En toute chose, il faut savoir saisir l’essence et non s’arrêter aux simples apparences. C’est ainsi qu’il serait tout à fait léger d’affirmer que le bilan du régime de l’Apr serait positif à cause de la création de nombreuses infrastructures et de nombreuses réalisations sur le plan social.
C’est plutôt le Président Wade, quoi qu’on puisse lui reprocher par ailleurs, qui a initié l’ère des grands chantiers dans notre pays, depuis les cases des tout-petits, en passant par les infrastructures scolaires et universitaires, pour terminer par l’autoroute Dakar-Diamniadio et l’Aéroport international Blaise Diagne, sans oublier le controversé Monument dit de la Renaissance. Tous ces chantiers ont été caractérisés par leurs coûts exorbitants et leurs montages financiers nébuleux, pilotés la plupart du temps par le désormais ex-prince héritier. Il faut bien comprendre le sens et la portée de la première alternance historique de 2000 qui a introduit un changement de paradigme dans le jeu politique. A partir du moment où le fichier électoral était tant soit peu fiabilisé, que les fraudes électorales étaient réduites à leur plus simple expression, la seule façon pour un président de la République en exercice d’obtenir un second mandat était de «vendre» au Peuple sénégalais un bilan acceptable, quitte à user d’artifices, de subterfuges, de tripatouillages de la Constitution et/ou du Code électoral, voire de corruption clientéliste pour obtenir, à la faveur de la prime au sortant, une majorité de suffrages exprimés. Le précédent régime libéral l’a fait et a permis au Président Wade de rempiler en 2007.
L’actuel pouvoir, malgré sa phraséologie moralisatrice, s’inscrit dans la même logique, selon la maxime tristement célèbre qui veut que la fin justifie les moyens. Nous vivons en effet, depuis six longues années, une alternance sans alternative, marquée par des reniements retentissants, une instrumentalisation de la justice, avec une impunité pour les amis politiques et des privations de libertés pour les opposants. Cette période est également caractérisée par une recherche obsessionnelle d’une croissance extravertie, des projets onéreux, non structurants, financés par un endettement forcené et exponentiel. Le Peuple sénégalais a vécu durant ces six interminables années un avilissement sans précédent des mœurs politiques avec le débauchage de transhumants, la désinformation sur les politiques publiques en cours, mise en œuvre grâce à la complicité de certains patrons de presse voire une propagande politicienne acharnée, digne des régimes totalitaires.
Toutes ces infamies n’auront été possibles que grâce à la complicité de la méga-coalition présidentielle, conglomérat d’appareils politiques fragmentés et déliquescents, sans base sociologique ni unité programmatique, caractérisé par un unanimisme grégaire et un consensus mou.
Et c’est bien pourquoi on peut dire que ce qui caractérise le mieux l’actuel pouvoir, si on fait abstraction de la poursuite des programmes infrastructurels et sociaux, ficelés pour la plupart par les précédents régimes, se trouve être l’accentuation de la mainmise du capital étranger sur notre économie, la restriction des libertés démocratiques et le dévoiement du processus électoral.
A l’allure où vont les choses, il est légitime de se demander si l’esprit de fair-play et d’équité qui devrait présider aux prochaines joutes électorales n’est pas déjà faussé. En effet, tout ce qui passe sous nos yeux ressemble, à s’y méprendre, à une épreuve de force imposée par la majorité actuelle pour assurer l’élection de leur candidat dès le premier tour de la prochaine Présidentielle. Deux concurrents parmi les plus significatifs du candidat de l’Apr ne savent toujours pas s’ils pourront participer à la prochaine élection. Il s’agit du candidat du Parti démocratique sénégalais, arrivé deuxième aux dernières Législatives de juillet 2017, et du maire Khalifa Sall qui a prouvé sa suprématie électorale au niveau de Dakar. L’exigence faite à chaque candidat de fournir un nombre de signatures égal à 1% du nombre d’électeurs inscrits ne pourra être satisfaite que par quelques-uns des prétendants à la Magistrature suprême, pas forcément les plus représentatifs, mais ceux qui auront le plus de moyens logistiques et financiers (pour, au cas échéant, soudoyer quelques électeurs récalcitrants).
Les dysfonctionnements dans la distribution des cartes biométriques sont loin d’être résolus et les propos du ministre de l’Intérieur, promettant aux seuls militants et électeurs de son camp l’obtention du sésame électoral, ne sont pas pour rassurer les partis d’opposition. Tout se passe comme si l’obtention d’une carte d’identité biométrique indispensable au vote s’apparente à un parcours du combattant pour les électeurs non parrainés par des responsables politiques de la majorité présidentielle.
Avec le bilan élogieux dont se targue Benno, la réélection de leur candidat ne devrait pourtant être qu’une pure formalité. Encore faudrait-il que le gouvernement puisse instaurer un climat apaisé, permettant aux électeurs de se prononcer librement pour les candidats de leur choix.
Or, faute d’avoir créé les conditions politiques d’un véritable dialogue national, le pouvoir en place est entièrement responsable de l’impasse dans laquelle se trouve le jeu politique et qui pourrait avoir des conséquences gravissimes avant, pendant et après les dérisoires joutes électorales de février – mars 2019.
Nioxor TINE