Il circule sur les réseaux sociaux et dans l’internet 36 photos reflétant ce qu’il est convenu d’appeler l’indiscipline des Sénégalais. Un euphémisme ! Des images innommables caractérisant des comportements incroyablement dégradants. Une extériorisation ostensible, avilissante d’attitudes insupportables, humiliantes et dangereuses dans la rue. Comme si cet espace social avait cessé d’être un lieu de vie, pour ne devenir alors qu’une pâle vitrine d’un déclassement humain sans nom. Et pourtant, nous côtoyons et subissons toujours les effets de ceux qui ont décidé de transmuter la rue en un vaste dépotoir d’ordures matérielles et immatérielles.
Quel spectacle désolant : des murs et clôtures transformés en vespasiennes, des édicules publics dégoulinants devant des vendeuses de sandwiches, des sparadraps trouvés dans des assiettes de restaurants universitaires, des lames de rasoir nichées dans des miches de pain, des ovins transbordés en tricycle, des familles entières déplacées en motos, des charrettes affrétés comme des wagons, le port du casque oublié, les vieilles guimbardes bourrées comme des cargos, des pousse-pousse débordants de tas de ferrailles rouillés, des gavroches repus et insouciants conversant, téléphones portables collés à l’oreille sur l’autoroute aux glissières démontées ! Et dire qu’on est au Sénégal ! Un pays censé incarné une certaine exemplarité en Afrique, tous domaines confondus, un modèle de modernité aux confluents de toutes civilisations, le creuset des tolérances, à la croisée des chemins des religions monothéistes et païennes.
Il a donc fallu cet assemblage instantané d’images ahurissantes, ce puzzle kaléidoscopique de non conformités sociales économiques et culturelles, pour nous ramener à notre triste réalité : un pays sens dessus-dessous où les repères éthiques du comportement se diluent peu à peu dans un florilège d’indécence.
Que doivent être alors les intérieurs de nos maisons, si la rue n’est que le reflet de nos chaumières ? Faut-il alors se ranger à la conviction que l’effritement des socialisations familiales, se substitue au délitement des valeurs. Suffit-il de pointer la pauvreté, d’accuser la télévision, la culture numérique et les réseaux sociaux, les défaillances du système éducatif pour justifier cette embardée, en apparence inexorable dans l’immoralité ? Certainement pas ! Ce serait trop facile d’exonérer les ressorts familiaux, religieux, traditionnels, étatiques de leur responsabilité primaire : l’éducation. On dit souvent que toute génération est un nouveau peuple. Mais mettre ces dérapages comportementaux sur le compte de la jeunesse, ne serait-il pas oublier leurs caractéristiques trans-générationnelles. Les viols d’enfants vécus dans les daaras et les paroisses, les assassinats parricides et fratricides, la prostitution intégrée dans nos mœurs, donnent à ces écarts un caractère encore plus dramatique. La récente étude de l’OFNAC sur la corruption qui gangrène les corps de l’état plus enclins à l’ordre et la discipline, les zones les plus pauvres, les secteurs les plus vitaux complète un sombre tableau. En omettant de cibler les hommes politiques, l’OFNAC, montre le triste visage de cette démission collective institutionnalisée.
Ces tristes et choquantes photos ont au moins le redoutable avantage d’immortaliser les effets de cette corruption dont elles sont la traduction comportementale, dans la rue. Au vu et au su de tout le monde. Le discours et la voix de ceux qui sont censés incarner les autorités ne se sont ni audibles, ni attendus, puisque que le devoir d’exemplarité est évanescent.
Momar Seyni Ndiaye
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