Dans un article intitulé «Effacement de l’enfance : Quand la télévision est pointée du doigt», j’attirais l’attention sur la perversion orchestrée des médias dont la télévision, mais j’ai l’impression de n’avoir pas été lu et entendu. Je m’inquiétais en tant que parent dépité, dans l’embarras, très gêné quand il voit ses enfants entendre des propos qui ne sont pas faits pour des oreilles enfantines. Sans trop faire le procès de la télévision, j’écrivais ceci : «Pour nous parents dans les pays sous-développés, envahis d’images satellitaires et sans aucun moyen de contrôle parental, parce que ‘’analphabètes contemporains’’, nous ne pouvons que nous inquiéter. Dans nos maisons, on ne fait que regarder la télé : les séries des télénovas, on ne peut plus compter leur nombre, le nombre de fois qu’elles sont diffusées et rediffusées. Et forcément, la promiscuité dans nos maisons, l’absence d’espace privé pour les parents font que nous partageons tout avec nos enfants un même champ dont celui de la télévision. Ainsi, l’enfant et l’adulte ont appris à se connaître : chacun en sait trop long sur l’autre pour continuer à jouer la comédie classique de l’innocent opposé à l’omniscient… Nos pauvres et vulnérables enfants sont laissés à eux-mêmes, obligés de faire face à leur avenir et de vivre les problèmes des adultes…»
En tant que parent, il m’arrive de discuter avec mes enfants, dont ma fille de 11 ans en classe de Cm2, qui n’avait pas compris pourquoi je lui interdisais de suivre la série diffusée tous les mardis et samedis soir sur la Tfm. J’ai beau lui expliquer qu’elle avait mieux à faire, surtout qu’elle a un examen à préparer et que ces acteurs idolâtrés ne sont pas des exemples à suivre : ils n’incarnent pas nos valeurs, celle de kersa, de sutura, de diom, sans arriver à la convaincre. Parce que pour elle, toutes ses camarades de classe suivent le téléfilm et en discutent. Des discussions de nos enfants à l’école qui ne portent pas sur les contenus enseignés, les devoirs et exercices scolaires, mais sur ce qu’ils voient et entendent à la télé, dont la sexualité, la violence, des disputes d’adultes au port vestimentaire indécent et qui n’hésitent pas à s’embrasser, à s’échanger des coups, à s’insulter.
Ceux qui ont suivi l’épisode de la série Pod et Marichou diffusée le samedi 23 décembre ont eu mal : des séquences très choquantes ont été diffusées puisque c’est un profitard et vulgaire mari qui profère «de gros mots», des insanités avant de rouer de coups sa femme parce que cette dernière ne peut plus le financer. Les enfants qui ont suivi ces séquences, qu’on aurait dû censurer, sont forcément choqués. Et on ne mesure pas souvent l’impact de ce choc sur le développement psycho-affectif des enfants : tout ce qu’ils entendent ou voient (l’image vaut mille mots) peut bien altérer leur développement.
Et c’est dommage de constater que dans la production et diffusion des programmes, on ne tient point compte de la sensibilité, de la fragilité des enfants tentés d’imiter des personnages dans des téléfilms où auteurs et protagonistes ne sont pas toujours des exemples.
Qu’on ne nous reproche pas de manquer d’autorité devant nos enfants parce qu’on leur laisse trop de liberté ou parce qu’ils ne nous obéissent pas à la lettre comme nous on obéissait à leurs grands-parents.
A tous ceux qui seraient tentés de reprocher aux parents que nous sommes de laisser faire, qu’on me permette de leur rappeler qu’«être parent est un métier qui ne va plus de soi aujourd’hui. Il n’y a pas longtemps, tout était simple : papa et maman se marient, font des enfants dont maman s’occupe pendant que papa travaille pour nourrir la famille. Ce modèle traditionnel de la famille a été ébranlé par la diversification croissante des configurations familiales», pense Xavier Molenat pour qui «la parentalité contemporaine est une véritable épreuve» (Revue sciences humaines N° 232 décembre 2011). Aujourd’hui, il n’est plus question pour nos braves mamans et sœurs de rester au foyer. Elles ont déserté les foyers, à tort ou à raison, mais on peut constater qu’il n’y a plus personne pour s’occuper des enfants. Aujourd’hui, les mamans jonglent entre leur travail et leur rôle maternel, toujours soucieuses d’être de bonnes mères malgré des journées bien remplies.
On fait des enfants pour s’en débarrasser : beaucoup d’enfants en situation de rue sont abandonnés par des parents plus soucieux de leur gain journalier, surtout que les papas que nous sommes se sentent moins responsables de l’éducation des enfants que les mamans n’ont pas fait seules.
Nous tenions juste, en dénonçant, à plaider, comme un Doltoiste (Françoise Dolto), la cause des enfants et attirer l’attention des parents dont la responsabilité est engagée certes, mais surtout celle de l’Etat dont une des missions est de veiller aux bonnes mœurs. Et rien n’est fait pour protéger nos enfants contre cette perversion orchestrée des médias, dont la télévision.
Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) est interpellé : il manque vraiment de vigilance et pourtant, c’est dans son rôle que de veiller aux bonnes mœurs et de participer aux efforts et à l’engagement de l’Etat du Sénégal décliné dans la Stratégie nationale de protection de l’enfance (Snpe). Et dans celle-ci, la protection, comme la prévention, occupe une place essentielle : elles interrogent les conséquences des chocs, dont émotionnels, dans le court, moyen et long terme, adoptant ainsi une approche de cycle de vie de l’enfant où chaque âge présente des contraintes et opportunités différentes. L’enfant qui, pour encore rappeler l’importance des premières années de la vie dans la formation de notre personnalité, «est le père de l’homme», pensait Freud lorsqu’il paraphrasait le poète britannique Wordsworth.
Bira SALL
Professeur de Philosophie au
Lycée Ababacar Sy de Tivaouane
Chercheur en Education – Spécialiste Petite Enfance
sallbira@yahoo.fr
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