soit le premier exportateur et le seul à exporter de l’huile brute d’arachide. Il y a quelque chose à revoir dans notre politique agricole et industrielle. Nos deux premières places en matière d’exportation de l’arachide et de son huile brute ne se justifient pas économiquement. Exporter des matières premières est une caractéristique d’un pays non industrialisé, ou non encore sur la rampe de l’émergence. Avec le Pse, le référentiel économique du Sénégal, exporter de l’arachide brute ne devrait effleurer l’esprit de personne, encore moins suciter en elle la moindre satisfaction. Si le Sénégal exporte de l’arachide, c’est parce que son système de commercialisation et son industrie de trituration sont défaillants. Nos champions de l’exportation de l’arachide doivent se souvenir que les pays n’exportent que leur excédent de productions agricoles stratégiques : riz, lait, sucre, huile, blé, maïs, etc.

Les années 1970-1980, le Sénégal disposait de 4 usines de trituration d’arachide, toutes fonctionnelles. Les usines étaient sises à Dakar, à Kaolack, à Diourbel et à Ziguinchor. Ces unités industrielles produisaient de l’huile d’arachide raffinée pour notre consommation. Il est utile de rappeler que ces usines étaient ultra-modernes, avec des équipements de dernière génération. Une gestion par tâtonnement a abouti à leur regroupement en une seule entité. Ce fut alors le début du sabotage organisé de ces unités industrielles, puis de leur liquidation progressive. L’usine de Lyndiane (Kaolack) a été démantelée pour une raison non encore avouée. Aujourd’hui, l’huilerie de Kaolack ne fait plus de trituration. Plus tard, la Seib de Diourbel, devenue Sonacos, a été à son tour démantelée pour faire fonctionner l’usine de Dakar. Quel recul pour l’huilerie du Baol, qui fut le fleuron de l’industrie huilière du Sénégal vers les années 1980.

L’usine de Ziguinchor est sous la menace de cessation d’activité et n’eut été la détermination du syndicat des corps gras, qui défend bec et ongles son outil de travail, elle allait tout simplement disparaitre. Quant à l’usine de Dakar à Bel Air, ancienne propriété de Lesieur, leader mondial dans la production d’huile alimentaire, elle est en train de mourir lentement mais surement. Les installations de Bel Air sont obsolètes et ne sont plus conformes. La conséquence de tout cela, à ce rythme, est la disparition prochaine de l’industrie de production d’huile d’arachide au Sénégal. On note en le déplorant, que les consommateurs sont depuis longtemps sevrés de cette huile qui est la meilleure au monde, pour faire de la friture. Il n’y a plus d’huile d’arachide raffinée dans les commerces. Les Sénégalais sont obligés de consommer des huiles inadaptées à notre mode de cuisiner et quelquefois impropres à la consommation humaine. Lorsque de l’huile reste solide à la température ambiante, c’est parce qu’elle est impropre à la consommation humaine, car formée d’acides gras saturés qui sont sans utilité alimentaire pour l’homme. Notre marché est actuellement inondé d’huiles végétales, soutenues par une publicité grossièrement mensongère.

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Il est connu que la seule huile adaptée à notre façon de cuisiner est l’huile d’arachide. Elle est riche en acides gras insaturés que nous ne pouvons pas synthétiser et elle supporte la haute température sans se décomposer, alors que toutes les autres huiles alimentaires se transforment dans nos marmites et poêles en composés chimiques hautement cancérigènes. Substituer l’huile d’arachide par d’autres huiles végétales est une opération à haut risque pour notre santé.

Pour préserver la santé des consommateurs, soutenir l’économie nationale et relancer la filière arachidière, l’Etat devrait revoir sa politique industrielle, surtout agro-industrielle.

Au moment où la production arachidière est en phase ascendante, l’Etat devrait réhabiliter les huileries en opérant des investissements massifs dans le secteur. Les 4 usines de la Sonacos Sa réhabilitées pourraient absorber, avec les autres huileries privées, la totalité de la production nationale d’arachide. L’investissement qui produit le plus de richesse de façon durable est celui fait dans le secteur industriel. Le social est quelquefois indispensable certes, mais son impact sur le développement économique n’est pas très significatif. Un Conseil présidentiel sur l’industrie agroalimentaire est souhaitable pour accompagner l’agriculture qui fait des progrès depuis 2000. Sans industries de transformation à l’aval, la production agricole à l’amont finira par stagner voire baisser à terme.

L’exportation de produits agricoles bruts est un mauvais choix économique pour notre pays qui vise l’émergence avec le Pse à l’horizon 2035. Avec les 4 usines de la Sonacos Sa et les huileries privées, il n’est pas raisonnable d’exporter des graines d’arachide vers la Chine ou vers d’autres pays. Les fonds colossaux injectés dans le secteur agricole sont actuellement captés par les pays importateurs de notre arachide. Un terme doit être mis à cette option économique. Triturer nos graines chez nous a l’avantage de créer de nombreux emplois, de fournir aux consommateurs la meilleure huile pour leur santé et d’avoir un tissu industriel indispensable pour mettre le Sénégal sur la rampe de l’émergence. En France, l’industrie agroalimentaire rapporte plus que le secteur automobile. Pays agricole, le Sénégal a beaucoup à gagner en misant sur l’agroalimentaire qui est en réalité la locomotive de l’agriculture. Exporter des graines d’arachide ne devrait pas constituer une stratégie durable de développement.

