Monsieur le Président,
L’émergence, ce mot que vous avez à la bouche depuis votre accession à la magistrature suprême de ce pays, peut être défini en trois formules :
1. Améliorer les conditions de vie des citoyens
2. Encourager toute action pouvant favoriser le développement
3. Bannir toute action pouvant entraver le développement
Ce changement tant prôné pendant les campagnes électorales et qui se transforme en simple slogan lorsqu’on accède au pouvoir, reste encore une illusion qui n’enchante que les demeurés.
Aujourd’hui, affirmer que Les citoyens sont fatigués n’est plus qu’une lapalissade. Et il faut verser dans un euphémisme magnanime pour vous le dire de cette façon. La situation qui prévaut dans ce pays est pire que celle que vous avez connue en sillonnant ses recoins les plus reculés. Vous avez vu lors de votre mémorable périple des réalités qui ont dû vous mettre les larmes aux yeux. Ceux qui vous disent, à présent, que les choses ont changé sont vos vrais ennemis. Ils vous font croire que les routes, les ponts, et autres infrastructures à votre actif ont éradiqué tous les maux dont souffraient les pauvres gens que vous avez côtoyés. Ils vous promettent, sur la base de ces leurres, que vous serez réélu aux prochaines élections. Libre à vous de les croire. Pour entendre autre chose que ce que racontent les frotte-manches, il vous suffit d’écouter la clameur quotidienne de ces gens désemparés qui tiennent à peine debout à cause du poids du chômage, de l’inflation et de la misère.
Si je parle de citoyens fatigués, je ne pense pas à ces tire-au-flanc, grands parasites devant l’éternel, qui profitent de vos largesses et vous couvrent de lauriers. Je ne pense pas à ceux qui ne connaissent aucune autre réalité en dehors du pouvoir. Je pense à ces honnêtes paysans qui en sont encore à l’agriculture médiévale incapable de les nourrir. Je pense aux oubliés de la nation qui n’ont ni routes, ni cases de santé, ni eau courante, encore moins de l’électricité. Je pense à ces milliers de femmes qui meurent en donnant la vie injustement privées du strict minimum pour un accouchement normal. Je pense à ces enfants qui ne connaitront jamais le bonheur de gambader à cinq ans, foudroyés par les carences avant cet âge angélique. Je pense à ces élèves et étudiants qui brandissent les mêmes revendications depuis plus de cinq décennies (vous en savez quelque chose pour l’avoir vécu). Je pense à ces pêcheurs qui ne parviennent plus à trouver le poisson dans leurs propres eaux et qui sont obligés d’aller en quémander chez les voisins au péril de leur vie et de leurs biens. Je pense à ces milliers de familles dont on a spolié les terres et qui se retrouvent, ainsi, sans aucune autre ressource. Ceux-là, Excellence, ne vous diront jamais que le pays marche. Ils ignorent le sens des mots CROISSANCE, DEVELOPPEMENT, EMERGENCE et autres formules qui ne leur apportent pas de vrais remèdes contre l’indigence.
Votre prédécesseur avait sa formule magique : « travailler, encore travailler, toujours travailler », mais elle n’a été qu’une expression vide de sens. Le culte du travail et celui de l’excellence sont morts et enterrés depuis longtemps. Le népotisme, l’absentéisme, le laxisme, la crise d’autorité et le bâclage ont dépourvu le travail de toute sa sacralité. Toutes les nations qui ont émergé durant le siècle dernier l’ont pu grâce au travail débarrassé de tous ces vices. Dans ces nations, chaque citoyen a agi comme si le flambeau qui devait illuminer le futur était dans sa main. Les préjugés, les haines, les rancunes et les rivalités ont été tus uniquement pour une concorde autour de l’essentiel : la patrie. C’est ainsi que doit être compris un profond désir d’émerger.
L’émergence c’est aussi un train de vie sobre de l’Etat. J’ai du mal à croire que le montant du budget de votre caisse noire s’élève à plus de soixante milliards de nos francs, soit plus d’un milliard par semaine, celui du président de l’assemblée nationale dix-huit milliards, celui du Haut Conseil des Collectivités Territoriales plus de sept milliards, celui du conseil économique social et environnemental plus de six milliards. A cela s’ajoute les salaires exorbitants du nombre pléthorique des ministres et autre conseillers. A cela s’ajoute le carburant qui est servi à foison pour n’entretenir qu’une clientèle politique. A cela s’ajoute les millions gaspillés dans les soirées et autres festivités parrainées par les pontes de l’Etat. A cela s’ajoute les caisses d’avance qu’on ose prétendre être destinées à secourir les plus démunis. Quels plus démunis ? A cela s’ajoute des milliards investis dans des infrastructures qui ne « tuent pas la faim ». A cela s’ajoute sept milliards de nos francs pour la préparation de « l’équipe nationale » à la coupe du monde. Et la liste n’est pas exhaustive.
