Ce qui était nié hier est accepté aujourd’hui, toute honte bue. La campagne de commercialisation de l’arachide 2017-2018 se déroule dans les pires conditions imaginales. Les agriculteurs sont obligés de stocker leurs récoltes d’arachides dans leurs chambres ou dans des abris de fortune, à la merci des incendies et des insectes. Les points de vente officiels sont désertés par les opérateurs qui clament haut et fort, qu’ils n’ont plus de financements ou n’ont pas été payés par la Sonacos.
C’est la colère et la désolation qui habitent les arachiculteurs. Tout semble indiquer qu’en ce moment, il n’y a pas de solution en vue. En tout cas, les discours des autorités ne sont pas rassurants et ne suscitent aucun espoir de reprise des activités d’achat des arachides. Le contexte politique focalisé sur février 2019, aurait dû empêcher la mouvance présidentielle de rater la campagne de commercialisation de l’arachide pour cette année.
Manifestement, elle n’a pas été bien préparée. Déboussolés et ne pouvant plus attendre, les paysans sont contraints de brader leurs arachides à des prix en dessous de 210 FCfa. Le kilogramme d’arachide est cédé aux commerçants au vu et au su de tout le monde entre 160 F et 175 F. Cela est vérifiable dans les villages du département de Birkelane, qui est le mien. Certaines autorités s’entêtent toujours à nier le caractère calamiteux de la présente campagne de commercialisation de l’arachide.
Nos nombreuses alertes sur le caractère inadapté de notre système de commercialisation de l’arachide, n’ont jamais retenu l’attention des autorités. Au lieu d’examiner nos propositions, nous avons eu droit à des commentaires et à des articles insultants, distillés dans la presse.
Les raisons de l’échec irréfutable de la présente campagne de commercialisation de l’arachide sont si profondes que penser trouver des solutions opérationnelles à chaud, est un signe flagrant de l’ignorance de l’agriculture et de son état de santé du moment. Pour normaliser la campagne de commercialisation de l’arachide et sécuriser le revenu des agriculteurs, il est impératif de réformer de toute urgence notre politique agricole, à l’image de ce qui est projeté pour la justice en ce moment.
Continuer à subventionner n’importe comment l’agriculture, à distribuer les semences et autres intrants et matériel agricole de façon informelle, la commercialisation de l’arachide avec le système actuel dépassé, conduit inévitablement à des crises comme celle que nous connaissons présentement. Pour un Etat sensible à la détresse de ses citoyens, la présente crise aurait pu être saisie pour enclencher un processus de réforme de notre politique agricole. Malheureusement, il n’en sera rien.
La politique agricole du Sénégal n’ambitionne que d’augmenter la production, toutes spéculations confondues. Elle ne tient pas compte de la commercialisation, de la conservation et de la transformation des produits agricoles. Pourtant, le plus ignorant en sciences agricoles sait qu’une telle politique est forcément vouée à l’échec. L’agriculture est une juxtaposition de maillons tous aussi importants les uns que les autres. Il n’y a aucune cohérence dans le pilotage de ces maillons interconnectés. Aussi longtemps qu’il en sera ainsi, le secteur agricole du Sénégal va continuer à connaître des crises sectorielles aux conséquences désastreuses pour les acteurs, notamment les paysans. Tous les maillons de la chaîne du secteur agricole devront être repensés avec l’implication de tous les acteurs : paysans, industriels, syndicats, Etat, banques, partenaires, collectivités locales, opérateurs etc. C’est une évidence élémentaire.
Les autorités ne devraient pas ignorer que tous les maillons de la chaîne sont interdépendants et en négliger un seul va immanquablement impacter négativement tout le secteur. La subvention de l’agriculture, une nécessité incontestable, enrichit plus les commerçants et les gros producteurs que les paysans. Le bon sens devrait interdire à l’Etat d’injecter des milliards de Francs CFA dans un secteur où tout est fondé sur la non qualité et la désorganisation. On constate que chaque année, quelque soit le régime, ce sont les mêmes collaborateurs qui accompagnent le Ministre dans ses tournées. Ce sont toujours les mêmes qui évaluent et se félicitent du bon déroulement des opérations de distributions des produits subventionnés au moment où les bénéficiaires protestent comme ils peuvent.
La parole doit être laissée aux paysans et aux autres acteurs pour qu’ils puissent dire aux autorités s’ils sont satisfaits ou non. Les acteurs de la filière arachidière sont matures. Ils ne vont plus accepter la manipulation et la désinformation qui leur ont tant porté préjudice. Tant que l’Etat n’acceptera pas de réformer sa politique de subvention de l’agriculture, il va continuer à injecter à perte des milliards de FCfa dans le secteur. A défaut de la réformer, les paysans, destinataires mais non véritablement bénéficiaires de la subvention, sont les premiers à demander sa suppression pure et simple.
Augmenter la production agricole sans tenir compte de la commercialisation et de la transformation, est un mauvais choix stratégique pour développer le secteur. Pour l’arachide, la production a certes augmenté mais la commercialisation et la transformation des graines n’ont pas été prises en compte. La conséquence de cette option, est cette calamiteuse campagne de commercialisation de l’arachide. L’Etat a laissé mourir les usines de trituration de l’arachide et il est contraint dans cette nouvelle donne, d’exporter l’arachide brute, un très mauvais choix économique.
Les pouvoirs publics doivent réhabiliter sans délai les usines de la Sonacos pour que la totalité de notre production arachidière non auto-consommée soient triturée sur place. Cela est possible car avant le sabotage des huileries, toute la production arachidière était achetée par la Sonacos qui faisait de l’huile à Diourbel, à Kaolack, à Ziguinchor et à Dakar.
A la veille de la présidentielle de 2019, les paysans seront attentifs aux projets de politique agricole des différents candidats. L’enfer qu’ils sont en train de vivre ne saurait se reproduire les années à venir. A bon entendeur, salut.
Pr Demba Sow
Ecole Supérieure Polytechnique UCAD