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Le Système Judiciaire Sénégalais : Un Système à Repenser

Le Système Judiciaire Sénégalais : Un Système à Repenser

La justice sénégalaise répond-elle aux exigences d’une démocratie majeure ? Par son caractère provocant, (une provocation bien sûr à la réflexion), la question n’appelle qu’une seule réponse : non, la justice sénégalaise n’est, bien évidemment pas, à la hauteur des attentes placées en elle.

Comment peut-on parler de justice lorsque le citoyen au nom duquel la justice est rendue est incapable de soulever, comme moyen de défense dans le cadre d’un procès la question de la constitutionnalité de la loi promulguée et d’en saisir le Conseil constitutionnel ?

Comment peut-on s’attendre à des décisions impartiales et neutres lorsque l’arbitre chargé de trancher le contentieux électoral est désigné unilatéralement par un des candidats devant solliciter les suffrages des citoyens ?

Comment peut-on oser parler de justice alors que la loi, ainsi que les tribunaux s’efforcent de préserver les privilèges et intérêts de citoyens épinglés dans le cadre d’audits et se montrent impitoyables envers tous ceux qui assument leurs convictions politiques, affichent leurs ambitions ou combattent pour leurs idées ?

Comment peut-on accorder le bénéfice du doute à une justice qui, en un moment, soutient mordicus qu’un député détenu pour des faits antérieurs à son élection ne saurait bénéficier d’immunité parlementaire, mais ne se gêne pas, quelque temps après, de saisir l’Assemblée nationale pour demander la levée de son immunité ?

Peut-on parler de justice lorsque les garanties statuaires accordées aux magistrats dans l’exercice de leurs fonctions sont constamment violées par les autorités politiques censées pourtant les consolider ?

Autant dire, dans ce pays, la voie la plus indiquée pour acquérir un sentiment d’invulnérabilité est de marcher avec les forts. En réalité, nos dirigeants et leurs militants sont bien adaptés à notre système judiciaire, tellement bien d’ailleurs qu’il paraît avoir été spécialement conçu pour eux. Aucun des régimes qui se sont succédé à la tête de l’Etat, de l’indépendance à nos jours, n’est parvenu à suggérer des pistes pertinentes susceptibles d’y apporter des améliorations. Certes des étapes ont été franchies, mais de nombreuses autres réformes de nature structurelle sont nécessaires pour répondre aux multiples défis de l’indépendance de la justice. De ce point de vue, sans prétendre à l’exhaustivité, avons-nous considéré que de sérieuses réflexions, liées d’une part aux imperfections du Conseil constitutionnel et d’autre part aux mécanismes de nature à équilibrer les rapports entre l’Exécutif et le Judiciaire, s’avèrent plus qu’indispensables.

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Pour rappel, le modèle de contrôle de constitutionnalité sé­né­galais, influencé en grande partie dans ses principes par le modèle de justice constitutionnelle français, relève d’une instance spécialisée, située en dehors de l’appareil juridictionnel, dont les membres sont désignés par le président de la République (article 3 de la loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel). Et c’est aux autorités politiques qu’il appartient de déclencher l’exercice d’un contrôle abstrait des lois écartant, du coup, le citoyen.

Par rapport au mode de désignation, non seulement il suscite le soupçon d’une institution sous influence, mais également ne ferme pas la porte à des choix partisans, alors que par ses décisions le Conseil constitutionnel est conduit à trancher les éventuels litiges politiques entre le camp présidentiel et l’opposition. Le moment semble venu donc d’envisager d’autres systèmes de désignation : le principe de l’élection parlementaire (Rfa), la combinaison de la nomination et l’élection faisant intervenir l’autorité exécutive et législative (Autriche), ou bien avec l’autorité judiciaire (Espagne, Italie). Pour la désignation du Président de l’institution (qui a voix prépondérante en cas de partage de suffrages), elle pourrait être laissée à ses membres.

Quant à sa saisine, il est temps qu’elle soit élargie aux citoyens, du moins aux justiciables, et de permettre ainsi au juge constitutionnel d’exercer un contrôle concret par voie d’exception (ou, plus exactement, par voie de question préjudicielle).

