Les signaux se succèdent et se ressemblent. Le dernier en date est la démission du magistrat Ibrahima Dème, le 26 mars 2018, qui dénonce « une justice qui a perdu sa crédibilité et son autorité, qui ne joue plus son rôle de gardienne des libertés individuelles, de régulateur social et d’équilibre des pouvoirs, fragilisée, voire malmenée de l’intérieur comme de l’extérieur, qui a démissionné, qui a une culture de soumission ». Un an plus tôt, le même magistrat avait démissionné du Conseil supérieur de la Magistrature pour décrier son instrumentalisation par l’Exécutif.
Il n’est pas le seul à lancer des signaux d’alerte. Florilège.
Le procureur de la République, 02 mars 2017 : « On injurie, on calomnie, on diffame ; je ne vais plus permettre à qui que ce soit, de quelque bord qu’il puisse se situer, de continuer à invectiver les magistrats, de continuer à atteindre l’honorabilité des magistrats et de continuer à jeter le discrédit sur la justice. C’est terminé. Il faut que cela cesse ! »
Souleymane Téliko, président de l’Union des magistrats du Sénégal, 29 mars 2018 : «Personne ne peut contester, aujourd’hui, le manque d’indépendance de la justice. Dans toutes les grandes démocraties, c’est le Conseil supérieur de la magistrature qui garantit la transparence de la justice. Tout le monde sait que quand l’exécutif a la mainmise sur la carrière d’un magistrat, indirectement, il a une mainmise sur le fonctionnement de la justice. La justice ne peut pas être rendue dans un climat d’insécurité et d’instabilité.»
Moustapha Cissé Lo, vice-président de l’Assemblée nationale, 09 mars 2018 : « Il n’y a pas de justice au Sénégal. C’est regrettable, mais le fait existe bel et bien. Les magistrats ne jugent pas équitablement et dans leur intime conviction. Ils font n’importe quoi, ils ne jugent pas la vérité. Toutes les décisions de justice rendues ne sont pas faites dans la vérité. Il faut qu’ils cessent de faire des caaxaan. »
23 décembre 2013 : « Macky Sall a la possibilité d’emprisonner qui il veut. Il suffit juste que l’envie l’en démange, pour qu’il saisisse le procureur de la République, afin qu’on t’arrête. »
Maître Mame Adama Gueye, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats, 05 octobre 2015 : « Le niveau de corruption est extrêmement élevé dans la justice sénégalaise. Ce qui fait qu’il y a une incertitude judiciaire grandissante. Nous avons le droit d’avoir une justice qui fonctionne normalement. Le Sénégal a une tradition de justice avec de grands magistrats. La situation de la justice est en train de s’empirer et a atteint une vitesse phénoménale. Le niveau de corruption dans la justice sénégalaise risque de décourager les investisseurs et porter un coup de frein au PSE. Car, la sécurité juridique et judiciaire sont les deux facteurs déterminants le choix des investisseurs. La situation de la justice sénégalaise s’est progressivement dégradée et l’incertitude judiciaire au Sénégal se situe à tous les niveaux. L’indépendance de la magistrature est instrumentalisée par certains magistrats qui la mettent au service d’intérêts illégitimes. La Justice est ainsi gangrénée par la corruption jusque dans ses plus hautes instances. La corruption est intolérable partout, encore plus dans la justice, c’est pourquoi nous constatons un dysfonctionnement extrêmement grave du service public de la justice ».
Maître El Hadj Diouf, avocat, 06 février 2018 : « Beaucoup de juges et de magistrats iront en enfer ».
Président Abdoulaye Wade, 06 novembre 2010 : « Les juges ne veulent pas s’affranchir de la tutelle de l’Exécutif. On peut tout faire pour que le magistrat soit indépendant mais, psychologiquement, les magistrats ne veulent pas être indépendants, c’est comme des esclaves. On les libère, ils font 200 mètres et ils reviennent pour dire : je ne sais où aller ».
Abdou Latif Coulibaly : « Une justice montre son indépendance, elle ne la déclare pas. Il faut que les magistrats assument leurs responsabilités. Je ne pense pas que la grève soit la solution car il y a suffisamment de textes qui leur permettent d’être indépendants. Mais s’ils se mettent à quémander leur indépendance, c’est qu’il y a problème. »
Toutes ces voix autorisées, qui pointent dans le sens du naufrage de notre système judiciaire, nous interpellent tous. Ne rien faire fragilise et expose tout le monde.
Et, à l’évidence, un naufragé ne peut pas se secourir de lui-même sans aide extérieure.
Un prochain papier tentera de donner les facteurs explicatifs de ce naufrage et proposer des pistes de solution.
Mamadou Sy Tounkara