Dès qu’on parle de fléaux à l’égard d’un pays, on pense toujours à l’Egypte pharaonique.
Cependant, il y a là une grande différence en ce sens que, pour ce qui concerne l’Egypte pharaonique, il s’agissait de malédictions de Dieu, une punition divine, alors que pour ce qui concerne le Sénégal et d’autres pays menacés par des calamités, il s’agit de phénomènes anthropiques, c’est-à-dire des conséquences néfastes de l’action de l’homme.
C’est ainsi qu’on parle de changements climatiques avec ses conséquences de désertification, de phénomènes météorologiques dévastateurs, de la montée du niveau de la mer, de l’érosion côtière, etc. Après de longues alertes des scientifiques, les dirigeants politiques, c’est-à-dire les chefs d’Etat et de gouvernement, ont fini de s’en approprier, d’où les différentes conférences internationales sur les changements climatiques, leurs conséquences et les mesures à prendre au niveau national et mondial.
A ce phénomène de changement climatique est intimement lié le concept de développement durable. Ce concept est utilisé quasiment tous les jours par des dirigeants politiques, des scientifiques et des agents de développement, tellement il recouvre les fondements de la survie des hommes sur cette terre. Son importance est telle que les Nations-Unies ont institué en leur sein une commission qui se réunit chaque année pour discuter sur l’un des aspects fondamentaux du concept.
Le développement durable est défini par les scientifiques et les politiques comme étant un développement permettant aux générations actuelles de satisfaire leurs besoins sans compromettre la satisfaction des besoins des générations futures. Beaucoup de pays disposent actuellement, dans leur architecture gouvernementale, d’un département ministériel ou une Direction nationale chargée du développement durable ou de l’environnement.
Le développement durable englobe les dimensions : économique, sociale et environnementale. Il est transversal et embrasse donc l’ensemble des secteurs d’activité dans leurs relations avec les ressources naturelles limitées, épuisables et non renouvelables ou dégradables de façon irréversible. Il s’agit de ressources naturelles comme l’eau, la terre, les énergies fossiles, la végétation et la faune ou l’air que nous respirons. C’est la préservation de ces ressources naturelles, par une exploitation rationnelle, qui assure les équilibres écologiques, climatiques, économiques et sociales. Elle assure un développement harmonieux et continu de génération en génération sans préjudice pour aucune.
Au Sénégal, déjà pendant la période coloniale, le service des eaux et forêts assurait une surveillance rigoureuse de l’exploitation des eaux continentales, de la faune et de la végétation. Malgré l’abondance de ces ressources en ces temps-là, la réglementation était strictement observée, car les sanctions étaient sévères notamment pour les infractions à l’encontre des espèces protégées. Ayant accédé à l’indépendance, le Sénégal a adopté une politique environnementale de développement durable avant la lettre.
En effet, la création de parcs nationaux : Niokolo-koba , Djoudj, delta du Saloum et autres, l’érection des forêts classées, des zones marines protégées et les zones humides, rentre dans ce cadre-là. Cependant, avoir des structures de gestion adéquates est une chose, mais assurer une bonne gestion en est une autre.
Malgré l’existence de structures nationales de gestion et de développement, le Sénégal n’a pas su exploiter de façon rationnelle ses ressources naturelles, notamment les ressources ligneuses. Ces dernières se sont dégradées progressivement des années soixante à soixante-dix pour faire place au phénomène de la désertification qui s’est installé dans le Nord et le Centre du pays. La pluviométrie a fortement baissé et la nappe phréatique avec.
Les terres se sont dégradées par l’érosion éolienne et les parcours du bétail en quête de pâturages toujours fuyant vers le Sud.
En 1971, je me rendais au Fouta, par la Route nationale n° 2 via Saint-Louis. Après Saint-Louis, c’est la sécheresse qui vous accueille à bras ouverts et une fois dans le département de Podor, qu’on peut considérer comme la porte d’entrée du désert au Sénégal, vous voyez les dunes de sables qui, de la Mauritanie, traversent le fleuve Sénégal, grain par grain , au gré des vents pour venir s’accumuler le long de la Route nationale au point de recouvrir la chaussée de quelques dizaines de centimètres par endroits. Il n’y avait pas d’arbres et de l’herbe, n’en parlons pas. Il n’y avait que la chaleur, le vent et du sable. Voyant tout ça et sachant ce qui pourrait advenir, j’étais abattu, triste et inquiet.
