L’espace politique est marqué par des passes d’arme entre la majorité (le président de la République, Macky Sall et son premier ministre, Mouhammad Boun Abdallah Dionne) et certains leaders politiques de l’opposition (Idrissa Seck, Cheikh Bamba Dieye) augurent des élections présidentielles non seulement serrées, disputées mais dans un climat porteur de germes de perturbations et de déstabilisation. Plutôt que de s’engager dans une logique de guerre de tranchées ou de guerre médiatique prématurée dont la phase emblématique est la production de discours polémique, d’actes partisans ou de stratégies de dénigrement et d’accusation, les responsable politiques ont intérêt à rehausser le niveau du politique. Il s’agit d’aborder les questions essentielles dans un débat républicain permettant de respecter les principes et les règles démocratiques afin de rendre lisibles leurs projets ou bilans politiques.
En effet, La fabrication de l’opinion publique s’effectue dans un environnement où la confrontation des acteurs porteurs de légitimité reconnue se déroule dans un espace apaisé et garanti par des instruments politiques et institutionnels qui constituent le fondement de la démocratie. Or, on a l’impression, au regard de cette ambiance feutrée, que la politique est l’art de la diversion, de la production de la violence symbolique ou de l’instauration d’un climat de tension permanente et de méfiance réciproque. Les désaccords profonds dans les concertations sur le processus électoral sont une parfaite illustration de cette obstination à faire de la politique un lieu de combat entre gladiateurs du système, décidés à en découdre pour la préservation d’intérêts personnels, de clans ou la passion de prendre sa revanche. Alors, la lancinante question revient au galop, elle se traduit par les nombreuses attentes des citoyens qui espèrent une meilleure prise en compte et amélioration de leurs conditions de vie à travers des politiques publiques idoines. Cependant, les déclarations des uns et des autres dans le paysage médiatique semblent s’écarter de ce tropisme dans une optique de nourrir des ambitions contradictoires de conservation ou de conquête du pouvoir. Nous sommes dans un pays pauvre même s’il aspire à l’émergence ; les besoins sont énormes pour satisfaire les populations en termes d’accès à l’eau, à l’électricité, à l’éducation, à la santé, à l’emploi, aux voies de communication, à la production alimentaire et à l’habitat. Les priorités se situent là.
En tirant des leçons de trois voyages en Chine, il convient de noter que les prouesses économiques de ce pays dit émergent proviennent, entre autres, des efforts consentis dans cette première série de priorités précitées. Il ne sert à rien d’engloutir des milliards dans des projets qui ne correspondent pas à notre niveau de développement, nous devrions suivre des étapes et ne pas les brûler afin de relever le défi de l’émergence. Par pragmatisme, nos politiques publiques, en plus des programmes du PUDC, méritent d’être renforcées dans les zones rurales pour anticiper les solutions structurelles ou conjoncturelles relatives aux inondations en saison des pluies et aux incendies dans les villages. Dans cette démarche, nous avançons, peut être naïvement, cette proposition consistant à signer une convention avec les cimenteries pour transformer radicalement la physionomie des villages dans tout le pays au bout d’un quinquennat. Ainsi, on ne verrait plus des maisons en banco ou terre cuite s’effondrer aux premières pluies et les incendies de cases en paille qui détruisent des récoltes compromettant la survie d’une partie de ces populations. Cette initiative permettrait de changer considérablement la vie dans ces localités confrontées de façon récurrente à ces difficultés. Cela dit, l’élection présidentielle de 2019 comporte des enjeux importants car elle annonce, pour la majorité sortante, la fin d’un mandat et la possibilité de son renouvellement en même temps elle offre une opportunité à l’opposition de conquérir le pouvoir s’acheminant ainsi vers une troisième alternance politique.
Mais d’ores et déjà, comment se décline la stratégie des deux camps devant ces échéances cruciales dans la vie politique du pays ?
L’analyse du discours et de l’action politique de la majorité présidentielle, autrement dit de la coalition « Benno Bokk yakaar », fait apparaître les contours d’une campagne s’appuyant sur le bilan de la politique menée depuis l’avènement de la seconde alternance. Elle peut se résumer à l’aune des politiques publiques dans les domaines de la santé et des affaires sociales (Couverture Maladie Universelle, Bourses sociales), des infrastructures routières, urbaines, rurales, ferroviaires (autoroutes, ponts, ville nouvelle, Diamniadio, TER, train express régional, PUDC, etc.). Le socle de la politique économique et sociale est le Plan Sénégal Emergent (PSE) auquel s’adossent toutes les orientations devant conduire au développement inclusif du pays. Cette trouvaille s’avère la trame d’une pensée économique endogène en attendant l’exploitation des gisements de pétrole et de gaz permettant d’asseoir et de consolider des perspectives prometteuses. Sur le plan politique et juridique, des réformes sont envisagées parachevant les grandes lignes de cette alternance au sommet de l’Etat. Le bilan global de cette politique éclairera le sillage de la campagne gouvernementale pour les élections du 24 février 2019.
