De grâce, ne sabotez pas la formation de nos maîtres ! Enseigner est un métier. Certes on ne fait pas des enseignants avec des ignorants, mais de même on ne fait pas des enseignants avec seulement des bacs + 1, 2, 3,…..,n années universitaires. Exiger toujours une année de plus après le Bac n’a amélioré la qualité de l’enseignement nulle part.
Nos premiers instituteurs étaient formés dans le (sanctuaire/séminaire) de Gorée, puis de Ponty, et les dames à Rufisque. Corps d’élite, ils étaient recrutés par concours pour toute l’Aof. Corps prestigieux, l’Administration coloniale prenait un soin particulier à leur formation. On ne les ployait cependant pas sous le poids des connaissances académiques. L’un d’entre eux me confia un jour, humblement, que les programmes à Ponty étaient modestes, mais ils apprenaient tout ce qu’il fallait pour pouvoir encadrer des enfants : chanter, dessiner, gymnastique, un peu de tricot même. On savait que ce qui comptait pour eux, c’était non pas comment transmettre, mais comment former. Aussi les cours n’étaient-ils pas assurés par des universitaires ou des sommités intellectuelles. Les enseignements étaient souvent donnés par des instituteurs comme eux, «des homologues quoi !», mais qui avaient blanchi sous le harnais. Plus que des connaissances, c’était leur expérience qu’ils transmettaient : Le geste pédagogique, le tour de main de l’artisan.
A l’indépendance et sous la pression de la demande d’éducation toujours plus forte, on ouvrit les Centres de formation pédagogique (Cfp). La formation y durait un an. Ces établissements étaient confiés aux directeurs d’école de la ville où était situé le centre. Ils y passaient à tour de rôle. Chacun faisait un an et passait la main à un autre. Souvent, il choisissait lui-même les instituteurs qui l’accompagnaient et chargés de l’encadrement. Même quand ces établissements étaient confiés à des inspecteurs de l’enseignement, ces derniers étaient souvent de «gros instituteurs», c’est-à-dire qui avaient un passé, une expérience d’instituteur plus que respectable. Tant qu’ils ne s’éternisaient pas au poste, les résultats étaient plus qu’élogieux.
Les écoles normales régionales constituèrent la première tentative d’amélioration et de relèvement du niveau des maîtres. Leur ouverture constitua une aventure dont ceux et celles qui y participèrent se souviennent encore avec fierté. Les vertus de Ponty (internat, trois ans de formation) était préservées et on y ajoutait un plus : un niveau de culture générale qui avoisinait le Bac. Mais vint l’ajustement structurel. On supprima les écoles normales régionales et pour justifier, on théorisa – et cela jusqu’à la Banque mondiale – qu’il n’y avait pas de différence significative de rendement entre un maître titulaire du Bac et un autre titulaire seulement du Bfem. Vous connaissez la suite de l’histoire, avec les «ailes de dinde», les «volets sécuritaires», etc.
Pour ce qui est des professeurs, leur formation était assurée par l’Ecole normale supérieure : formation des professeurs du moyen d’abord, ceux-là qu’on désignait avec condescendance professeurs de Ceg, et qui pourtant ont rendu d’éminents services à l’enseignement. Puis l’Ecole normale s’éleva à la formation des professeurs du secondaire et à la préparation du Certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire (Caes). Les premiers jurys de Caes étaient présidés pas un inspecteur général d’enseignement français et comptaient un ou deux enseignants français, titulaires du Capes ou professeurs agrégés. C’était la même rigueur au début, même pour les professeurs de Ceg. Pour vous donner une idée du sérieux de l’examen : pour un d’entre eux, on déplaça le jury par avion à Linguère.
Les enseignants étaient des professeurs «expatriés», mais comptaient aussi des «locaux» qui avaient eu la chance d’avoir été en France et avoir passé l’agrégation ou le Capes, mais c’étaient tous des vétérans qui avaient une solide expérience qu’ils transmettaient à leurs collègues plus jeunes. L’université leur avait même aménagé un corps, celui des maîtres d’encadrement, qui équivalait à celui de maître-assistant, je crois, et qui leur permettait un certain plan de carrière, sans être obligé de passer un doctorat.
Puis vint le moment où l’université commença à déverser à l’Ens son surplus de docteurs, ceux qu’elle n’avait pu caser dans les facultés. Ces derniers passèrent leur temps à lorgner du côté de l’université. Que pouvaient-ils faire d’autres ? N’ayant souvent que leurs connaissances universitaires, ils ne pouvaient enseigner que cela. L’école normale devint peu à peu un établissement d’enseignement, sans personnalité, une université bis, où on apprenait des connaissances dont on était sûr de ne jamais avoir à les enseigner : physique théorique, mathématiques supérieures, théories littéraires, etc. La formation professionnelle se réduisit de plus en plus à une soi-disant mise à niveau qui n’était souvent qu’un prolongement ou une répétition des études universitaires. Nos Centres régionaux de formation en pédagogie et en éducation (Crfpe), c’est le pire mépris que l’on puisse témoigner aux instituteurs. Ce sont les Cfp d’antan, ceux des premières années d’indépendance.
Il faut aujourd’hui des écoles normales d’instituteurs avec rang d’université. L’instituteur doit être un universitaire comme les autres, sans cependant se confondre, avec un professeur. Ces écoles normales seront nationales. Leur nombre dépendra des besoins. Pour ce qui est de la formation des professeurs du moyen et du secondaire, disons seulement un mot : quelqu’un ose-t-il aujourd’hui imaginer la formation des magistrats, des administrateurs civils où des inspecteurs du Trésor dans des unités d’enseignement (Ufr) accolées à des Facultés de droit ?
Si vous voulez que nous redevenions le corps d’élite que nous fûmes, alors rendez-nous notre statut et notre dignité d’antan !
Alioune SALL
Inspecteur de l’enseignement à la retraite
sallalioune47@yahoo.fr