Les sénégalais sont-ils indisciplinés ? L’on est tenté de poser cette question lorsque l’on observe le comportement de beaucoup de nos compatriotes face à la chose publique. Il est vrai que dans les rapports privés et personnels, les sénégalais sont en général polis et très respectueux les uns vis-à-vis des autres. Mais dès qu’ils se trouvent face à la chose collective, la situation devient toute autre. Ainsi, beaucoup parmi eux perdent-ils subitement cette discipline comme par magie. On peut aisément démontrer le propos.
On assiste souvent à des situations où des populations jettent des ordures, urinent dans la rue ou y érigent des tentes pour des cérémonies privées. De la même façon, certains citoyens, pendant la construction de leur maison, déposent des tas de sable, de bétons ou de gravas sur la voie publique. D’autres se mettent parfois carrément à détruire ou à voler des biens publics tels que le fer des rails ou celui servant à la couverture des fosses septiques ou encore le cuivre dans les fils électriques. À l’évidence, ces actes dénotent une indiscipline notoire. Mais l’indiscipline se vérifie encore dans l’occupation anarchique et illégale de l’espace public avec les tables installées partout sur les trottoirs pour servir de commerce et les épaves de voitures jetées presque dans chaque coin de rue. On note également de l’indiscipline dans l’administration relativement au mauvais accueil des administrés, aux retards, aux pertes de temps et au non respects des files d’attente. La circulation routière reste également une terre d’élection de l’indiscipline puisque les chauffeurs conduisent comme ils veulent, chacun se faisant son propre code de la route. Avec la gabegie et les détournements de tout genre, la gestion des deniers publics est sans aucun doute marquée par l’indiscipline. On finira cette litanie par citer l’indiscipline caractérisée par la défiance de l’autorité. Aujourd’hui, les populations se fichent royalement des interdictions de l’État. Par exemple, la prohibition des feux d’artifice du 31 décembre dernier à Dakar a été allégrement ignorée par les populations comme si l’État n’était plus pris au sérieux.
Les raisons qui sous-tendent ce rapport conflictuel avec la chose publique sont multiples et variées. On peut y classer l’égoïsme. On sait que l’être humain est de nature égoïste. Chacun cherche systématiquement à tirer la couverture vers lui en faisant ce qui l’arrange sans forcément tenir compte des autres. Outre l’égoïsme, ce phénomène de l’indiscipline s’explique par l’ignorance, le manque de patriotisme et de culture républicaine, l’absence de solutions et la démission de l’État. Aussi, le fait que les autorités se comportent parfois comme les propriétaires des biens publics ne facilitent guère les choses, puisque, dans l’inconscient collectif, en détruisant un bien collectif, on détruit un bien appartenant à l’autorité et non à la collectivité, c’est-à-dire à soi-même.
De ce qui précède, il ressort un diagnostic, certes, sévère, mais qui traduit à quel point la désobéissance est une réalité dans notre pays. Or, l’indiscipline est un facteur de désordre dans la mesure où elle conduit chacun à faire ce qu’il veut. Pourtant, sans ordre, il serait illusoire de vouloir gouverner efficacement et atteindre le développement. Tous les pays qui ont émergé ont pu à un moment donné imposer une vraie discipline. La chine en est une belle illustration. Par conséquent, si nous voulons développer le Sénégal, il faut un changement profond des comportements. Certains diront un changement de mentalités. Mais peu importe la terminologie employée, il faut agir maintenant, car tout le monde s’accorde depuis longtemps sur cette nécessité de révolutionner les mentalités, sans que rien ne se fasse ; chacun croyant que ce changement s’opérera par magie ou par incantation. Bien au contraire, il ne se produira qu’au bout d’un processus ponctué par une batterie de mesures fortes et intelligentes. Concrètement, il faut éduquer la population en lui expliquant ce qu’est un bien public, sa provenance, son appartenance et l’attitude qui doit être celle d’un citoyen modèle. Il s’agit de faire comprendre aux citoyens que si on accepte de vivre en société, on se doit de respecter ce qui appartient à tout le monde. Cette sensibilisation ne peut cependant être efficace que si on trouve des solutions pour donner le choix aux populations, car on imagine bien que celui qui ne voit pas de poubelles ou d’urinoirs aura tendance à jeter ses ordures ou à uriner dans la rue. Dans le même mouvement, il faudra restaurer la valeur des institutions afin qu’elles redeviennent crédibles. Il ne s’agit pas de faire comme à l’époque où les sénégalais avaient limite peur de leurs autorités. Mais juste de faire en sorte qu’ils les respectent et appliquent leurs décisions. Pour ce faire, il convient, d’une part, de responsabiliser des personnes exemptes de tout reproche du point de vue de la morale, de la probité et de la compétence et, d’autre part, de prendre des décisions justes et qui reposent sur l’égalité entre les citoyens. Il faut enfin sanctionner sévèrement ces pratiques révoltantes. Si des dirigeants sont choisis, c’est pour faire régner l’ordre et faire respecter le contrat social qui lie les sénégalais.
Dr Momath Ndiaye