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De L’inconstitutionnalité Du Projet De Loi Instituant Le Parrainage Intégral

De L’inconstitutionnalité Du Projet De Loi Instituant Le Parrainage Intégral

Le projet de loi instituant le parrainage intégral révise le mode d’élection du président de la République dans la mesure où il modifie les conditions de recevabilité des déclarations de candidatures, et donc d’éligibilité de tous les candidats à l’élection présidentielle. En cela, il viole, de façon flagrante, l’article 103 alinéa 7 de la Constitution en vertu duquel le mode d’élection du président de la République ne peut faire l’objet de révision.

Changer les règles du jeu à la veille des compétitions électorales, et ce, sans consensus politique réel entre les différentes parties prenantes, commence à devenir non seulement l’un des principaux procédés de conservation du pouvoir au Sénégal, mais aussi une donnée fondamentale du droit constitutionnel sénégalais. La volonté d’appliquer la règle ou la condition du parrainage – jusque-là réservée aux candidats indépendants à l’élection présidentielle – aux candidats investis par les partis ou coalitions de partis politiques légalement constitués révèle l’une des inquiétantes symptômes de la «fièvre réelectionniste» (1) : changer les règles du jeu en cours de jeu ! Or, le parrainage intègre les conditions de forme du mode d’élection du président de la République (I), lequel en l’état actuel du droit positif sénégalais est insusceptible de faire l’objet de révision (II). Aussi est-il fondamental de souligner que la motivation politico-juridique qui accompagne le projet de loi instituant le parrainage ne semble nullement s’inscrire dans la continuité de l’esprit qui guide sa consécration constitutionnelle actuelle (III).

  1. Le parrainage, une condition de forme substantielle dans le mode d’élection du président de la République

L’identification de la nature juridique du parrainage permet de justifier l’application à son propos de la clause d’intangibilité prévue par l’article 103 alinéa 7 de la Constitution, qui frappe le mode d’élection du président de la République. Ce travail d’identification est facilité lorsqu’on analyse l’institution présidentielle (2). En droit constitutionnel, dire que le président de la République est une institution signifie qu’il a un statut et exerce, à ce titre, une fonction au moyen de divers pouvoirs. Deux éléments structurent le statut présidentiel : le mode d’élection et le mandat. Le mode d’élection se présente comme un ensemble processuel fondé sur le principe démocratique du suffrage universel direct et dont la finalité est la désignation officielle du titulaire du mandat présidentiel. Cette définition permet ainsi de distinguer dans le mode d’élection du président le mode de suffrage d’une part, et d’autre part, la procédure de l’élection présidentielle. Cette dernière comporte sur le plan chronologique (3) plusieurs étapes : le moment de l’élection (4), la déclaration de candidature (5), le déroulement du scrutin (campagne électorale (6), et mode de scrutin (7) et enfin le contentieux électoral (8).

L’étape de la déclaration de candidature nous intéresse d’autant plus que c’est à ce niveau que se situe la condition du parrainage. La validité de la candidature de chaque candidat à la magistrature suprême est subordonnée à des conditions de recevabilité (dont le juge constitutionnel assure le contrôle pour déclarer l’éligibilité).

Alors que les conditions de fond sont partagées entre tous les candidats (9), les conditions de forme quant à elles se déploient, au moins en partie, en fonction de l’appartenance ou non à une formation politique des candidats, c’est-à-dire entre les candidats investis par un parti ou une coalition de partis politiques légalement constitués et ceux qui ne le sont pas. C’est à ces derniers, communément appelés candidats indépendants, que s’applique la condition du parrainage (10).

En effet, la déclaration de candidature de tout candidat indépendant, pour être recevable, doit «être  accompagnée  de  la  signature d’électeurs représentant  au  moins  dix  mille  inscrits  domiciliés  dans  six  régions  à  raison  de cinq cents au moins par région» (11). Lorsque les exigences impliquées dans la condition de parrainage ne sont pas respectées, notamment en raison d’un nombre insuffisant de signatures, ou bien dans l’hypothèse où certaines signatures appartiendraient plutôt à des non-inscrits ou encore lorsque le critère de la répartition géographique des signatures ne serait pas présent, le juge constitutionnel n’a d’autre choix que de déclarer l’irrecevabilité de la candidature (12).

