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Accidents De La Route : Négligence Coupable Et Responsabilité Collective

Accidents De La Route : Négligence Coupable Et Responsabilité Collective

Gora Faye, dont j’ai emprunté le Taxi se plaignait de la montée croissante de l’insécurité et de la criminalité subséquente au Sénégal et plus particulièrement à Dakar. Il trouvait anormal que l’État ne réagisse pas devant les nombreuses agressions et les risques graves auquelles de plus en plus les populations sont confrontées, notamment, eux les chauffeurs de taxi.

C’est incontestable qu’il existe des problèmes d’insécurité lui répondis-je. J’y ajoutais cependant que, de nos jours, à mon humble avis, l’automobile, l’incivisme des conducteurs et le laisser-aller des Autorités entraînent beaucoup plus de morts que les agressions. Je continuais mon commentaire en lui faisant savoir que l’impunité liée aux accidents de la circulation a atteint un niveau tel que la meilleure façon d’éliminer sans risque son prochain au Sénégal, c’est de prendre sa voiture et de cogner délibérément ce dernier et de simuler un accident malheureux. Que fut grand son étonnement! Mais il finit par acquiescer en reconnaissant que le cas échéant tout ce que risque ce conducteur assassin, tant et aussi longtemps que le caractère non accidentel n’aura pas été prouvé, ce serait une garde-à-vue, au pire, un retour de parquet et probablement une condamnation symbolique pour un malheureux homicide involontaire alors qu’il a commis un crime.

Gora finit par reconnaître cette triste réalité et d’ajouter que si, par hasard, c’était quelqu’un qui compte, dans ce pays, selon ses mots ou son enfant, peut-être qu’il ne passerait pas une nuit au poste de police.

Cette réalité est éloquente de la banalisation de la mort de centaines de personnes par suite d’accidents automobiles dans des circonstances dramatiques avec toutes les conséquences sociales qui en découlent.

Pourtant, le phénomène n’est pas nouveau au pays. Le nombre de morts augmente chaque année. Je me souviendrai toujours du terrible accident dit de la Toussaint en 1981 avec ses 25 morts sur le champ et tout l’émoi suscité à l’époque.

J’ai malheureusement la regrettable impression que, malgré l’amélioration du réseau routier, les causes demeurent à chaque fois les mêmes : vitesse excessive, somnolence et incivisme des conducteurs, non-respect du Code de la Route, vétusté du parc automobile ..,..

Est-il acceptable, bientôt 40 ans après, que nous nous accommodions de cette fatalité ? Sommes-nous coupables de notre négligence ou fermons-nous, délibérément, les yeux devant la mise en danger manifeste de la vie d’autrui ?

L’homme de la rue jettera toujours l’opprobre sur les conducteurs et leurs comportements. Il est conforté dans ses convictions par certains experts qui viennent corroborer une telle religion. Dans un débat récent sur une chaîne de télévision, un expert a reconnu avec force statistique que le comportement des conducteurs et leur incivisme représentent 90% des causes d’accident.

L’accident ne doit pas seulement être analysé à partir des seules circonstances directes de sa survenance. Il est indéniable qu’il est la résultante d’un ensemble de facteurs impliquant une responsabilité collective.

Quid du propriétaire qui laisse, en connaissance de cause, son véhicule en très mauvais état entre les mains d’un inconscient ? Quid du policier ou gendarme qui ne se soucie pas de l’État de ce véhicule uniquement parce qu’il a la visite technique ? Quid du gérant d’une autoroute à péage qui laisse libre cours à la circulation nocturne de camions sans lumière, ni signalisation ? Quid de l’absence de secours après un accident ? Quid de ce trou béant et profond sans signalisation sur une route sans éclairage ? On peut en énumérer d’autres circonstances chacune plus éloquente que les autres de cette absence de l’Autorité centrale ou locale et de ce laisser-faire, laisser-aller de plus en plus meurtriers.

De Dakar à Saint-Louis, 263 km, il arrive souvent qu’il n’y ait aucun contrôle routier visible de 19 heures à 7h30 du matin. Est-ce pour cette raison qu’il aurait été suggéré d’interdire la circulation nocturne des véhicules de transport public de voyageurs ? Ce n’est, peut-être pas, pour ceux qui l’ont préconisée, une mauvaise disposition. Mais encore faudrait-il expliquer quels en sont les fondements ? Sur quoi s’est-on basé ?

Aujourd’hui, on en est amené à se demander si les règles de priorité ont été modifiées ou si le stop ne sert plus à rien. Sur des axes importants et très dangereux, les panneaux de signalisation sont laissés à l’imagination de chaque conducteur quand ils sont encore debout.

