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La Commémoration De La Journée De L’esclavage Et Nous !

La Commémoration De La Journée De L’esclavage Et Nous !

Le Centre d’information des Nations unies a accueilli, en partenariat avec le Mémorial de Gorée, une foule de visiteurs parmi lesquels l’Université de Dakar et des amis venus des Caraïbes dont la prise de parole a été lumineuse et décisive. A l’occasion, le film sur le parcours du projet du Mémorial de Gorée a été projeté. Le Président Sall s’exprime dans ce film et dit bien haut qu’il s’est habillé d’une volonté politique forte pour réaliser le Mémorial. Nous n’en doutons pas, au regard de ce que nous l’avons déjà vu poser comme acte fondamental majeur. Nous n’en doutons pas pour avoir été là, en Guadeloupe, quand le Président Hollande a invité le Président du Sénégal pour prendre part à l’inauguration du Mémorial Acte, dans les Caraïbes, à Pointe à Pitre. Depuis Senghor, un Président Sénégalais n’avait refoulé le sol de nos sœurs et frères des Caraïbes.

Ceci dit, Dieu ne s’est pas enfui, mais nous ne pouvons plus l’attendre pour nous sauver du mépris et de la bave. Lui est Amour et Miséricorde ! Ce qui s’est passé avec la tragédie de l’esclavage il y a des siècles et ce qui se manifeste encore sous nos yeux, aujourd’hui, sous d’autres formes, n’est pas beau, n’est pas juste et ne s’arrêtera pas avec les Nations unies et les faux sanglots de l’Occident. Une nouvelle animalité est née, nourrie par un obscurantisme tenace. Aucun homme, quel que soit la couleur de sa peau, n’est voué, par sa naissance, aux luttes d’une vie que d’autres ont décidé de pourrir. Qui disait que le peuple noir n’a jamais connu de répit pour avoir le temps de penser à son développement ? C’est par nous-mêmes, Africains et Noirs de toutes les couleurs, que tout s’arrêtera, quand nous cesserons d’être des peuples inanimés et certains de nos États de la quincaillerie. Incontestablement, l’Afrique se réveille. Nous ne devons cependant pas nous tromper de combat. Comme le disait Césaire, refusons de nous diluer dans l’universel, mais ne nous figeons pas non plus dans des identités closes. Le message de Senghor reste d’actualité : s’enraciner mais s’ouvrir. C’est le prix à payer pour un monde plus solidaire, plus intelligent, plus interdépendant, plus tolérant, plus métis, pour une Afrique non isolée, mais participant au rythme du monde et faisant le monde.

Avec ce qui s’est passé en Libye et ce qui se passe encore sous nos fenêtres dans nombre de pays arabes, nous ne sommes plus dans la tragédie, mais dans quelque chose de plus cruel, de plus intolérable, de plus bouleversant, venu non des bourreaux -les bourreaux ont toujours un visage- mais de quelque chose de plus putride, de plus reptile que les bourreaux eux-mêmes. La tragédie de l’esclavage sous toutes ses formes et dans ce qui la dépasse, ce n’est point ceux qui vendent et minorent nos frères et nos sœurs. La tragédie, c’est nous qui regardons et qui ne font qu’accuser sans agir. Le Président Sall a levé très fort la voix et la lève de plus en plus fort avec nos enfants assassinés un peu partout dans le monde. Sa voix ne doit pas baisser et elle ne baissera pas. Mais, elle doit être armée.

La tragédie, ce sont nos États africains. La tragédie, c’est nous-mêmes d’abord, notre rapport avec nous-mêmes, avec nos peuples, avec nos jeunesses. Le mal, c’est d’abord nous. Nous avons tellement mal que nous fuyons nos propres miroirs. Nous allons chercher des traits de bien-être dans le miroir des autres qu’eux-mêmes ont fui, car ils savent qu’ils ne sont plus beaux. Nous, nous avons oublié notre beauté parce que nous avons mal, parce que nous avons honte de voir ce que nous sommes devenus depuis nos indépendances. Le monde n’est plus le reflet de ceux qui le commandent injustement, mais de ceux qui regardent faire. Refusons d’être des détaillants qui achètent chez les mêmes grossistes.