Toutefois, un bilan, aussi positif soit-il, ne représente pas une garantie pour gagner les élections présidentielles, puisque l’expérience malheureuse, vécue par l’ancien président Abdoulaye Wade, est édifiante dans ce sens. En tout état de cause, le recours, en 2012, au vote utile met en évidence le comportement électoral des Sénégalais suffisamment dotés de capacités politiques et citoyennes donnant raison au choix du vote sanction permettant de tourner cette page politique traversée par de nombreux paradoxes qui en relativisent les résultats. La période de fin de mandat se révèle souvent compliquée en raison des contraintes à gérer, d’autant plus que la marge de manœuvre se rétrécit face à un front social, déterminé à obtenir la satisfaction des revendications syndicales sur lesquelles la majorité avait pris des engagements qu’elle peine maintenant à respecter. De plus, les jugements de valeurs, portés par des proches du président et des politiques, à travers des propos chargés de condescendance à l’endroit des acteurs du système éducatif, ne sont pas de nature à apaiser l’atmosphère. Cette erreur d’appréciation accroît l’incompréhension dans la mesure où le renforcement du pouvoir d’achat et la densification de cette catégorie sociale confortent la marche vers l’émergence.
Du côté de l’opposition, nous assistons à une sorte de compétition par des déclarations de candidature sans réelle prise en compte de la pertinence des enjeux ni d’une évaluation de l’agenda politique encore moins d’une réflexion sur la stratégie permettant de mutualiser les forces au service d’une finalité ou finitude politique. Comment pourra-t-elle transcender ses divergences et inscrire son action dans le sens d’une mouvance victorieuse ? Va-t-on, au contraire, continuer à entretenir l’illusion d’un passage au second tour comme si tout est déjà programmé ?
En politique rien n’est donné d’avance, tout est combat sur le terrain sans tomber dans le travers de Machiavel, avec cette idée force fondée sur l’imagination devant guider l’action dans un contexte particulier où tout faux pas se paiera cher. Alors dans ce cas précis, l’alternative n’est pas la fragmentation même si elle est contrôlée, mais plutôt la recherche programmatique consensuelle avec l’œil sur l’horloge puisque le temps est précieux en cette période de précampagne. Cependant, une question s’impose sans arrière-pensée. Parmi les leaders de l’opposition y-a-t-il un présidentiable doté d’atouts susceptibles de lui faire gagner l’élection présidentielle face au candidat de la majorité ?
A priori, cette question n’est pas facile à trancher au regard de la configuration du paysage politique, plus précisément de l’opposition. La plupart des leaders sont les produits du système en dehors de quelques rares exceptions comme Ousmane Sonko de Pastef (Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) ou El Hadji Issa Sall de PUR (Parti de l’unité et du rassemblement) pour ne citer que ceux-là. Dans ce contexte de gouvernance contrastée et de désaffection du politique, le positionnement d’un « ancien leader », quelles que soient son expérience politique et sa maîtrise de la communication, n’apparaîtra pas forcément aux yeux de l’opinion comme une candidature de rupture par rapport aux pratiques décriées dans la gestion du pouvoir sous les différents régimes qui se sont succédé.
Au demeurant, la candidature d’une personnalité nouvelle, appartenant à la société civile au vrai sens du terme et soutenue par cette oppositions coalisée, augmenterait les chances de changer la donne politique si elle est basée sur un projet de société alternatif, portée par une équipe imprégnée de nouvelles valeurs et d’éthique dans la façon de faire autrement de la politique loin des contingences politiciennes. Dans cette optique, une démocratie participative et une grande attention accordée à l’opinion publique seront les pistes à privilégier dans ce retour du politique tant souhaité pour aborder les questions de fond pour le développement harmonieux du pays. En effet, la réussite de l’élection présidentielle de 2019 dépendra de la volonté politique de lever toute équivoque sur les modalités de son organisation pratique et surtout éviter les graves dysfonctionnements observés lors des législatives de juillet 2017.
Moussa DIAW
Enseignant-chercheur en science politique,
UGB Saint-Louis