En 1977, le Premier ministre Abdou Diouf avait fait une tournée économique dans la région du fleuve (actuellement région de Saint-Louis et région de Matam). Je faisais partie de la délégation en qualité de représentant du ministère du Plan et de la coopération. Après Saint-Louis, Dagana, Podor, nous arrivions à Matam, une des grandes capitales du Fouta, chef-lieu de département et grand port fluvial. On était dans la mi-journée, le soleil n’avait encore décliné sa course et on nous avait invités à visiter les bords du fleuve Sénégal, au niveau des quais, pour constater par nous-mêmes les dégâts causés par la sécheresse. Ce fleuve, jadis débordait les deux rives sur plusieurs centaines de mètres. La ville de Matam n’était épargnée que grâce à une digue de protection. A la grande stupéfaction de la délégation, le fleuve Sénégal était à cette période là et à cet endroit-là, complètement à sec.
On voyait des personnes à pied, des charrettes, des animaux et même des poulets, qui traversaient le fleuve, pour ne pas dire son lit, à pieds sur la terre ferme. Ayant aperçu un attroupement de personnes dans le lit mineur du fleuve, j’avais décidé d’aller voir plus près ce qui s’y passait. Il s’agissait de personnes qui cherchaient de l’eau à partir d’un puits de plus de dix mètres de profondeur. C’était incroyable mais vrai.
Ainsi donc la sécheresse s’était installée pour un cycle qui s’annonçait long avec un front fuyant en direction du sud-est du pays-. Le manque criard d’eau a conduit à l’assèchement des cours d’eau, de rivières, ruisseaux et lacs, à la baisse drastique des nappes phréatiques. Ceci a eu pour conséquence la disparition de toutes sortes de pâturages dans le Nord du pays, entraînant la mort de millions d’animaux : bovins, ovins, caprins équins, etc., morts de faim et de soif.
Les populations n’en souffraient pas moins, car elles ne vivaient que de l’agriculture et de l’élevage quasiment délaissés dans ces zones à cause des conditions climatiques insoutenables. Toutes les personnes valides ont migré vers les villes et vers l’étranger. On pouvait compter plusieurs décès dans un village pour une seule journée. La famine faisait des ravages.
C’est dans ce contexte que Monsieur Abdou Diouf, devenu président de la République, a initié le programme des forages ruraux pour soulager les populations et les animaux. Ce programme a continué sous le Président Abdoulaye Wade et se poursuit aujourd’hui avec le Président Macky Sall, avec une volonté affirmée d’intensification. C’est également dans ce contexte de grande sécheresse qui couvrait tout le Sahel, que le Président Abdou Diouf et ses homologues du Mali et de la Mauritanie ont pris la décision de réaliser le projet des barrages de Manantali et de Diama sur le fleuve Sénégal.
Il est bien admis aujourd’hui que les changements climatiques observés à travers le monde sont les conséquences néfastes de l’action de l’homme. On admettra aussi que le phénomène de la désertification dans les pays du Sahel, notamment au Sénégal, est la conséquence néfaste de l’action de l’homme. Leurs conditions de vie et de travail, en tant que pays sous-développés et la mauvaise gestion de la ressource ligneuse, ont accéléré le phénomène. L’agriculture extensive, itinérante et sur brulis, avec des instruments rudimentaires et une monoculture à grande échelle telle que l’arachide au Sénégal, a contribué fortement à la dégradation rapide des sols : appauvrissement et érosion.