En ce qui concerne les mécanismes susceptibles de rétablir l’équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judicaire, il importe de faire observer que le président de la République, en sa qualité de garant de l’indépendance de la justice, est président du Conseil supérieur de la magistrature. A ce titre, il dispose d’une véritable emprise sur la carrière des magistrats et notamment sur des magistrats du siège en ce que les avis donnés par le conseil pour toutes mesures importantes concernant la gestion de la carrière des magistrats ne sont que consultatifs (donc ne lient pas le Président) et la décision définitive est une prérogative exclusive du chef de l’Etat. Ce qui est de nature non seulement à détériorer les relations entre autorités politiques et celles judiciaires, mais également de créer un déséquilibre au profit de l’Exécutif. Comme les autres fonctionnaires, les magistrats ont vocation à faire carrière, c’est-à-dire à occuper des postes de plus en plus élevés à l’intérieur de la hiérarchie judiciaire. Par-là, le risque existe donc que le pouvoir tente de faire pression sur les magistrats, et en particulier les magistrats du siège, en leur promettant des promotions intéressantes. Une grande réforme ne serait sans doute pas opportune, mais il s’avère plus que nécessaire de procéder à une nouvelle configuration du conseil afin qu’il puisse jouer dignement et pleinement la mission qu’on attend de lui. A cet effet, les politiques (majorité et opposition) doivent consacrer de sérieuses réflexions relativement aux recommandations issues du colloque organisé par l’Union des magistrats sénégalais, si tant est que la course au pouvoir ou l’acharnement pour sa conservation au mépris d’une vision s’appuyant sur les intérêts des citoyens sont étrangers à la conception qu’ils ont de l’action politique.

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Autre aspect à souligner est le principe de l’inamovibilité du juge posé par l’alinéa 3 de l’article 90 de la Constitution, plus théorique que réel. Ce principe, si l’on s’en tient à l’article 6 de la loi n°2017-10 du 17 janvier 2017, fait défense, en dehors des sanctions disciplinaires, de déplacer le magistrat du siège, même par voie d’avancement, sans son consentement préalable. Par-là, il s’agissait pour le législateur de protéger le magistrat du siège contre le risque d’éviction arbitraire par le pouvoir politique. Toutefois, la réalité laisse apparaître que ce principe a été toujours vidé de sa pertinence par l’utilisation systématique des procédés par le pouvoir exécutif, tels l’intérim et la nécessité du service, installant ainsi le magistrat dans une situation précaire. Cette précarité, on en convient, ne saurait en aucune manière s’accommoder avec la sérénité et l’esprit d’indépendance requis par la fonction de juger. C’est pourquoi il est souhaitable, à défaut de supprimer purement et simplement ces procédés, d’aller dans le sens de poser des obstacles rendant plus difficile leur utilisation.

On ne saurait passer sous silence la hiérarchisation très poussée d’un ministère public lié au ministère de la Justice. Chargés d’appliquer la politique pénale du gouvernement, les magistrats du Parquet sont installés dans un lien de subordination à l’égard du pouvoir exécutif, rendant ainsi l’effectivité de l’indépendance incertaine. A la fois patron direct du Parquet et homme politique, et bénéficiant de la confiance du chef de l’Etat, le ministre de la Justice peut, pour peu qu’il soit de mauvaise foi, faire pression sur le procureur afin qu’il diligente des enquêtes sur la gestion des finances des collectivités dirigées par d’irréductibles opposants. Et c’est là que devrait intervenir une transformation radicale du système. On peut douter que cela se produise tant le pouvoir exécutif est foncièrement réfractaire à toute idée de changement, surtout pour celle allant dans le sens de réduire ses prérogatives.

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Cristallisant les espoirs de toute une Nation et gérant sa sécurité, voire sa survie, le combat pour une justice impartiale et indépendante devrait nécessiter une bataille ardue, un combat de tous les instants mobilisant tous les citoyens. Etant l’affaire de tous, la question devrait être traitée selon une approche globale et participative avec l’adhésion de tous. Autant dire, s’appuyer sur la qualité de notre capital humain, déjà très enviable, quoique largement perfectible, devrait nous fournir les armes pour relever le défi de l’indépendance de la justice et partant la réconcilier avec sa vocation première : rendre le droit en toute équité et en toute impartialité.

 

Babaly KONATE

Enseignant / Chercheur

Membre du mouvement citoyen Aar sa Reew

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