Ailleurs on les appelle simplement « sièges »,chez nous elles portent les noms de « maison » ou de « permanence » et les mots ont un sens :là-bas ce sont des lieux de travail ,ici ce sont des centres de palabres et de délassement. Mais ,maisons ou permanences ,elles ont toutes la même particularité :elles ne fleurissent que si le parti qu’elles abritent tient les rênes du pouvoir, leur fortune est soudaine, leur décadence brutale, et ni l’une ni l’autre ne sont explicables!
La première née sous nos cieux, la plus visible en tout cas, ne s’appelait pas maison d’un parti, mais, outrageusement, maison DU parti. C’était le beau temps du parti unique et son chef s’était, pour l’occasion, taillé un vaste terrain dans ce qui était le seul espace resté inviolé au cœur de Dakar et dont il ne reste rien aujourd’hui, là où précisément Mamadou Dia avait rêvé d’édifier une cité administrative pour désencombrer le Plateau, rapprocher les services de l’Etat, faciliter leur contrôle et réduire leur coût. Un superbe bâtiment, bientôt flanqué d’une salle de conférence qui fut longtemps la plus grande de Dakar, et qui ne servaient que quelques jours par an puisque pendant très longtemps le véritable siège de la formation c’était la Présidence de la République où se réunissaient ses instances, au mépris du principe de séparation du parti et de l’Etat.
Puis vint l’alternance
L’ancienne maison DU parti devint la maison d’UN parti, parmi d’autres, réduite à fonctionner grâce aux contributions des militants, donc pratiquement à rien, car la notion du sacrifice n’est pas notre qualité première. Au Sénégal le militant se fait payer sa carte de membre et ,de manière générale, on ne fait pas vivre le parti ,on vit du parti. Le siège du parti défait entra donc en décrépitude, d’autant plus vite que son déclarant responsable fila à l’anglaise, peut-être pour ne pas à répondre de sa gestion, changea de continent et rendit son tablier. Elle dut donc solder ses bijoux de famille, renvoyer la majeure partie de son personnel, au risque de transformer sa cour en champ de patates ,et à bout de ressources sans doute, se résolut à céder une partie de son patrimoine. Certains de ceux qui fréquentaient ses couloirs eurent le bon reflexe : ils parcoururent les quelque deux cents mètres qui la séparaient des modestes locaux du parti qui venait d’arracher le pouvoir et, la main sur le cœur, lui offrirent leurs services. On les appelle « transhumants », parce que quand il n’y a rien à brouter sur leur pré ils vont brouter sur le pré des autres, et un exemple récent nous a montré que ce va et vient peut se répéter indéfiniment…
Le soleil ne se levait plus au même endroit et c’est désormais un petit bâtiment qui avait l’allure d’un comptoir de commerce, aux couleurs trop voyantes pour respirer une bonne santé, qui devint le centre de gravité de la vie politique. Ce qui devait arriver arriva :le parti qui y avait ses quartiers était bien le même ,mais la demeure devenait trop étriquée et d’un coup de baguette magique il émigra vers d’autres lieux. Tout comme quelques dizaines d’années plus tôt et sans qu’on sache d’où venait cette soudaine prospérité, on vit sortir de terre un immeuble flambant neuf qui respirait l’arrogance. L’appétit venant en mangeant et suivant l’exemple de son prédécesseur au pouvoir, le parti entreprit à son tour la construction d’une annexe de prestige, un autre édifice dont ,très vite, l’armature d’acier s’éleva dans le ciel. Hélas, trois fois hélas ! La politique est un jeu cruel, la défaite du chef de cette formation mit un coup d’arrêt aux constructions, car faut-il le répéter, les militants ont horreur de mettre leurs propres deniers dans une entreprise aussi improbable qu’un parti politique, ne serait-ce que parce qu’il est rare qu’ils y terminent leur carrière. Après l’exil du maître d’œuvres, (cela devenait une manie !) le chantier fut stoppé net, la carcasse se désagrégea lentement , les investissements étaient perdus ,comme si c’était toute l’ entreprise qui avait fait faillite.
Voila donc que le parti qui nous gouverne annonce à son tour la construction d’une « maison », à la dimension de son pouvoir. C’était prévisible. C’est même normal en ce sens que notre culture impose qu’on change de demeure quand on change de statut. Mais le débat auquel se livrent certains de ses responsables pour justifier l’opportunité de cette réalisation et rassurer sur son mode de financement est un débat vain.
D’abord il y a une certaine indécence ,dans un pays comme le nôtre où les services publics les plus essentiels sont à l’étroit, à consacrer autant d’argent à construire des édifices dont l’obsolescence est programmée et dont le seul vrai usage est d’abriter des happenings qu’on peut tenir dans d’autres lieux plus fonctionnels. Les maisons de parti sont, chez nous, comme les fondations de Premières Dames, avec la même opacité et la même fragilité. Rappelez-vous. La première qui en a eu l’idée a laissé en partant des institutions orphelines que l’état a dû sauver de la fermeture. La deuxième qui avait nourri le rêve certes généreux mais irréaliste dans le contexte choisi, de rapprocher l’hôpital des citoyens des périphéries délaissées, a fait abandon de poste et brisé net les espérances de milliers d’hommes et de femmes. Il est fort probable que l’œuvre de la troisième ne survivra pas à son départ…
Si l’opportunité de ces édifices est discutable, aucun plaidoyer pro domo ne peut convaincre de la régularité de leur mode de financement. Dans nos pays aucune formation politique ne publie ses comptes, ne rend publique la provenance de ses ressources, rien ne permet donc de juger de la bonne ou mauvaise fortune d’un parti. Nos formations politiques ne sont pas des associations fondées sur l’égalité de leurs membres mais sur le culte d’une personnalité qui concentre en ses mains tous les moyens et il serait d’ailleurs curieux de savoir sous quel nom est enregistré le patrimoine immobilier et mobilier de nos partis. L’’histoire des maisons de partis évoquée plus haut montre à suffisance que la chute politique du chef entraine automatiquement la ruine de la maison, alors même que le parti qu’elle abrite continue à revendiquer des militants. Dire « nous( ?)avons acheté le terrain » ne suffit donc pas, si l’on ne peut pas établir la nature des moyens mis en jeu, leur provenance, leur traçabilité… et cela demande plus que des mots. Alors que faire ? Le plus simple c’est de rester vague et général. Le plus courageux ce serait de dire qu’on a fait comme les autres et… d’assumer.
Reste maintenant à savoir si ,en politique, la vérité est une arme efficace..
Fadel DIA