Le 7 avril, Journée Mondiale de la Santé, une occasion de plus pour s’interroger sur le modèle sénégalais de santé et notre système horizontal de santé. Je fais référence à celui qui doit couvrir la santé en général pour donner accès aux soins et aux médicaments à toute la population, de façon équitable. Ce système doit avoir pour objectif premier une réduction de la mortalité infantile, de la mortalité maternelle et autres maladies qualifiées à tort, de « banales », car dues à l’extrême pauvreté. Elles tuent encore beaucoup trop de personnes au Sénégal.
Même si on note de grands progrès dans des programmes de santé verticaux ciblés, en préventif et curatif, pour éradiquer des pathologies bien précises : Tuberculose, Polio, SIDA…, ces avancées semblent tirer bénéfice de l’aide au développement. La santé au Sénégal des temps modernes, nécessite davantage de ressources dans le budget de l’Etat et exige une optimisation de la carte infrastructures sanitaires. Dans certaines contrées du Sénégal, l’offre de soins semble être d’une inconsistance pathologique. Malheureusement, l’on fait un constat alarmant, dans ces zones où les populations vivent majoritairement en milieu rural, elles doivent, en grande partie dans l’année, faire face à des urgences de survie. L’état de santé de ces populations peut être fragilisé par leur situation économique favorisant une sous-alimentation ou une malnutrition, mais aussi par la pénibilité de leurs conditions de vie. Dès lors, améliorer lesdites conditions seront corrélées à l’évolution de leur état de santé en général résultant de la réduction de leur vulnérabilité devant certaines infections bactériennes ou virales.
Urgence à mieux soigner les populations
Un peu partout au Sénégal, un secteur privé se développe dans le domaine de la santé et c’est une bonne chose. Malheureusement, il est limité à ceux qui ont les moyens de recourir à cette solution pour se soigner. Donner accès aux soins à toute la population dans des hôpitaux, dispensaires et cases de santé doit rester une priorité absolue dans nos politiques publiques de santé. Dans ces zones rurales difficiles d’accès, l’offre de soins reste insuffisante. Toute la population n’y a pas accès non plus, pour cause d’impécuniosité. Les infrastructures de santé existantes sont loin de couvrir les besoins basiques de soins médicaux de la population tant en préventif qu’en curatif. L’accès aux médicaments est tout aussi problématique. Beaucoup de décès dus à des infections bénignes pourraient être évités avec de meilleures et promptes prises en charge. La mortalité due aux morsures de serpents, d’animaux sauvages ou domestiques, mais aussi piqûres d’arthropodes requiert une attention toute particulière.
Il y a quelques mois, des images d’hôpitaux vétustes au Sénégal ont suscité beaucoup d’émotion dans les réseaux sociaux et l’on se demande comment on peut y recevoir des soins de qualité ou y échapper à des maladies nosocomiales ?
A cette vétusté des hôpitaux et autres centres d’accueil, s’ajoutent un déficit chronique de lits pour assurer des hospitalisations nécessaires pour sauver des vies. On y déplore aussi des plateaux techniques archaïques pour soigner de manière idoine les maux dont souffrent ces populations. Cette situation reste un mal qui gangrène l’efficacité de notre politique de santé pour bonifier certains indicateurs : espérance de vie, mortalité infantile et maternelle etc…
Bon nombre de zones rurales affichent encore des taux « préoccupants » en termes de mortalité maternelle et infantile. Elles méritent un focus spécifique pour davantage sécuriser les grossesses et les accouchements. Hormis l’aspect purement médical, certaines de nos croyances, restent des freins à l’épanouissement et au suivi des grossesses. Effectivement, trop nombreuses sont les femmes enceintes qui n’ont aucun suivi médical sur le premier trimestre de leur grossesse, car une certaine tradition ou croyance veut qu’on ne parle de sa grossesse que le plus tard possible pour éviter le mauvais œil ! Un travail de déconstruction de ces croyances populaires est à opérer pour faire mieux comprendre à ces femmes enceintes l’importance capitale des consultations néonatales, des soins obstétricaux pour la future maman et l’enfant à naître.