Pendant ce temps, vous occultez les revendications des enseignants qui n’exigent que leurs dus. Pendant ce temps, vous oubliez les travailleurs des infinies entreprises qui ont mis la clé sous le paillasson. Pendant ce temps, vous négligez les complaintes venant des petites et moyennes entreprises noyées sous l’ouragan des impôts et autres taxes pendant que d’autres sont exonérées sans aucune raison valable. Pendant ce temps, vous prenez à la légère la souffrance des milliers de malades qui n’ont pas d’autre choix que d’attendre la mort sur les lits d’hôpitaux. Pendant ce temps, « le pays danse » : les soirées de galas, réceptions, inaugurations et parrainages sont toutes des occasions pour les « patriciens » de se divertir et de faire bombance pendant que les « plébéiens » triment comme des damnés. Les parasites semblent, alors, narguer les laborieux.
Excellence, l’émergence, c‘est aussi la justice. S’il y a une chose qui est loin de marcher dans ce pays, c’est bien la justice. De vrais gangsters sont en train de humer l’air de la liberté pendant que des innocents subissent des sévices pires que la damnation. Les prisons sont des lieux de plaisance pour les grands délinquants et des purgatoires pour les voleurs de poules. Quelle aberration ! Les plus gros scandales sont étouffés puis jetés aux oubliettes et, chaque jour que Dieu fait, on nous tympanise avec des peccadilles qui ne méritent qu’indifférence.
L’émergence c’est aussi un ensemble de vertus sans lesquelles aucune nation ne peut aspirer à changer positivement son destin. Avons-nous besoin d’aller les chercher loin, puisqu’elles font partie du legs de nos aïeux ? Je veux parler du JOM, l’inflexibilité qui dicte la persévérance, du KERSA, la pudeur qui éloigne des turpitudes, de la SOUTOURA, cette belle faculté de savoir garder le secret et de dissimuler l’infamie et du NGOR qui inspire le respect de la parole donnée, la gratitude et la fidélité dans les relations. Toutes ces valeurs ont disparues et nous voici, aujourd’hui, confrontés aux pires exactions que la nature laissée à elle-même aurait honte de perpétrer. Comment pouvons-nous les ravaler à de simples mots, vivre au gré de nos pulsions comme des animaux dans une jungle et prétendre à un avenir plein de belles choses ?
Monsieur le Président, ce pays est pourri. Pourri de ses citoyens qui ne savent plus obéir à une autorité. Pourri de ses hommes et des femmes qui n’ont plus le sens de la vergogne, pourri de ses jeunes qui ont perdu tous les repères qui devaient les diriger vers des lendemains meilleurs. Pourris de ses chefs (religieux et laïcs) qui devaient servir d’exemples et de guides vers la félicité dans les deux mondes. L’émergence aurait pu être la dernière bouée qui nous aurait sauvés du naufrage. Je crois qu’il y encore lieu d’espérer son avènement si tant est que vous le désirez vraiment. Waaye nak, ce ne seront plus des jeux de mots et de fausses promesses qui pourront séduire les électeurs de ce pays. Ce ne seront pas non plus des stratagèmes qui pourront détourner leurs votes. Ils ont juste besoin d’être apaisés, mis en confiance par des actes concrets et pleins de sagesse.
Excellence, je ne crois plus au port des brassards rouges dont le sens a été corrompu par des suivistes menés par des dons quichottes en mal de renommée. Je ne crois plus aux marches, aux grèves, aux sit-in et autres formes de revendications qui tombent souvent dans l’oreille d’un sourd. Je crois en un Président qui ouvre ses yeux pour voir le malheur des hommes et des femmes qui lui ont confié leur destinée. Je crois en un Président qui comprend que le mot « NGUUR » ne signifie pas profiter et faire profiter les siens des privilèges du pouvoir. Je crois, enfin et surtout, en un peuple qui sait régler ses comptes au moment opportun sans faire trop de bruit.
Momar Ibn Sidaty