Dans ce laxisme, les assureurs et les autorités au contrôle desquelles ils sont assujettis, assument une grande responsabilité. Les véhicules impliqués dans des accidents mortels sont, pour la plupart, bien assurés et, l’attestation d’assurance permettant de les immatriculer, ils sont de ce fait, déclarés aptes à l’activité à laquelle ils sont destinés sans autre procès.

Pourtant, on oublie que, généralement, dans les pays d’où ils sont importés, ils ont été déclarés comme des épaves et contraints de sortir de la circulation. Chez nous, ils sont reconvertis, transformés artisanalement et déclarés officiellement aptes à transporter plus de cinquante de nos pauvres concitoyens.

Non seulement, ils sont déclarés aptes mais les assureurs acteurs incontournables de la chaine de gestion des risques et de la sécurité acceptent de leur octroyer au moyen d’une concurrence sauvage, indigne de la fonction sociale, économique et financière de cette industrie, une couverture pour les dommages causés aux tiers.

Les assureurs, nonobstant la forte sinistralité et ses conséquences économiques, ne se préoccupent pas véritablement au-delà d’une sensibilisation sur la prévention routière de prendre des mesures salvatrices très simples qui j’en suis convaincu, auraient un effet majeur sur la gestion de la sinistralité routière.

Fonctionnaire chargé de la mise en place de la Carte Brune CEDEAO, j’avais imaginé qu’en toute logique, le système d’assurance unique devait avoir pour corollaire, à terme, un permis de conduire CEDEAO ou UMOA délivré par une entité sous contrôle supranational, par exemple. En effet, il n’est pas rare qu’un conducteur dont le permis Sénégalais est retiré se fasse confectionner, Ici à Dakar, un autre permis Sénégalais ou de la République de Guinée ou du Mali sans aucune possibilité de vérifier l’authenticité du sésame.

Les outils informatiques dont nous disposons actuellement devraient permettre de sécuriser tous ces documents et d’identifier réellement la véritable personne détentrice du permis présenté au policier fût-il Guinéen, Malien ou Sénégalais. Les cartes grises des véhicules comme les plaques minéralogiques pourraient être dotées de codes QR par exemple, avec l’ensemble des informations relatives au véhicule à son propriétaire, à son conducteur autorisé et à son historique en termes de sinistres. Les préoccupations de sécurité autres que les accidents de voitures devraient, au demeurant, nous y contraindre aujourd’hui.

Combien de fois avons-nous pu lire qu’à la suite d’un accident mortel, le conducteur s’est enfui ?

De notoriété publique, tout le monde sait que les chauffeurs attitrés recrutent selon leur libre arbitre toute personne à qui ils pourraient confier la conduite d’un véhicule, le temps pour eux de se consacrer à d’autres activités.

Les assureurs ont les moyens d’exiger comme cela s’est fait dans tous les pays qui ont voulu mettre un terme à cette catastrophe, l’identification précise de la ou des personnes autorisées à conduire le véhicule pour lequel une assurance est souscrite. Ceci aurait le triple avantage de permettre, un de savoir si celle-ci est apte à conduire le véhicule ; deux, de l’identifier clairement en donnant à l’assureur la possibilité de moduler ses primes en fonction de l’expérience de conduite, de l’historique de sinistralité dudit conducteur. Enfin, ceci donnerait la possibilité au conducteur salarié de bénéficier d’une couverture au titre de la sécurité sociale.

Dans un passé récent des mesures importantes étaient applicables. Elles semblent être tombées dans les oubliettes.

Les plaques « réflectorisantes » ou « réfléchissantes » avaient été conçues pour permettre la nuit de voir un véhicule fût-il tous feux éteints. Qui s’en souvient au-delà de deux ou trois concessionnaires automobiles ?

Au sein du « Comité des assureurs » existait une commission chargée de veiller à la sinistralité personnelle de certains conducteurs déclarés, le cas échéant, non assurables.

Ces bonnes pratiques étaient salutaires mais sont tombées en désuétude.

Cette situation est inadmissible. Un simple comparatif pourrait nous édifier sur la gravité de notre négligence collective. Bon nombre de pays ont un parc automobile dix fois plus important que le nôtre et ont une sinistralité largement inférieure à ce que nous connaissons au Sénégal. La réflexion sur les conséquences de plus en plus dramatiques des accidents de la circulation devrait être prise au sérieux. Elle ne devrait pas se limiter à la seule recherche de moyens de coercition sur les conducteurs. C’est encore une fois, une responsabilité collective de plusieurs parties prenantes.

 

Youssoupha DIOP

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