Améliorer la santé, gage de progrès économique
Dans un cadre plus ciblé, faire un focus sur la santé des femmes et en particulier, celle du monde rural et celle des analphabètes, est indéniablement un levier de progrès socio-économique. Il n’est plus à démontrer qu’améliorer la santé des femmes en général, permet d’adresser de nombreux enjeux qui vont au-delà des soins de santé. Elles ont un rôle de pilier social à valoriser ! Tant qu’elles ne sont pas en bonne santé, elles ne peuvent pas tourner leur attention vers des activités plus créatrices de valeur au bénéfice de toute leur communauté à l’instar de l’éducation, du travail et encore du fait d’élever une famille. Tandis qu’une amélioration de leur santé porte les germes d’une embellie de beaucoup de composants de la vie et in fine au développement économique du pays.
Dans nos pays encore gangrénés par la pauvreté de la moitié de la population qui doit faire face à de nombreuses urgences de survie, assurer un accès large aux soins, mais aussi fertiliser une culture de la prévention est un facteur d’augmentation de l’espérance de vie, de développement et de bien-être.
Quelques solutions
L’amélioration des politiques publiques de santé au Sénégal sera un savant mélange entre solutions opérationnelles et applicables rapidement et au surplus la mise en mouvement d’une démarche prospectiviste de eSanté.
De manière très opérationnelle il y a urgence à :
– Premièrement, allouer une part plus conséquente du budget de l’Etat à la santé avec le développement de plus d’infrastructures sanitaires publiques dans la totalité du pays tout en jouant sur leur attractivité. Le personnel de santé, médecins, sages-femmes et infirmiers déplorent l’insuffisance de politique d’accompagnement quand ils sont affectés dans les zones rurales. On sait qu’en brousse, les plateaux techniques sont insuffisants ce qui complique leur travail au quotidien.
– Deuxièmement, lutter contre les médicaments contrefaits qui inondent encore le marché. Favoriser une médecine alternative pourquoi pas les plantes médicinales et le savoir-faire de certaines méthodes de grand-mère et de tradipratique réglementée pour en tirer le meilleur profit est une voie de progrès.
– Troisièmement, faire preuve de plus de justice sociale et d’équité en réglementant mieux les transferts médicalisés en Europe ou dans d’autres pays africains plus avancés que nous sur ces questions. Cela représenterait une réduction des coûts tout en faisant des économies considérables. Ils sont couteux et ne bénéficient pas à l’ensemble des nécessiteux, et ne répondent pas à l’urgence de certaines situations d’extrême urgence. Aujourd’hui force est de constater que seule une classe de privilégiés bénéficie de ce traitement « de faveur ».
– Quatrièmement, au niveau des populations, mettre en œuvre plus d’actions visant à transformer la santé mère-enfant. La Réduction des grossesses à répétition qui inhibent le développement d’un point de vu socio-professionnel, car les maintenant dans une situation précaire de dépendance financière et les enfonçant davantage dans le dénuement, reste un défi majeur. Dans le changement des mentalités nécessaires à ces volets, les hommes auront aussi un rôle, et pas des moindres, à jouer pour davantage de femmes ayant recours à la santé de la reproduction. Tout aussi préoccupant, les grossesses précoces fréquentes chez les jeunes filles qui représentent un coup d’arrêt à leur scolarité en général. Au-delà de ce facteur, se pose aussi un problème de fragilisation de leur santé avec les fréquentes complications médicales spécifiques à leur jeune âge.
Toutefois, même si toutes ces méthodes constituent des réponses pour préserver la santé des populations, pour une transformation durable, il faudrait une approche holistique au-delà de l’aspect médical. Apporter une réponse idoine aux : a) questions alimentaires, b) style de vie et c) environnementales serait sans conteste un pas de géant sur la qualité de vie, la santé et du bien-être des populations.