Nous nous mentons. Nous mentons à nous-mêmes. L’Afrique appelle au sursaut national depuis de très longues décennies et les années passent et nous rient au nez. Le monde se fait, s’accomplit. On promet -ou nous nous promettons- de s’atteler aux wagons du développement, du bien-être social. Et les trains passent et nous restons sur les quais, parce que nous attendons des valises qui ne sont pas arrivées et qui n’arriveront pas. Nous nous jouons du temps, de la discipline, de l’organisation, de l’éducation, de la formation, de la prospective. Tout ce qui devrait nous pousser à l’excellence nous fuit, parce que nous fuyons le travail et mettons dans notre lit la paresse, l’indiscipline, la médisance, la corruption, la médiocrité, le copinage, la facilité. Il est temps que la foi des peuples et la vision des créateurs guident la conviction des élites politiques en Afrique ! La faillite a trop duré !

Nous sommes nos propres esclaves. Nous forgeons tous les jours nos propres chaînes. Il est temps de se regarder en face au lieu de tirer sur les autres. Voilà pourquoi le temps des infrastructures est arrivé. Voilà pourquoi ériger le

Mémorial de Gorée est important. Voilà pourquoi célébrer la mémoire tout court est important. Au-delà du devoir de mémoire, cause incontournable, et du devoir du Sénégal d’ériger un monument du souvenir et du pardon en phase avec la caution de la communauté internationale depuis des décennies, il y a le fait que le projet du Mémorial occupe une  position centrale en raison de son impact. Le complexe du Mémorial de Gorée est un objectif prioritaire de politique nationale et nous pousse à accéder au marché international des biens et des services par ses contenus et les flux internationaux de ses visiteurs. Il s’y ajoute qu’il célèbre la mémoire et le recueillement, nous garde éveillés, forme et arme notre jeunesse.

«Un milliard de personnes naîtront en Afrique dans les trente prochaines années et 900 millions quitteront la campagne pour la ville. En 2050, une personne sur quatre dans le monde sera africaine et 50 % d’entre elles auront moins de 25 ans ». C’est un bouleversement qui aura des effets considérables sur l’économie, y compris celle liée à la culture et dont le Mémorial est un symbole vivant et puissamment représentatif. C’est un patrimoine culturel mondial que le Sénégal s’apprête à abriter. C’est une œuvre qui séduira l’imaginaire de tous les peuples et sera incluse dans les réseaux de distribution dominants dans l’espace culturel mondial.

Nous avons rendez-vous avec l’avenir et le Président Macky Sall nous y pousse en soutenant, avec une volonté politique décisive, ce projet de mémoire. Il fait de même pour le Musée des civilisations noires. Il est difficile de ne pas le remercier pour l’acte politique qu’il a posé. Il ne doit pas non plus être difficile de pouvoir remercier un Chef d’État quand il avance et surtout quand il avance sur un projet culturel emblématique qui date depuis Jésus et est défendu par toute la communauté internationale avec des Résolutions de l’Onu, de l’Unesco, de l’Ua, de l’Isesco. Depuis d’interminables et douloureuses décennies, nous attendons. L’heure a sonné et le Président Sall a demandé à tenir l’horloge sans contrainte. Nous ne faisons que rendre hommage à un acte politique à un moment où il aurait pu ne pas être évident, au regard des urgences du développement qui s’imposent et dépassent même parfois un Chef d’État, tant il y a à faire. Que son actuel ministre de la Culture, Abdou Latif Coulibaly, soit également ici remercié pour sa veille et son engagement participatif au débat culturel, intellectuel et scientifique national, comme il y a peu, sa solide et courageuse contribution au questionnement crucial à la fois sur les enjeux modernes et identitaires ainsi que les nouveaux habits de l’ambitieux et épineux Musée des civilisations noires. Nos ministres écrivent si peu ! Peut-être que pour vivre moins dangereusement, il faut vivre sans écrire. Mais, ceux qui écrivent, écrivent, sinon ils manquent d’air, ils étouffent, ils se meurent.

