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Pourquoi L’arachide Du Sénégal Ne Se Vend Pas ?

Pourquoi L’arachide Du Sénégal Ne Se Vend Pas ?

Contribution à la réflexion pour l’amélioration de la production et de la commercialisation de l’arachide au Sénégal

Aperçu sur la situation passée et présente

Le Sénégal est encore confronté à des difficultés majeures avec sa production d’arachide de 1,4 million de tonnes. La situation n’est pas nouvelle, car à chaque fois que les récoltes ont atteint seulement la moitié de ce record, l’écoulement n’a pas été aisé.

La raison semble toute simple : l’arachide avait été introduite au Sénégal par le colonisateur pour les besoins très précis de son industrie d’huilerie, de savonnerie et dérivés.

Aussi, après l’introduction d’une première espèce appelée «commune», parce qu’étant la même pour toutes les colonies françaises de l’Ouest africain, la France a créé des institutions de recherche pour booster davantage la productivité : (Irho et Irat, puis Cirad). C’est ainsi que sont nées successivement : La 28-206, (de l’année 1928). Les variétés : 47-16, 48-115, 57-422 et 73-30, ont été emportées par la sècheresse des années 1970 -1982. Puis la 55-537 (1955) et la 55-33 (1991) sont venues pour leur bonne adaptation à la sècheresse. La 69-101 (1969), comme variété résistante à la rosette apparue au sud du pays. La 73-27, la 73-33, la 73-9-11 (1973), la H 75-0 (1975), la 78-937, (homologuée en 2010, avec un cycle de 75 jours). La Pc 79-79 (obtenue en 1994), la Srv-19 (1990), la fleur 11 (1991), la G c-8-35 (obtention de 1990 avec 53% de teneur en huile)… qui sont toutes des variétés uniquement d’huilerie, à part la 73-27, H 75-0 et Pc 79-79 qui sont des arachides de bouche à calibres intermédiaires.

Ces obtentions sont encore massivement présentes dans la grande production où elles occupent jusqu’ici plus de 90% des emblavures et des collectes.

C’est dire que le Sénégal, même après la création de son Institut national de recherche agronomique (Isra) en novembre 1974, a continué à fonctionner dans la même logique que le colonisateur, qui n’avait que la production d’huile et ses dérivés comme unique cible. L’arachide de bouche (Arb) n’a représenté que des quantités infimes pour une période très courte (1968-1972, au Sine-Saloum avec la Gh-119-20 obtenue en 1920 et introduite depuis la Géorgie (Usa) par l’Irho (Institut de recherche pour les huiles et oléagineux). Ce même institut est aussi à la base de la petite exportation d’arachide Hps (Hand picked selected, ou triée et calibrée), destinée à la confiserie à partir des 2 variétés qui sont la 55-437 et la 73-33. Ce programme démarré à Louga avec les établissements A. Khoury de Fatick continue encore avec l’actuelle Sonacos. Il est réglementé par les normes du nombre de graines à l’once (60-70, 70-80 et 80-90), avec l’usage obligatoire de sacs en jute, sans indication de «l’origine Sénégal» (???). Il est aussi à signaler la vente tout à fait marginale de l’arachide «en vert», provenant pour l’essentiel d’une variété hâtive cultivée surtout en contre saison, dénommée «boulkhouss», produite au niveau de périmètres irrigués et vendue en coques grillées dans les grandes agglomérations.

La crise de l’exportation des huiles et tourteaux constatée depuis 1970 s’est véritablement installée en 1990, pour demeurer toujours identique.

Avant cette période, toute la production se partageait entre :

L’autoconsommation, pour 18%.

La trituration, pour 50%.

Et l’exportation, pour 32%.

Le Sénégal a pourtant produit son premier million de tonnes d’arachides en 1965-1966, sans rencontrer la moindre difficulté d’écoulement.

Il existe cependant des besoins en arachides, autres que pour l‘huilerie, dans de nombreux pays tels que la Turquie, sollicitée par le chef de l’Etat. Des hommes d’affaires turcs sont déjà venus en mission de prospection au Sénégal, il y a près d’une décennie, pour acheter l’arachide de bouche à graines extrêmement larges (nombre pour 100 grammes : compris entre 98 et 112). Le marché sénégalais n’avait malheureusement les produits souhaités dans sa carte variétale.

L’Isra a par la suite importé de Turquie deux de leurs variétés qui m’ont été confiées en tant que semencier pour multiplication et observations diverses. Des résultats positifs ont été obtenus sur une période de quatre années de travaux et communiqués à la tutelle.

Les besoins de la Turquie à cette époque étaient pourtant de 50 mille tonnes de graines par an, soit l’équivalent de100 mille tonnes de coques.

Quelques éclairages et pistes de réflexion

Si le Sénégal a pu réaliser une production de 1,4 million de tonnes avec des variétés dont les dates d’obtention varient entre 30 ans (GC-8-35) et 90 ans (28-208), il est certain qu’il est loin d’avoir atteint son plafond de productivité. Les rendements actuels à l’hectare qui ne sont que de 800 kilogrammes sont relativement faibles. Ils ne représentent que le quart du potentiel de certaines obtentions homologuées par l’Isra, mais ces variétés sont très peu présentes sur le terrain. Le fossé entre recherche et développement est anormalement profond.

Il s’agira donc, à l’issue des sérieux états généraux de l’arachide, de repartir sur des bases nouvelles en mettant en place une carte variétale plus conforme aux réalités du moment.

En attendant, l’institut devra être doté d’importants moyens pour son unité de production des semences (humains et matériels). Il devra pour les nouvelles fermes semencières recruter suffisamment de vrais spécialistes de la semence : La production des premiers niveaux étant un métier très pointu, réglementé par des textes de loi auxquels sont soumis tous les pays de la Cedeao.

L’Ensa, qui a compris l’existence de ce besoin, a eu l’heureuse idée d’ouvrir une formation en Sciences et technologies des semences (Sts), de niveau Master 2.

Ainsi, on pourra aller plus vite vers l’établissement des bases d’une filière nouvelle, plus attractive, plus productive et plus adaptée aux besoins du marché.

Les bureaux économiques de nos représentations diplomatiques pourraient, à partir de bonnes informations et des connaissances avérées, jouer un rôle important de marketing pour l’écoulement des arachides du Sénégal. Celles-ci devront bien sûr se conformer aux normes et spécifications établies par chacun des pays demandeurs.

Chaque homme étant une histoire, la mienne, qui m’a donné l’avantage d’avoir pendant 48 années été un acteur important des principaux travaux scientifiques et techniques réalisés sur l’arachide au Sénégal, a :

L’Irho, de 1965 à 1974. (Où j’ai participé à la sélection, à l’expérimentation et à la diffusion de nombreuses variétés d’arachides, aux côtés d’éminents scientifiques de l’époque).

L’Isra, de 1974 à 2013. (Où j’ai surtout produit en tant que spécialiste de la semence l’essentiel des besoins en pré-base d’arachide du Sénégal de 2000 à 2013, et formé de nombreux acteurs des sociétés d’Etat, projets et associations de développement).

Ce faisant, j’ai cru devoir apporter ici un peu de lumière à la recherche de lendemains meilleurs pour la filière arachidière de mon pays.

El-Hadji Moustapha DIOP

Cadre supérieur technique,

retraité de l’Isra

Spécialiste en semences 

et productions végétales

isratapha.diop@gmail.com

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