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La reprise par l’Etat de la Sonacos avait suscité beaucoup d’espoir au niveau des paysans mais présentement, c’est l’inquiétude qui a pris la place de l’espoir. Tout semble indiquer que l’Etat n’est pas disposé à investir massivement dans l’industrie d’huilerie. L’état des lieux des unités industrielles ne semble pas avoir été fait pour mesurer le niveau de dégradation des installations suite à la privatisation ratée de la Sonacos. Tout semble indiquer aussi que la Sonacos va être encore privatisée sans être réhabilitée. L’inquiétude sur l’avenir de notre industrie de trituration est bien fondée car il n’y a pas de doute que le prochain repreneur de l’entreprise va achever la liquidation des unités industrielles des usines pour n’en conserver probablement qu’une seule, juste pour triturer moins de 50 000 tonnes d’arachide par an. Cette démarche qui semble privilégiée par l’Etat n’est pas conforme à l’esprit du Pse, qui ne sera réalisé qu’avec un tissu industriel dense et performant. Sans industries de trituration moderne, point de filière arachidière sécurisée et prospère.

Le développement du Sénégal ne peut pas se faire sans industries. Il n’est donc pas raisonnable d’accepter sans réagir la mort programmée des 4 usines de trituration de l’arachide de la Sonacos qui constituent un patrimoine national comme la Senelec, la Sonatel, etc. Elles sont viables et doivent participer pleinement à notre souveraineté alimentaire ; la matière première est disponible et abondante, les universités forment des cadres et des techniciens hautement qualifiés pour piloter les installations, le marché pour écouler l’huile existe. Le Sénégal s’est engagé dans une politique d’autosuffisance en plusieurs produits de première nécessité : riz, lait, sucre, etc. L’huile est un produit de première nécessité. L’autosuf­fisance en ce produit devrait être un objectif prioritaire du gouvernement, qui devrait abandonner son choix d’exporter de l’arachide brute et d’importer d’autres huiles végétales.

L’importance de l’agroalimentaire pour un pays comme le notre justifierait de créer un ministère délégué ou secrétaire d’Etat pour suivre cet important secteur qui va se révéler rapidement un pilier du Pse. Investir des sommes colossales pour augmenter la production agricole, et ne rien faire pour sa transformation, est une aberration incompréhensible.

La privatisation ratée de la Sonacos a coûté cher au pays. Elle a porté préjudice à la filière arachidière et aux paysans. Elle a fragilisé les industries de trituration qui étaient l’épine dorsale de l’industrie sénégalaise. Non seulement le repreneur n’a pas investi comme convenu avec l’Etat, mais il a démantelé certaines unités industrielles. L’Etat doit éviter une deuxième privatisation ratée de la Sonacos, car elle pourrait être fatale à la société, avec des conséquences dramatiques prévisibles pour les paysans, la filière et la Nation. Le repreneur devra s’engager en termes clairs, entre autres, à réhabiliter les 4 usines de production d’huile pour avoir la capacité, avec les autres huiliers privés, de triturer la totalité de la production d’arachide d’huilerie.

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La filière arachidière a deux maillons faibles qui impactent négativement la filière d’arachide. Il s’agit de la commercialisation de l’arachide et de la subvention accordée à l’agriculture par l’Etat. Malgré les autosatisfactions, la commercialisation de l’arachide est toujours problématique. Elle est comme d’habitude mal préparée, mal pilotée et toujours insuffisamment évaluée en fin de campagne. Le financement de la campagne de commercialisation n’est jamais bouclé et cela a des répercutions négatives aux points de vente qui manquent tout le temps de liquidité. La commercialisation doit faire l’objet de réflexions approfondies dans un cadre inclusif et participatif : paysans, partenaires, Etat, experts, banquiers, syndicats paysans, Cncr, collectivités locales, etc. L’autosa­tisfaction et l’autoglorification n’ont jamais fait bouger les choses. Il faut mettre à contribution nos ingénieurs, chercheurs, gestionnaires, syndicalistes, etc. pour enfin trouver la bonne formule pour la commercialisation de l’arachide. Depuis l’Oncad, la filière arachidière est plombée par une mauvaise campagne de commercialisation qui semble effrayer tout le monde.

Concernant la subvention de l’Etat à l’agriculture, chaque année on met en place des commissions communales avec des personnes qui n’ont aucune compétence pour faire le travail qui leur est demandé. Finalement, il n’y a que l’Etat et les membres des commissions qui sont satisfaits. Les paysans sont rarement satisfaits et personne ne les écoute. La subvention de l’Etat à l’agriculture est devenue un obstacle à la relance de la filière arachidière. Il est temps que l’Etat réforme véritablement les mécanismes d’appui à la filière arachidière. C’est une nécessité vitale pour la filière arachidière, les paysans et l’économie nationale. Il y a beaucoup à dire sur les subventions de l’Etat qui finalement, n’enrichissent pas les paysans.

Dire objectivement ce qui ne va pas et faire des propositions concrètes de rectification est une contribution constructive pour l’atteinte des objectifs du Pse. Par contre, l’autosatisfaction est un obstacle au progrès.

Pr Demba SOW

Ecole Supérieure Polytechnique

Université Cheikh Anta Diop de Dakar

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