Un élevage également extensif et de transhumance, toujours à la recherche de pâturages et de l’eau sur des dizaines voir des centaines de km, a joué un rôle encore plus destructeur que l’agriculture. En effet, n’ayant trouvé de l’herbe nulle part, les bergers, pour la survie de leurs bétails et donc pour leur propre survie, se voyaient obligés d’élaguer des arbres pour que leurs animaux puissent accéder aux feuillages. Dans la plupart des cas, ces arbres finissent par disparaître. Le comble de malheur est atteint avec ce qu’on appelle le pâturage aérien, pratiqué par des troupeaux de dromadaires venus de la Mauritanie avec d’autres animaux, selon des conventions signées avec le Sénégal. Ces dromadaires, en quantité innombrable, étaient visibles sur toutes les étendues des zones nord et centre du Sénégal.
Ces dromadaires, aussi voraces que des éléphants, ne laissent rien sur leur passage, aucun arbre n’est épargné et leur compétition avec les autres animaux sur l’eau, autour des puits et des forages, est impitoyable. Les plaintes et les complaintes des éleveurs sénégalais restent vaines jusqu’à ce jour. On doit tout de même souligner que dans un contexte où les pâturages sont quasi-inexistants pour le cheptel national et où l’eau est devenue la denrée la plus rare, et pour les animaux et pour les populations, signer des conventions avec un pays tiers pour la transhumance de ses animaux, surtout des dromadaires, est incompréhensible. C’est ajouter le mal au mal.
L’environnement a été fortement agressé par le mode de vie des populations, aussi bien rurales qu’urbaines. En effet, dans le monde rural, l’habitat social demande l’utilisation de bois et du chaume pour la construction et la toiture des maisons, les cases notamment.
Les clôtures des maisons et des champs sont également faites de piquets de bois en quantité impressionnante. Le bois de chauffe étant l’unique source d’énergie dans le monde rural, son utilisation pour la cuisson des aliments, les foyers des écoles coraniques et les cérémonies traditionnelles nocturnes, a entraîné des coupes abusives et quotidiennes d’arbres. Après le bois du village, ce sont les forêts galeries le long des fleuves et des cours d’eau qui ont été décimées au cours du temps, rendant ainsi les sols plus vulnérables, le climat plus aride et les pluies moins abondantes.
Quant à la vie dans les cités urbaines, il y avait tant bien que mal de l’électricité et de l’eau courante, mais pour la cuisson des aliments, la principale source d’énergie était le charbon de bois. D’où venait ce charbon ? D’après les responsables des services de l’environnement du Sénégal, les permis de coupes de bois mort, délivrés aux charbonniers dans les années soixante, concernaient les zones de Bargny, Sébikotane, Pout et autres localités du département de Thiès. Cinquante ans après, ces permis de coupes concernent maintenant les départements de Tamba, de Kédougou et la région naturelle de la Casamance. Ces permis de coupes pour la préparation du charbon de bois concernaient les arbres morts, à terre ou encore sur pieds, mais ces instructions n’ont jamais été respectées. De même, les feux de brousse accidentels ou provoqués ont fortement participé à la destruction du couvert végétal. Quant aux responsables des feux provoqués, il faudra les chercher parmi les agriculteurs, les chasseurs, les charbonniers ou les randonneurs.
Ainsi donc, il serait opportun d’apporter des ajustements nécessaires aux politiques économiques agricoles, de l’élevage et de l’environnement, dont les insuffisances ont conduit progressivement à des terres complètement dénudées, friables et à la merci des vents du nord. Le Nord du pays vit déjà de façon quotidienne les tempêtes de sable comme dans le désert. Ces tempêtes de sable sont aussi perceptibles jusqu’à Dakar, où la visibilité est quelquefois très réduite malgré l’action des alizés. Cette dégradation prononcée des terres et de l’environnement, due en grande partie par l’action de l’homme, constitue le premier fléau du Sénégal. Le retour progressif mais timide des pluies, a probablement diminué la vitesse ou l’intensité de cette dégradation, mais le phénomène est toujours là.
L’aménagement des terres de culture et la maîtrise de l’eau, la multiplication des domaines agricoles, l’équipement du monde rural, notamment la mécanisation agricole, les infrastructures de stockage, le matériel de transport, l’organisation de la commercialisation des différentes filières avec des prix rémunérateurs pour les agriculteurs, sont parmi les conditions primordiales pour une agriculture intensive et performante, qui puisse assurer l’autosuffisance et la sécurité alimentaire.
