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La Convention Fiscale Sénégal-luxembourg : Quelle Lecture En Faire ?

La Convention Fiscale Sénégal-luxembourg : Quelle Lecture En Faire ?

Une polémique semble s’installer depuis quelque temps autour de la convention fiscale Sénégal-Luxembourg. Même s’il faut certes se réjouir du vif intérêt du citoyen soucieux de préserver ses intérêts, il est utile d’avoir une bonne grille de lecture de cette convention fiscale et plus globalement de la politique conventionnelle du Sénégal. Je me propose dans les lignes qui suivent d’apporter ma contribution dans ce débat crédité d’une certaine complexité.

La République du Sénégal et le Grand-Duché de Luxembourg ont signé, le 10 février 2016, une convention fiscale en vue «d’éviter la double imposition et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu». La République du Sénégal s’est engagée dans une procédure de ratification conformément à la Constitution et aux différentes lois sénégalaises. Depuis, des voix se sont élevées et des plumes imbibées pour qualifier cette convention de «liaison dangereuse».

Ces analyses, parfois de techniciens de la fiscalité (qui ne sont pas forcément des spécialistes des questions fiscales internationales), sont parfois superficielles, voire inquiétantes. Elles ne sont basées (nous allons le démontrer) que sur la réputation de «place financière opaque» de cette juridiction, sans se fonder sur une lecture approfondie de la convention fiscale en rapport avec des règles fiscales internationales qui évoluent rapidement.

Les règles fiscales nationales ou internationales évoluent tellement vite qu’il n’est pas prudent, même pour un spécialiste, de se prononcer sur certaines questions sans une analyse profonde et rigoureuse des traités en cause. Dans un autre travail d’analyse comparative, certains articles se sont même permis une comparaison entre cette convention et celle signée en 2004 avec l’île Maurice.

Dans les lignes qui suivent, nous présentons au lecteur-citoyen les éléments démontrant le caractère exagéré de certaines affirmations reposant sur une analyse restrictive, subjective, voire dépassée et le caractère équilibré/encadré de la convention avec le Luxembourg.

Les conventions fiscales poursuivent plusieurs objectifs

Sans apprécier la qualité des relations économiques entre les deux Etats, en 2017, le volume des échanges entre le Sénégal et le Luxembourg était de 91 milliards de francs Cfa, compte non tenu des missions de coopération économique et financière de près de 20 millions d’euros (soit 13,1 milliards de F Cfa) en 20161.

Les objectifs d’une convention fiscale sont multiples. Au-delà de la consolidation de relations économiques et financières, elle permet de déclencher et de promouvoir des relations économiques entre les deux Etats parties de la convention.

De manière générale, les conventions fiscales ont une mission de facilitation des échanges économiques, financiers et commerciaux entre les Etats en les consolidant dans les conditions de leur existence, ou en posant des jalons menant à des perspectives meilleures.

Au-delà de cet objectif général et stratégique d’instrument de politique économique et d’attraction des investissements, on attache aux traités fiscaux deux objectifs opérationnels : i) élimination de la double imposition (qui met en confiance les entreprises qu’elles ne seront pas doublement imposées), ii) lutte contre la fraude et l’évasion fiscale internationales à travers l’échange de renseignements et l’assistance administrative mutuelle, surtout en matière de recouvrement (qui met en confiance les Etats qu’ils ne perdront pas de recettes fiscales).

Si l’élimination de la double imposition semblait être le seul objectif opérationnel jusqu’aux années 60-70, à partir de la redéfinition des règles fiscales internationales, les autres ont pris le dessus devant les planifications fiscales agressives des multinationales, le chalandage de conventions fiscales et face à la volonté des Etats de protéger leur base d’imposition.

La contrepartie de l’élimination de la double imposition est la prévention de la double non-imposition. Si cet objectif reconnu à la convention fiscale connaissait des difficultés d’opérationnalisation, la redéfinition des règles conventionnelles introduit de plus en plus dans les conventions des dispositions anti-fraude et anti-évasion fiscale. Nous allons dans le cadre d’un argumentaire pratique recenser toutes ces dispositions, inspirées par l’évolution des standards internationaux, contenues dans la convention fiscale entre le Sénégal et le Luxembourg, permettant de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale internationales.

L’évolution des règles de la fiscalité internationale 

L’adhésion des deux Etats (Sénégal et Luxembourg) au cadre inclusif relatif à la mise en œuvre du projet Beps2 a beaucoup favorisé la conclusion d’une telle convention fiscale reconnue par les praticiens des questions de traités fiscaux comme étant l’une des plus équilibrées.