Ce faisant, le parrainage populaire ou citoyen est une condition d’éligibilité à la satisfaction de laquelle dépend la participation au premier tour de tous les candidats indépendants. La réciproque, n’est-ce pas, en serait aussi vraie si elle venait à s’appliquer aux candidats investis par un parti ou une coalition de partis légalement constitués. Pourquoi alors devrait-on écarter le parrainage dans le périmètre du mode d’élection du président ? N’est-ce pas une règle d’importance fondamentale permettant au juge constitutionnel d’établir la liste des candidats admis à concourir ou à participer au premier tour du scrutin.

L’impossible assimilation entre mode d’élection et mode de scrutin. L’idée consistant à confondre mode d’élection et mode de scrutin (13) reste une construction intellectuelle très contestable. Assimiler mode d’élection et mode scrutin, c’est prendre une partie pour le tout. Comme nous l’avons démontré plus haut, le mode scrutin ou plus précisément son application correspond tout au plus à une étape de la procédure de l’élection présidentielle. Très concrètement, le mode de scrutin est la méthode permettant le passage du décompte des voix ou suffrages obtenus par chaque candidat à la désignation de l’élu ou des élus. Déjà le contrôle juridictionnel de régularité a postériori du déroulement scrutin avant la proclamation des résultats définitifs montre qu’on ne saurait fixer a priori le mode d’élection totalement dans le temps du scrutin. C’est dire, donc, que le mode de scrutin remplit une fonction spécifique et ne doit être confondu avec la finalité qu’il sert, à savoir la désignation du président de la République.

De plus, cette thèse réductrice comporte une autre limite. Si mode d’élection correspond tout simplement au mode de scrutin, quelle serait la place du mode de suffrage ? Il serait tout de même curieux d’écarter le suffrage universel direct, c’est-à-dire le mode de suffrage actuellement en vigueur, du mode d’élection du président de la République !

C’est d’ailleurs le lieu de rappeler que pour les élections locales, l’élection d’un élu peut être annulée pour candidature irrégulière. L’illettrisme du maire qui est une cause d’inéligibilité prévue à l’article 95 du Code général des collectivités locales, peut justifier l’annulation de l’élection dudit maire sur la base de l’article 131 du Code. Aussi, en droit administratif spécial (fonction publique), une admission à un concours peut être annulée pour candidature irrégulière. En droit constitutionnel, l’élection (mode de désignation démocratique des gouvernants) d’un président de la République peut bien être annulée pour candidature irrégulière. Donc l’argument selon lequel les conditions de candidature ne concernent pas le mode d’élection du président de la République doit être rejeté, car il reviendrait à confondre mode d’élection et mode de scrutin (le référendum, par exemple, est un scrutin et non une élection).

En résumé, la conception procédurale est la mieux à même de rendre compte de la réalité du mode d’élection du président de la République. Elle permet de voir que le parrainage en tant que condition de forme dans la déclaration de candidature, le moment de l’élection, la campagne électorale, le mode de scrutin, le contentieux électoral structurent la procédure de l’élection présidentielle. Cette dernière, avec le suffrage universel, constituent les éléments constitutifs du mode d’élection du président de la République. Au regard de cette analyse, c’est en toute logique que le parrainage entre dans le champ d’application de la clause d’intangibilité qui frappe le mode d’élection du président de la République.

II- La clause d’intangibilité, obstacle rédhibitoire au projet de loi instituant le parrainage intégral

C’est une démarche commune, dans les constitutions actuelles, que d’introduire des clauses prévoyant l’intangibilité de certains principes et règles constitutionnels. Une nette distinction apparaît dès lors entre les dispositions susceptibles de faire l’objet de révision selon la procédure d’adoption des lois constitutionnelles et les dispositions non susceptibles de se voir appliquer la procédure de révision. Ces clauses d’intangibilité sont aussi appelées clauses d’éternité. La Constitution sénégalaise contient, depuis le référendum du 20 mars 2016, de nouvelles clauses à cet effet, notamment le mode d’élection du président de la République.

Dans son exposé des motifs, le point 15 de la Loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 issue du référendum du 20 mars 2016 vise à apporter parmi ses principales innovations «l’intangibilité des dispositions relatives au mode d’élection, à la durée et au nombre de mandats consécutifs du président de la République.» Ainsi, aux termes de l’article 103 alinéa 7 (nouveau) de la Constitution du 22 janvier 2001, «la forme républicaine de l’Etat, le mode d’élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du président de la République ne peuvent faire l’objet de révision» Au surplus, le constituant a pris le soin de préciser que «l’alinéa 7 du présent article ne peut être l’objet de révision».