L’amélioration de races locales, bovines, ovines et caprines, par des croisements (métissages), l’importation de géniteurs de qualité, l’utilisation des techniques de l’insémination artificielle sont parmi les principales conditions d’obtention d’un matériel génétique à haut rendement. L’organisation des éleveurs, leur encadrement, la stabulation des troupeaux dans des ranchs avec des forages équipés et des abreuvoirs, la promotion de cultures fourragères, la multiplication d’usines de fabrication d’aliments concentrés pour le bétail, constituent les conditions sine qua non pour un élevage intensif, performant, sécurisé et à même d’assurer l’autosuffisance nationale en lait et en viande. Des efforts sont certes en train d’être faits dans ce sens, mais il faut créer les conditions qui favorisent la disparition de la transhumance, qui est incompatible avec les hauts rendements et l’émergence du secteur.
Ainsi, avec une volonté politique affirmée, on supprime à la fois la transhumance, les vols de bétail, les conflits entre agriculteurs et éleveurs et la dégradation de l’environnement par le piétinement des animaux et le pâturage aérien. Enfin, l’organisation de circuits de commercialisation adéquats, c’est-à-dire un système de collecte, de stockage, de transport, de transformation et de distribution à travers l’étendue du territoire national, de produits de l’élevage à des prix rémunérateurs et compétitifs, feront de l’élevage une activité économique rentable et considérée non pas comme une pratique ou un mode de vie spécifique à une ethnie mais plutôt comme une entreprise accessible à tous.
Une politique énergétique basée sur la subvention du gaz domestique et sa généralisation dans l’ensemble du pays comme principale source d’énergie pour les ménages, le développement et la promotion de l’énergie solaire et son utilisation domestique et communautaire, la promotion d’un habitat social utilisant moins de bois de coupes et de chaume, l’élaboration et la mise en œuvre de programme de reboisement massif, permettent de diminuer la pression sur les ressources ligneuses, diminuer les feux de brousse et préserver ainsi la faune et la flore et des habitations villageoises des incendies périodiques.
Sur ces trois principaux facteurs de destruction de notre environnement, beaucoup d’actions ont été menées, mais elles sont largement insuffisantes pour relever ces grands défis qui demandent à la fois beaucoup de sensibilisations, de moyens et une réelle volonté politique.
Le deuxième fléau, non moins terrible que la désertification, qui a envahi le Sénégal depuis plusieurs années, est bien celui que constituent les coupes abusives de bois des forêts casamançaises. En 1981, je me rendais pour la première fois en Casamance, précisément à Vélingara, dans le cadre d’un voyage d’étude organisé par la Banque mondiale sur le projet d’aménagement du bassin de l’Anambé. Une fois que notre véhicule est entré dans les territoires de la Casamance naturelle, je n’ai cessé de demander aux autres participants si on était vraiment en Casamance, mais la réponse est toujours oui. J’étais surpris et scandalisé de voir des éclaircies sur des dizaines et centaines d’hectares, parsemés de souches d’arbres coupés, des feux qui fumaient partout.
Ce que j’avais vu ce jour-là m’avait fait beaucoup de peine car, j’avais appris et je connais l’écologie de l’Afrique de l’Ouest, du Sénégal et de la Casamance en particulier. C’était un désastre écologique. On se croirait dans un champ de bataille, dévasté par des bombes et des chars, à la seule différence qu’ici les morts sont des arbres qui jonchent le sol et d’autres fumant debout ou calcinés. Là aussi comme dans le cas du Nord du Sénégal, je n’avais pu cacher ma tristesse et mon amertume. Je ne pouvais pas y croire mais c’était la triste réalité et ce serait le début de la fin de cette belle forêt verdoyante et pleine de potentialités pour le développement économique, social et culturel du Sénégal, si l’Etat du Sénégal ne prenait pas des mesures rigoureuses. Malheureusement des mesures rigoureuses ne sont toujours pas prises, ou celles qui sont prises n’ont pas étés suffisantes pour arrêter les massacres. On peut donc imaginer combien de millions d’arbres sont passés par les tronçonneuses de 1981 à nos jours.