Les règles de fiscalité internationale ont évolué de manière rapide (déroutante pour certains) durant les trois dernières années. Depuis le sommet de Saint-Pétersbourg en 2013 et, de manière pratique, depuis la rencontre d’Antalya en 2015, cent dix-huit (118) juridictions fiscales (dont le Sénégal et le Luxembourg) se sont engagées à lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert indirect de bénéfices.

Ces juridictions (pays développés et pays en développement) ont mis en place un cadre inclusif relatif à la mise en œuvre des actions et mesures envisagées. Le Sénégal assure la Vice-présidence du cadre qui voit les Etats partenaires discuter sur un pied d’égalité des modalités de mise en œuvre des 15 actions retenues pour traquer la fraude fiscale internationale. Quatre minima doivent être adoptés par les Etats membres du cadre inclusif, à savoir :

  • Lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance ;
  • Empêcher l’octroi des avantages des conventions fiscales lorsqu’il est inapproprié de les accorder ;
  • Prévoir une documentation des prix de transfert et la déclaration pays par pays3
  • Accroître l’efficacité des mécanismes de règlement des différends.

Chaque standard minimum est décliné en plusieurs mesures à mettre en œuvre par les Etats. L’Action du plan d’action Beps qui supporte le premier standard minimum tend à limiter l’utilisation abusive des conventions fiscales par les résidents des Etats signataires et préconise notamment d’inclure dans ces conventions des clauses anti-évasion.

Plus précisément, deux types de clauses anti-abus sont désormais inclus dans le modèle de convention fiscale sénégalais et confirmés dans la convention avec le Luxem­bourg :

  • La clause «limitation on benefits» (clause Lob) ou clause de limitation au bénéfice de la convention ;
  • La clause «principal purpose test» (clause Ppt) ou la clause du critère des objets principaux.

La clause Lob prévoit des critères objectifs pour limiter le «treaty shopping» (chalandage fiscal) tandis que la clause Ppt porte sur des critères plus subjectifs (la transaction a-t-elle un but principalement fiscal ?). Ces clauses apparaissent comme complémentaires, la clause Ppt étant plus générale et permettant de prévenir des situations abusives non prises en compte par une clause Lob. La convention conclue avec le Luxembourg a l’avantage de combiner ces deux clauses anti-abus. Mais comment sont-elles concrètement traduites dans la convention ?

Amener les places financières dites opaques dans les réseaux conventionnels pour mieux lutter contre l’évasion fiscale internationale : une nouvelle tendance

En quelques années, la Suisse est passée de place financière opaque à territoire coopératif en matière d’échange de renseignements financiers4. Ce changement résulte de la pression de la communauté internationale. Cette dernière, à travers le projet Beps, incite les pays qui ont bâti un modèle économique autour de la compétition fiscale et de l’opacité financière à changer de paradigme. Depuis 2012 avec le forum mondial, plusieurs instruments ont été conçus, reposant sur des conventions multilatérales facilitant l’échange de renseignements à des fins fiscales. Nous retenons trois instruments multilatéraux qui ont été signés par le Luxembourg et le Sénégal :

  • La Convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale ;
  • L’Accord multilatéral entre autorités compétentes ;
  • La Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

Ces conventions visent toutes à redéfinir les règles de la fiscalité internationale selon le trépied : Cohérence, substance et transparence. Ces différents leviers s’appliquent aux Etats et aux entreprises multinationales.

Elles prévoient toutes les formes d’assistance mutuelle : échange sur demande, échange spontané, contrôles fiscaux à l’étranger, contrôles fiscaux simultanés et aide au recouvrement de l’impôt. Elles visent également à protéger les droits des entreprises. Le Luxembourg, ayant ratifié tous ces instruments, se soumet à des exercices d’évaluation par les pairs basés sur le droit conventionnel, le droit interne luxembourgeois et les pratiques internes.

La convention avec le Luxembourg ne saurait être un instrument de planification fiscale agressive

Le préambule est reconnu comme partie intégrante d’un texte juridique dont il annonce le contenu. Tel qu’il figure dans le modèle conventionnel sénégalais mis à jour à partir des standards internationaux, le préambule de la convention entre le Sénégal et le Luxembourg marque sa volonté de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale internationales. Il a été annoncé en des termes sans équivoque :

«Le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le gouvernement de la République du Sénégal, soucieux de promouvoir leurs relations économiques et d’améliorer leur coopération en matière fiscale, entendent conclure une convention pour l’élimination de la double imposition en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune sans créer de possibilités de non-imposition ou d’imposition réduite par l’évasion ou la fraude fiscale (y compris par des mécanismes de chalandage fiscal destinés à obtenir les allégements prévus dans la présente convention au bénéfice indirect de résidents d’Etats tiers) 5.»