Le commentaire de cette disposition permet de distinguer deux blocs non révisables : d’une part, un bloc permanent, la forme républicaine de l’Etat et d’autre part, un bloc nouveau, issu du référendum de 2016, à savoir le mode d’élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du président de la République. Comme nous pouvons aisément le remarquer, la Constitution n’opère aucune distinction à propos du mode d’élection. L’approche générale qui en résulte, interdit de créer d’autres distinctions ou encore de réécrire le texte constitutionnel en précisant, par exemple, que le constituant voulait dire mode de scrutin en parlant de mode d’élection. L’adage suivant lequel point de distinction là où la loi n’en fait pas, doit, en l’espèce, s’appliquer dans toute sa rigueur.

Par conséquent, ce serait, ni plus ni moins, une violation manifeste et préméditée de la Constitution que de réviser le mode d’élection actuel du président de la République. Pour autant, il n’est pas encore trop tard de rappeler au «législateur» l’esprit dans lequel s’inscrit le parrainage actuellement en vigueur et dont le champ d’application est limité aux candidatures indépendants.

III. De l’utile compréhension de l’esprit du parrainage !

Au-delà de son inconstitutionnalité quasi-ostentatoire, le projet de loi instituant le parrainage intégral repose sur une motivation politico-juridique qui déconcerte la logique historique du parrainage présidentiel au Sénégal, du moins depuis l’entrée en vigueur de la constitution du 22 janvier 2001. La justification politico-juridique qui l’accompagne est principalement fondée, selon ceux qui la portent, sur l’idée de réparer une «injustice» consécutive, disent-ils, à l’exigence non généralisée à tous les candidats de la condition du parrainage. Sans qu’il ne soit nécessaire de démontrer que les indépendants n’ont jamais exprimé la demande d’un nouveau droit constitutionnel réparateur, le projet de loi crée véritablement une injustice non seulement contre des partis politiques, contre tous les potentiels candidats indépendants, mais aussi et surtout contre les citoyens tout simplement.

D’abord contre les citoyens parce que la consécration du parrainage par le constituant de 2001 avait pour objet d’élargir l’expression du suffrage à une catégorie de «citoyens-candidats» sans les obliger à créer ou à constituer une association politique. Il s’agissait donc, de la part du constituant, d’élargir l’offre politique pour que l’exercice du droit de suffrage ne se soumette pas exclusivement à l’offre de candidatures des appareils politiques traditionnels.

Cependant, pour être en cohérence avec l’expression du droit suffrage, le Constituant exigea en contrepartie un minimum de représentativité populaire comme condition de recevabilité de toute candidature indépendante (14). Tel est l’esprit du parrainage en droit constitutionnel sénégalais. Le citoyen en est la boussole et l’étalon de mesure. Or en alourdissant les conditions du parrainage, le projet de loi aura principalement pour conséquence de rétrécir l’offre politique, c’est-à-dire exactement le contraire de ce que voulait le constituant.

Ensuite, dans le chef des formations politiques, la règle constitutionnelle suivant laquelle «les partis politiques et coalitions de partis politiques concourent à l’expression du suffrage» (15) devrait, avec la réforme envisagée, être entendue sous réserve d’une nouvelle justification de représentativité populaire.

Enfin, il y a une grande contradiction intellectuelle entre l’idée de réparer une injustice dont seraient victimes les candidats indépendants tout en tablant sur un alourdissement des nouvelles règles du parrainage. En effet, les candidats indépendants, c’est-à-dire ceux à qui le projet de loi entend pourtant «faire justice», verront le nombre de signatures qu’ils ont actuellement à présenter multiplié par sept. En quoi faire passer le nombre de signatures exigé (pour remplir la condition du parrainage) de 10 000 à 70 000 au moins, juste parce que la règle s’applique désormais aux partis politiques, serait-il signe de progrès juridique pour les candidats indépendants ? C’est dire qu’en réalité, le projet de loi s’intéresse plus aux potentiels candidats qu’aux citoyens, tant la rationalité qui le sous-tend n’a aucun contact avec l’esprit de la Constitution.