Les coupes abusives, dévastatrices et criminelles des bois de la forêt casamançaise sont principalement pratiquées par les organisations dites d’exploitants forestiers et des trafiquants. Ces exploitants ont certainement des autorisations ou des permis de coupes, délivrés par les autorités de tutelle, mais les contrôles et suivis des quotas, des espèces autorisées, de la planification des coupes et des activités de reboisement, ont largement fait défaut pour plusieurs raisons, dont la principale est le manque criard de personnels et de moyens matériels des services en charge de ces missions.
Le bois de Casamance est très prisé à cause de sa qualité de premier choix et d’usages multiples, ce qui explique sa forte demande, auprès des menuisiers ébénistes, pour les constructions de maisons et de meubles, pour la fabrication d’objets utilitaires par les laobés ou la fabrication d’objets d’art ou instruments de musique tels que les tambours , les tabalas, les djimbés, etc. Cette forte demande et les faiblesses du système de surveillance avaient déjà créé beaucoup de dégâts lorsque, comble de malheur, des usines (scieries) installées en Gambie et ailleurs sont rentrées dans la danse. Des trafiquants sans scrupule, à l’aide d’une corruption tous azimuts, acheminent par camions et charrettes sans interruption vers la Gambie et ailleurs, au vu et au su de tout le monde. Ces usines constituent ainsi des armes de destruction massive de la forêt casamançaise.
Le président de la République, Monsieur Macky Sall, a lui-même constaté de visu cette destruction massive et a ordonné à l’Armée et à la gendarmerie de se joindre aux services du ministère de l’Environnement pour arrêter ce fléau. Récemment, le président de la République a pris des mesures interdisant les coupes de bois en Casamance pour une période de cinq ans. Ces mesures sont salutaires, pourvu seulement qu’elles soient respectées par tous les acteurs et que les contrevenants soient sévèrement punis.
La destruction de la forêt casamançaise constituerait la fin du processus de désertification du Sénégal. En ce moment-là, les choses seront irréversibles car cette forêt constitue le dernier rempart contre la désertification du Sénégal et des pays voisins comme la Guinée-Bissau et la Guinée Conakry. C’est pourquoi ces pays ont aussi intérêt à ce que la forêt casamançaise soit préservée, notamment la Guinée Conakry qui constitue le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest. Si par malheur ce phénomène atteignait la Guinée Conakry, ce serait la catastrophe pour toute l’Afrique de l’Ouest. Les fleuves Sénégal, Niger et autres seraient progressivement asséchés et en ce moment, on ne parlerait plus de navigations fluviales, de centrales hydroélectriques d’agriculture irriguée, avec toutes les conséquences que de telles situations pourraient entraîner.
Les changements climatiques sont une réalité tangible que les populations du globe sont en train de vivre quotidiennement, de différentes manières. Il s’agit en plus du phénomène de désertification, mentionné déjà, d’autres phénomènes comme les ouragans, les cyclones, les tornades, devenus de plus en plus dévastateurs ; les fontes des glaciers avec le relèvement du niveau de la mer, menaçant de noyade des villes et des îles entières et l’érosion côtière qui dévore des pans entiers de territoires des pays côtiers, etc.
Au Sénégal, l’érosion côtière a déjà fait beaucoup de dégâts à plusieurs endroits du pays, notamment à Yoff et à la Corniche ouest pour Dakar, à Rufisque, à Bargny, à Toubab Dialaw, sur la Petite-Côte, à Saint-Louis et dans le gandiolais, pour ne citer que ces sites.
L’érosion côtière est un véritable fléau pour beaucoup de pays dont le Sénégal, avec ses sept cents kilomètres environ de façade maritime. Pays plat et sablonneux, le Sénégal est très vulnérable à l’érosion côtière, notamment sur la Petite-Côte et sa partie nord, dépourvues de mangroves.