Cette affirmation dès le préambule est matérialisée dans les différentes dispositions du corps de la convention. En effet, elle ne peut pas constituer un outil de chalandage fiscal si on se rapporte à son article 30, portant sur le droit aux avantages de la convention. Cette dernière ne peut en aucun cas profiter aux personnes physiques ou morales qui s’adonnent à des planifications agressives de sorte à échapper à une imposition dans un des Etats. A l’alinéa 2 de cet article, il est clairement mentionné :

«Nonobstant les autres dispositions de la présente convention, un avantage au titre de celle-ci ne sera pas accordé au titre d’un élément de revenu ou de capital si l’on peut raisonnablement conclure, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances propres à la situation, que l’octroi de cet avantage était un des objectifs principaux d’un montage ou d’une transaction ayant permis, directement ou indirectement, de l’obtenir, à moins qu’il soit établi que l’octroi de cet avantage dans ces circonstances serait conforme à l’objet et au but des dispositions pertinentes de la présente convention.»

Cette affirmation traverse toutes les dispositions de la convention définissant des situations, des critères ou des conditions qui permettent de bénéficier de ses avantages. Elle est reprise aux articles 10, 11, 12 et 24 de la convention qui traite de l’imposition des dividendes, des intérêts et des redevances où les droits d’imposer sont également attribués au Sénégal par le moyen de la retenue à la source.

La convention ne peut être interprétée comme empêchant un Etat contractant d’appliquer son droit interne concernant la prévention de la fraude ou de l’évasion fiscale, dans la mesure où cette application ne donne pas lieu à une imposition contraire à la convention. En d’autres termes, la convention avec le Luxembourg ne peut constituer une entrave pour un pays à appliquer des dispositions de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale internationales contenues dans notre droit interne (loi 2012-31 du 31/12/2012, portant Code général des impôts, modifié).

Les dispositions d’assistance administrative mutuelle contenues dans la convention avec le Luxembourg

L’échange de renseignements dans une convention fiscale peut être un important outil de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. La convention avec le Luxem­bourg prévoit que chaque Etat contractant prête assistance au recouvrement des créances fiscales mis en recouvrement par l’autre Etat comme s’il s’agissait de ses propres créances. Une procédure de recouvrement infructueuse sur le territoire sénégalais peut être poursuivie par le moyen de la convention sur les biens détenus par le redevable sur le territoire luxembourgeois.

Article 27 : «Les autorités compétentes des Etats contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la présente convention ou pour l’administration ou l’application de la législation interne relative aux impôts de toute nature ou dénomination perçus pour le compte des Etats contractants ou de leurs collectivités locales dans la mesure où l’imposition qu’elle prévoit n’est pas contraire à la convention. L’échange de renseignements n’est pas restreint par les articles 1 et 2.»

Article 28 : «Les Etats contractants se prêtent mutuellement assistance pour le recouvrement de leurs créances fiscales. Cette assistance n’est pas limitée par l’article 1. Les autorités compétentes des Etats contractants peuvent régler d’un commun accord les modalités d’application du présent article.»

Ainsi, Le Trésor public sénégalais peut poursuivre jusqu’au territoire luxembourgeois des contribuables qui, sans la convention fiscale, auraient pu échapper.

Toutes ces dispositions anti-abus sont contenues dans le nouveau modèle sénégalais de convention fiscale. Il constitue une base de négociation de nouveaux traités et de renégociation d’anciens connus pour être des sources d’évasion fiscale.

Au regard des dispositions de droit interne et international, le Luxembourg s’éloigne de plus en plus des «paradis fiscaux»

Les termes de la loi n° 2012-31 du 31 décembre 2012, modifiée, portant Code général des impôts du Sénégal, consacrent les expressions de régime fiscal privilégié (1) et de territoire non coopératif (2).

Suivant les dispositions de l’article 18 du Cgi :

«Les personnes sont considérées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l’Etat ou le territoire considéré si elles n’y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l’impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun au Sénégal, si elles y avaient été domiciliées ou établies.»

Le Luxembourg s’est engagé depuis quelques années, à partir de l’histoire de «Luxleaks», dans une grande réforme fiscale qui revoit ses taux d’imposition aussi bien pour les personnes physiques que pour les personnes morales. Le taux retenu en ce qui concerne l’imposition des sociétés est de 20% du résultat d’exploitation à partir du 1er janvier 2015 pour les sociétés dont le revenu imposable ne dépasse pas 15 mille euros (soit 9,8 millions de F Cfa) et 21% au-delà de 15 mille euros. Pour les personnes physiques, un bouclier fiscal de 29% est observé.

