Sous nos tropiques, chaque jour que Dieu fait, nous autres citoyens lambdas assistons à des scènes cocasses, à des tragédies indescriptibles qui assassinent la démocratie et qui démontrent nettement que nous avons encore les mentalités et pratiques d’éternels «sous-développés» ; peut-être aussi avons-nous simplement les dirigeants que nous méritons.
En Angleterre, il aura suffi d’une minute de retard pour qu’un ministre présente sa démission. Il y a de cela quelques jours, Lord Michael Bates, le ministre du Développement international, a fait une annonce surprenante en pleine séance de questions au gouvernement à la Chambre des Lords, la Chambre haute du Parlement britannique. A cause d’un retard d’une minute, il n’a pas pu répondre à une question qui lui était adressée sur les inégalités de revenus, et c’est un autre Lord qui a dû répondre à sa place. A sa prise de parole, il a présenté «ses excuses sincères» pour son «manque de courtoisie» et s’est dit vraiment «honteux». Il a démissionné avec effet immédiat, avant que le Premier ministre Theresa May ne juge la démission pas nécessaire. Quel acte de grandeur !
Le développement est d’abord dans la mentalité, c’est une question de comportement et de posture. Pour quelqu’un qui a exercé ces hautes fonctions pendant cinq ans, venir en retard est une honte. Admirez ce sens élevé des responsabilités ! Au contraire, dans notre pays, malgré tant de discours sur l’émergence, où en sommes-nous ? Ici, venir à l’heure est une exception, être ponctuel est quelque fois assimilable à de la folie. Nous avons par contre des autorités qui n’ont aucun sens des responsabilités, aucun sens du bien commun, et qui croient que leur boulot se limite à plaire au prince, à mobiliser des foules, à distribuer des billets de Cfa aux troubadours, à avoir un niveau de vie décent, quitte à voler, sans honte.
Pour un homme du troisième âge et retraité comme moi, je voudrais au moins voir un début de changement de paradigme dans notre pays pour pouvoir m’en aller tranquillement et me reposer en paix, en me disant que mes fils et petits-fils vivront dans une société qui a renoué avec les bonnes pratiques et retrouvé la dignité. En attendant, je lis la presse et prie pour cette Nation.
C’est en lisant quotidiennement la presse que je me suis amené à faire et à oser cette comparaison : il y a de cela quelques semaines, un journal sportif a titré à sa Une : «100 millions de francs entre le président de la Fédération de basket et le directeur de Cabinet du ministère des Sports». Depuis lors, silence radio. Aucune suite. L’affaire est d’une extrême gravité. Dans un pays normal, les choses ne se passeraient pas ainsi. En parlant du directeur de Cabinet, c’est le ministre lui-même qui est visé. En lisant l’article, tout esprit averti comprendra que le ministre des Sports a indûment reçu de l’argent du président de la Fédération de basket. Depuis lors, pas de sortie médiatique, pas de plainte, pour un ministre si prompt à communiquer sur tout et sur rien. Dans un pays normal où les gens ont une once de dignité, ce ministre aurait démissionné. Nous ne sommes pas en Grande Bretagne, nous sommes au Sénégal, le pays des controverses. Et vous avez donc vu que Matar Ba n’est pas Michael Bates et que Mahammed Boun Abdallah Dionne n’est pas non plus Theresa May.
Nous sommes des passionnés du sport, nous suivons son actualité, car nous sommes des patriotes. Nous avons tous suivi l’affaire concernant Gorgui Sy Dieng, les agents des finances qui ont parlé de façon anonyme dans la presse ont résumé l’affaire en disant qu’il y a eu une gestion de fait, c’est-à-dire une personne non habilitée (ici le président de la Fédération de basket) à gérer des fonds qui n’étaient pas de son ressort. C’est une faute lourde et impardonnable. Le ministre qui a permis ce manquement est aussi fautif. Cela prouve qu’il manque de culture d’Etat. Pas étonnant pour quelqu’un qui n’est formé et formaté que par le mouvement nawetanes. En wolof, on dit : «Kou wakh, fégne» (qui parle se dévoile). Il fallait suivre la conférence de presse du ministre pour s’en convaincre : Propos incohérents, il bégaie, juxtaposition de mots, tête courbée… pour comprendre que le bonhomme avait quelque chose à se reprocher.
La seule alternative qu’il lui restait à faire était de se débarrasser d’un haut fonctionnaire (nettement plus diplômé que lui) pour se laver aux yeux de l’opinion et entrer ainsi dans les bonnes grâces du chef de l’Etat (chef de l’Etat qu’il va certainement continuer à berner). C’est lâche ! Dans un pays normal, ce ministre ainsi que le président de la Fédération auraient démissionné, mais ici au Sénégal, démission, on ne connaît pas ! Cette douloureuse notion de mea culpa est méconnue.
Ce qui s’est passé, à la lecture croisée des articles de presse, est un vol organisé.
Voilà pourquoi le Sénégal ne gagne rien. Trop de magouilles, trop de «deals» sur le dos des athlètes, et sur celui du Peuple. Trop de frustration et des coups bas donnés à d’honnêtes citoyens.
Ce système moribond, qui sacrifie les fonctionnaires parce qu’ils sont astreints à l’obligation de réserve, ou parce qu’ils ne remplissent pas les cars ndiaga ndiaye pour une mobilisation politique, doit cesser.
Et pendant ce temps, ce ministre, toute honte bue, bombe le torse au stade pendant les combats de lutte, entouré d’une bande de troubadours et de colporteurs de potins.
A quand le réveil ?
Il faut sauver ce pays.
Mamadou Moustapha DIOP
Enseignant à la retraite
Keur Massar