La eSanté, une réponse à l’amélioration de la santé
Dans la perspective de s’arrimer au train du numérique pour la santé, Les NTIC , le Big Data et les avancées de l’Intelligence Artificielle (IA) offrent une pléthore de solutions. Celles-ci visant à renforcer la santé des populations dans les pays en développement. Mobiliser ces technologies permet de mettre en production des offres de télémédecine pouvant pallier au manque de spécialistes, mais aussi établir des diagnostics de maladies via de l’imagerie médicale grâce à des algorithmes de Machine-Learning (apprentissage d’ordinateur). La révolution du big-data qui est en marche dans la société actuelle, mais aussi l’émergence des objets connectés (IoT) offrent d’immenses perspectives pour améliorer la santé et le bien-être des populations.
Notons que le Big Data offre aux pouvoirs publics de reconfigurer leur manière de fonctionner en ce qui concerne autant l’innovation que la gouvernance de leurs administrés. En considérant les avantages qu’offre ces technologies d’Intelligence Artificielle (IA) pour le diagnostic et la prévention de certaines pathologies, on pourrait dire que l’IA et le big data sont une chance pour l’homme de défier et pousser encore plus loin les limites de la médecine. La solution développée par l’entreprise DreamQuark via sa Spin Off DreamUp Vision illustre bien cet exemple : automatiser grâce au deep learning (apprentissage machine en profondeur) la détection de maladies de la rétine, notamment la rétinopathie diabétique (1ère cause de cécité chez les adultes) sur des images de fonds d’œil avec des performances aussi bonnes que celles des ophtalmologistes. Cette méthode démocratise le dépistage précoce et permet au plus grand nombre de diabétiques atteints de cette maladie de l’œil d’en profiter et d’éviter des cas de cécité.
Une réponse adéquate pour solutionner les nombreux cas de décès dus à des défaillances dans la disponibilité du sang est le transport des poches de sang par des drones comme c’est déjà le cas dans des pays comme le Rwanda. Cela les rend vite accessibles dans les zones difficiles d’accès via les voies de transports terrestres.
En Afrique et spécialement au Sénégal, même si certaines applications peuvent être onéreuses et difficilement supportables par le budget de nos Etats, il y a une fenêtre d’opportunité à explorer via de l’open innovation (innovation ouverte) et des hackathons (projet collaboratif de programmation informatique) spécial santé. Nous pourrions tirer un meilleur parti du potentiel de nos geeks (fans d’informatique) pour concevoir des applications adressant nos défis actuels. Sur le champ des Web/App nous avons la chance d’avoir un vivier de développeurs experts. En dynamisant leur écosystème par des programmes de financements, d’incubation et d’accélération, dans des FabLab et LivingLab, nous pourrions rendre favorable l’émergence de Start up en eSanté. Les geeks africains pourraient rivaliser sans aucun complexe avec leurs pairs des pays développés et rentrer pleinement dans la compétition mondiale.
A près de six décennies d’indépendance, si nous convenons que l’Afrique est aux Africains, nous serons bien inspirés de faire intervenir sur nos territoires des experts de l’émergence africaine par la mutation des mentalités. Nous pouvons tour à tour citer les travaux en sociologie prospective de Moussa Sarr PhD, sur le bien-être des populations du Dr Mathias Mondo … etc.
Ces infimes exemples démontrent à eux tous seuls, qu’avec de la volonté, de la vision et du leadership, que nous avons une opportunité en mobilisant ces nouvelles technologies, de nous sortir de nos cercles vicieux du non développement et de son cortège d’urgences de survie pour entrer dans des cercles vertueux d’une économie inclusive.
Aurons-nous cette volonté au Sénégal ?
Cécile THIAKANE
cecile.thiakane@humanbet.com
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