Le Sénégal affiche un taux d’imposition des personnes morales de 30% du résultat fiscal avec application sur la moitié du bénéfice pour certaines entreprises (entreprises franches d’exportation, ce qui revient à un taux d’imposition effectif de 15%). Au regard du droit commun, le Luxembourg ne peut être considéré comme un territoire à régime fiscal privilégié, car le taux affiché n’est pas inférieur à la moitié du taux de droit commun du Sénégal.

Toutefois, les interstices doivent être recherchés dans les conventions et autres rescrits fiscaux (Luxleaks) conclus avec certaines entreprises. A ce propos, le Luxem­bourg, sur la base de son adhésion aux standards en matière de transparence fiscale et d’échange de renseignements, est astreint à une obligation de publication et de faire surveiller ces clauses par les organismes de management de ces standards internationaux à travers une méthode d’évaluation par les pairs.

L’article 18 du Cgi de poursuivre :

«Sont considérés comme non coopératifs les Etats et territoires qui ne se conforment pas aux standards internationaux en matière de transparence et d’échange d’informations dans le domaine fiscal, de manière à favoriser l’assistance administrative nécessaire à l’application de la législation fiscale sénégalaise. La liste desdits Etats est fixée par décision du ministre chargé des Finances.»

Les engagements multilatéraux (Instrument multilatéral, accord entre autorités compétentes, Maac…) ou bilatéraux (convention avec le Sénégal) de Luxembourg en matière d’échange de renseignements l’astreignent à une coopération en matière d’assistance administrative de sorte qu’on ne peut le qualifier de territoire non coopératif. Mieux, avant de conclure qu’un Etat est non coopératif, il faut par une évaluation par les pairs constater des demandes d’assistance administrative et d’échange de renseignements infructueuses.

Récemment, l’Union européenne a sorti une liste des «Paradis fiscaux» ne comprenant pas le Luxem­bourg. Fondamentalement, cela résulte d’efforts importants observés par la juridiction aussi bien en matière de régimes et taux d’imposition qu’en matière de volonté de transparence et d’échange de renseignements à des fins fiscales. Ces efforts, même s’ils ne sont pas reconnus comme déterminants par certains acteurs de la société civile mondiale, restent constants.

La convention avec le Luxembourg n’est pas comparable au traité mauricien

Qualifier la convention luxembourgeoise de dangereuse en la comparant au traité fiscal qui lie le Sénégal à l’île Maurice revient à méconnaître les deux contextes de négociation et de conclusion des deux conventions et ignorer les contenus substantiellement différents.

La République du Sénégal et celle de Maurice ont signé une convention fiscale le 17 avril 2002. La loi de ratification de ladite convention a été votée au Sénégal par l’Assemblée nationale le 22 janvier 2004 et publiée le 6 février 2004. Cette convention devait permettre d’instaurer des échanges économiques et commerciaux affranchis des effets pervers et restrictifs de la double imposition des revenus de résidents des deux Etats. Contrairement à la convention avec le Luxembourg, elle ne poursuivait pas l’objectif ferme de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale internationales.

La particularité, du reste dangereuse, de la convention entre le Sénégal et Maurice réside dans l’imposition exclusive de l’essentiel des grandes catégories de revenu au niveau du pays de résidence du bénéficiaire alors que la politique conventionnelle actuelle du Sénégal, confortée par la tendance mondiale en la matière (Ocde comme Onu), est le partage de l’imposition entre l’Etat de source du revenu et celui de résidence du bénéficiaire. La convention luxembourgeoise partage le droit d’imposer en accordant au Sénégal la possibilité d’effectuer des retenues à la source.

Pour Maurice, les dividendes, les intérêts et les redevances ne sont imposables que dans l’Etat de résidence des bénéficiaires. Toutes les sociétés mauriciennes détentrices de capital au Sénégal, prêteuses ou prestataires de services, échappent à une imposition au Sénégal alors que les taux applicables dans cette juridiction sont faibles voire nuls. Contrairement, la convention avec le Luxembourg prévoit un droit d’imposer accordé au Sénégal, territoire de source des revenus. (Articles 10,11 et 12 des conventions).