Le cas de Saint-Louis est très inquiétant à plus d’un titre. En effet, auparavant, la ville était à la fois menacée d’érosion côtière par la mer et d’inondation par les crues du fleuve durant la saison des pluies. En 2003, la ville était sérieusement menacée d’inondation. Le fleuve était plein à bord et pouvait d’un moment à l’autre se déverser dans le cœur de la ville : l’Île. Le 3 octobre 2003, les autorités ont alors pris la décision d’ouvrir une brèche de quatre mètres sur la Langue de Barbarie qui séparait la mer et le fleuve jusqu’à son embouchure, depuis des millions d’années. Cette opération avait pour but de faire baisser le niveau du fleuve en déversant le trop plein dans la mer et sauver la ville de l’inondation. En le faisant, on ne se rendait pas compte qu’on créait ainsi une deuxième embouchure avec des conséquences incalculables.
Cette brèche, qui était de quatre mètres la veille, passa à près de dix mètres le lendemain, puis continue de s’élargir jusqu’à atteindre des kilomètres les jours et mois suivants.
Aujourd’hui sa largeur est estimée à plus de six kilomètres, une véritable catastrophe écologique qui risque de beaucoup changer la carte du Sénégal, si ce phénomène devait se poursuivre.
Cette brèche, qui est venue rompre un équilibre millénaire, a créé des changements dans les courants marins au large de Saint-Louis et des mouvements d’énormes masses d’eau entre le fleuve et la mer, au gré des marées et des houles. L’érosion côtière s’est donc amplifiée et poursuit ses dégâts, du quartier de Guet Ndar jusqu’à Gokhou Mbath où des maisons, des écoles et des mosquées, tombent les unes après les autres sous les coups des vagues. La partie continentale de la ville n’est pas épargnée non plus mais au contraire. Cette façade côtière fluviale, qui risque de devenir maritime, a subi une érosion sans précédent avec la disparition d’un village entier, Doundé Baba Dieye.
On dit, et on l’a constaté, que la nature reprend toujours ses droits. Cela veut dire que cette érosion côtière amplifiée risque de se poursuivre jusqu’à ce qu’un nouvel équilibre soit atteint entre le fleuve et la mer. Dans cette perspective, l’avenir de la ville de Saint-Louis est incertain et il pourrait s’inscrire dans un scénario d’une disparition programmée. Actuellement, la seule question qui mérite d’être posée est la suivante : est-il possible de colmater cette brèche maintenant, sachant qu’elle s’élargit de jour en jour ?
Cette solution, qui nous ramènerait à la situation avant brèche, serait la seule viable pour arrêter ce fléau et sauver la ville de Saint-Louis. En effet le dicton dit qu’on ne peut pas arrêter la mer avec ses bras. Le programme de sauvetage en cours de réalisation sera-t-il à mesure de relever le défi ? Les grands travaux qu’exige la fermeture de cette brèche demandent beaucoup de moyens et d’ingéniosité mais l’histoire a montré que des pays comme les Etats-Unis, la Chine ou les Pays-Bas, en particulier, ont relevé de pareils défis, sinon de plus grands.
En conclusion, nous disons que les trois fléaux du Sénégal que sont la désertification du Nord et du Centre, la destruction massive de la forêt casamançaise, par des coupes abusives, sauvages et criminelles et une érosion côtière galopante de la Langue de Barbarie, de la ville de Saint-Louis et ses environs, sont aujourd’hui une réalité tangible. Le Sénégal est ainsi menacé du nord au sud et à l’est par la désertification et à l’ouest, sur sa façade maritime, par l’érosion côtière. Des années soixante à celles de deux mille dix, soit cinquante ans, on a assisté à une détérioration continue de l’environnement due principalement aux facteurs combinés du mode de vie des populations et de l’absence d’une réelle politique économique pour l’environnement des différents gouvernements, d’une volonté politique réelle d’aller en guerre contre ces fléaux qui méritent d’être pris vraiment au sérieux. La dernière question que nous sommes en droit de nous poser est de savoir : quel Sénégal allons-nous laisser aux générations futures ?
Amadou Dickel NIANE
Economiste
adnkomy@gmail.com