A côté de l’argument presque caricatural tiré de la réparation d’une injustice imaginaire contre les candidats indépendants, l’argument de droit comparé (26) est presque miraculeusement soulevé pour défendre les besoins de la cause pourtant inconstitutionnelle. Fondé sur l’idée selon laquelle «la plupart des grandes démocraties dans le monde pratiquent le système du parrainage», l’argument de droit comparé, contrairement au premier, ne mérite pas véritablement de réplique, et ce, pour au moins deux raisons. D’une part, l’esprit du constituant est suffisamment autosuffisant pour qu’il ne mérite pas d’être dilué par des considérations d’altérité juridique. D’autre part, l’argument de droit comparé ne peut se substituer au principe fondamental de notre démocratie électorale qui est le consensus politique. Alors que le consensus politique sert la paix civile, à qui sert l’argument de droit comparé à part ceux qui cherchent à changer unilatéralement les règles du jeu en cours de jeu ?

Pour toutes ces raisons, et ce quelle que soit l’issue du vote à son propos, le projet de loi instituant le parrainage intégral, au-delà de son inconstitutionnalité évidente, doit, et sans trop de difficultés, être rangée dans la catégorie des réformes «déconsolidantes» de notre démocratie.

Au final, la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016 issue du référendum du 20 mars 2016 a désormais la fâcheuse réputation de n’avoir servi à rien, à part prolonger le mandat présidentiel. Non seulement la question du nombre de mandats que peut briguer l’actuel président n’est pas définitivement réglée, mais avec le projet de loi instituant le parrainage intégral, elle révèle tout aussi que c’est sans conviction qu’elle avait entendu frapper par une clause d’intangibilité le mode d’élection du président de la République.

 

Mouhamadou Ngouda MBOUP

Assistant de droit public Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Ibrahima KA

ATER en droit public Université du Littoral Côte D’Opale, France

 

NOTES

1 – A. CABANIS et M-L MARTIN : «La pérennisation du chef de l’Etat : l’enjeu actuel pour les Constitutions d’Afrique francophone», Mélanges en l’honneur de Slobodan Milacic, Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, Bruylant, 2007, p. 349, in Ismaila Madior FALL, La révision de la Constitution au Sénégal, Afrilex, Décembre 2014, p. 2. Consulté le 02/04/2018.http://afrilex.ubordeaux4.fr/sites/afrilex/IMG/pdf/La_revision_de_la_Constitution_au_Senegal_Ismaila.pdf, Consulté le 02/04/2018.

2 – V. l’article 6 de la Constitution. Cette dernière dispose d’un fil conducteur qui relie directement mode d’élection et parrainage.

3 – Sans exclure, cependant, la possibilité pour certaines étapes de se chevaucher.

4 – V. article 30 alinéa 2, article 31 alinéa 1 de la Constitution, et article 33 alinéa 1

5 – V. article 29 alinéa 1 de la Constitution.

6 – V. article 32 de la Constitution.

7 – V. article 33 alinéa 2 à 6 de la Constitution.

8 – V. article 35 de la Constitution.

9 – Aux termes de l’article  28 de la Constitution : «Tout candidat à la présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de trente-cinq (35) ans au moins et de soixante quinze (75) ans au plus le jour du scrutin. II doit savoir écrire, lire et parler couramment la langue officielle». Voir aussi l’article 29 alinéa 5.

10 – Un coup d’œil sur les termes mis en gras permet de voir le fil conducteur qui relie mode d’élection et parrainage.

11 – Telle est la version actuelle de l’article 29 alinéa 4 de la Constitution. C’est précisément cette disposition que le projet de loi instituant le parrainage intégral a pour objet de modifier.

12 – Ce fut le cas en 2012 avec les candidatures de Youssou Ndour, Kéba Keinde et Abdourahmane Sarr.

13 – Tel est le point de vue du Professeur Abdoulaye Dièye dans Sud Quotidien n° 7468, jeudi 29 mars 2018, p. 3.

14 – C’est-à-dire 10 000 signatures en raison de 500 au moins par région.

15 – V. article 4 alinéa premier de la Constitution.

16 – Fondé sur l’idée selon laquelle la plupart des grandes démocraties dans le monde pratiquent le système du parrainage. Ce qui n’est pas à vrai dire un argument, car nous aussi nous pratiquons le parrainage depuis 1963.

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