Les dispositions de l’article 27 qui prévoient une assistance au recouvrement des créances fiscales dans la convention luxembourgeoise sont absentes de la convention mauricienne. Si pour la première il est possible de poursuivre une créance fiscale jusque dans le territoire luxembourgeois, les possibilités d’extinction de la créance fiscale sénégalaise par le recouvrement des sommes dues s’arrêtent aux frontières mauriciennes.

Enfin, cette règle qui limite les avantages de la convention aux cas appropriés, contenue dans la convention luxembourgeoise, est inexistante dans le traité mauricien. La convention avec le Luxembourg ne fait pas obstacle à l’application des dispositions du droit interne destinées à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale internationales alors que cette possibilité n’est pas offerte par la convention mauricienne.

Finalement, à bien des égards, la convention luxembourgeoise est largement différente et plus avantageuse pour le Sénégal. Aussi bien dans la forme que dans le fond, les deux conventions ne sont pas comparables, encore moins identiques. Si la dernière peut être considérée comme équilibrée du point de vue du partage de l’imposition, la convention mauricienne est la plus déséquilibrée des conventions fiscales conclues par le Sénégal en faveur de l’autre partie.

Contrairement à la convention luxembourgeoise, la convention avec Maurice ne dispose pas de préambule qui vise, en dehors de l’objectif classique d’élimination de la double imposition, un objectif opérationnel de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale internationales. C’est pourquoi s’adonner à un exercice de comparaison devient plutôt dangereux.

En résumé :

Les règles de la fiscalité internationales ont évolué durant ces trois dernières années et le Luxembourg, comme le Sénégal, s’efforce de s’y conformer ;

La convention avec le Luxem­bourg constitue un instrument efficient et efficace de lutte contre l’évasion fiscale internationale, en témoignent certaines dispositions qui ont été citées ci-dessus ; Au regard des règles de droit commun de la fiscalité sénégalaise, le Luxembourg n’est pas un territoire à régime fiscal privilégié ;

Conclure une convention avec un territoire, même considéré comme opaque, en vue d’échanger des renseignements et de bénéficier d’une assistance au recouvrement, est un atout considérable ;

Au regard des règles de droit commun internes sénégalaises et luxembourgeoises et des règles de la fiscalité internationale, le Luxembourg s’éloigne de plus en plus des pays à fiscalité privilégiée et des territoires non coopératifs malgré sa réputation ;

La convention fiscale avec le Luxembourg est, à bien des égards, différente, voire plus avantageuse que celle avec l’île Maurice ;

Malgré un dispositif législatif interne pour lutter contre le transfert indirect de bénéfices au Sénégal et fermer les couloirs à l’évasion fiscale internationale, des efforts supplémentaires sont néces­saires ;

 

Magueye BOYE

Inspecteur des impôts et des domaines

magboye@yahoo.fr

1 Rapport 2018 coopération Sénégal Luxembourg

# Ce projet a été baptisé BEPS (pour Base erosion and profit shifting, c’est-à-dire “érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices”), en référence aux stratégies de planification fiscale des multinationales. Le projet BEPS publié en 2015 contient des mesures visant à améliorer la cohérence des règles fiscales internationales, de renforcer l’importance de la substance et d’assurer que le cadre fiscal soit transparent. Pour ce faire, des changements sont apportés afin de: modifier les conventions fiscales bilatérales, incluant la mise en place d’un standard minimum concernant le chalandage fiscal; apporter des révisions aux règles relatives aux prix de transfert liées au traitement fiscal des transactions intra-groupes, reconnaitre l’importance de la substance des transactions et non leur forme légale, introduire une mise à jour de l’évaluation des effets dommageables potentiels des régimes préférentiels mis en place par les gouvernements avec une attention particulière aux régimes spéciaux applicables et aux échanges spontanés de renseignements sur les décisions administratives et; proposer des modèles de législations nationales et de mesures pour contrer l’érosion de la base d’imposition et le transfert indirect de bénéfices.

# Les entreprises multinationales doivent détenir une documentation fournie destinée à justifier la conformité des transactions qu’elles font entre entités apparentées situées dans des territoires différents. En dehors de cette documentation prix de transfert, certaines entreprises d’une certaine taille, doivent faire une déclaration détaillée, portant sur des informations quantitatives et qualitatives, et se rapportant à chaque entité du groupe d’entreprises.

2 Accords de Bale. La Suisse adhère au Forum mondial sur l’échange de renseignements. Elle est également signataire de l’instrument multilatérale portant assistance administratives en matière fiscale.

3 http://www.impotsdirects.public.lu/content/dam/acd/fr/conventions/conv-neg/CONDI-Lux-Senegal_signe-Lux_le-10-2-2016.pdf

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