Dans un pays qui se veut émergent, il faut des infrastructures locomotives marquantes portées et soutenues à la fois par les pouvoirs publics, le secteur privé de l’économie, les créateurs, les diffuseurs, les promoteurs. Le Mémorial de Gorée est porteur de cette envergure et de cette ambition. Notre pays, le Sénégal, abritera un grand patrimoine culturel voulu, désiré, visible et qui figurera, le moment venu, parmi les premières destinations touristiques du monde. Le visage du Sénégal en sera changé. Le Mémorial de Gorée enrichira l’offre et la demande culturelle du Sénégal. Ce projet est en soi-même une exigence, un rendez-vous culturel international, c’est-à-dire une destination de visite artistique et mémorielle que toute la diaspora noire dans le monde et au-delà d’elle attend. Il sera inscrit dans tous les agendas. Ce sera l’émergence d’un nouveau pôle sur la carte culturelle du monde qui, à court terme, contribuera au produit intérieur brut en capturant des parts de marché financier culturel global.

Sans volonté politique affirmée, rien ne s’accomplit quand il s’agit de bâtir des pyramides. Il faut savoir donner leur part aux pyramides. Ce sont elles seules qui résistent et qui témoignent pour l’histoire. Les hommes passent et les grands arbres qu’ils ont plantés restent. Leur ombrage rappellera toujours à ceux qui viennent s’y abriter le nom du planteur.

La construction du complexe du Mémorial de Gorée est, bien sûr, liée à la sauvegarde de l’île, symbole d’une mémoire commune qui tient en éveil la douloureuse histoire de la traite négrière. Gorée est devenue fragile dans un environnement rendu de plus en plus difficile par le réchauffement climatique et une redoutable érosion qui s’accélère d’année en année. Le complexe du Mémorial de Gorée, dans ses missions et ses objectifs, sera, en premier, un lieu de recueillement et de souvenir mais aussi un centre de communication, d’activités artistiques et esthétiques, d’éveil scientifique et technologique. Il sera un lieu de socialisation avec le sentiment d’appartenance à une communauté noire forte, soudée, solidaire et ouverte sur le monde. Le Mémorial de Gorée ne sera pas seulement un monument commémoratif, mais un puissant instrument de promotion et de renaissance culturelle de l’Afrique. Il sera un laboratoire de la coopération internationale pour la cause des droits de l’Homme. Il s’agira de resserrer les liens entre les Noirs d’Afrique et ceux de leurs frères de la diaspora, renforçant ainsi l’identité culturelle des peuples noirs. Le Mémorial de Gorée développera la recherche et la réflexion entre toutes les communautés internationales et combattra les préjugés de race et de culture. Le Mémorial de Gorée a une spécificité fondamentale : en effet, en même temps qu’il constitue un puissant projet culturel, économique et social, il porte la dimension d’une nouvelle génération de patrimoine architectural, marquant une profonde restructuration tenant en compte la cohérence du tissu urbain de notre capitale, Dakar.

C’est un projet total, moderne, innovant, porteur de croissance et de développement. Outre le nouvel embarcadère de Gorée qui sera érigé au bas du Mémorial, sur la corniche ouest de Dakar, le Président Sall, en recevant l’architecte pour une séance d’écoute et de travail, a souhaité que du complexe du Mémorial sur la corniche, une chaloupe desserve l’île des Madeleines que peu de Sénégalais visitent. C’est une nouvelle page dans l’offre et la restructuration du tissu urbain dakarois. Par ailleurs, un parking géant jouxtera le Mémorial et soulagera les automobilistes, en attendant de voir le Plateau, un jour, devenir un espace piéton. Outre le musée de l’esclavage qui recevra, de manière tournante, des collections du monde entier, une esplanade ouverte sur la mer et pouvant contenir près de 1500 personnes sera livrée au public. Dans ses contenus, le complexe du Mémorial offrira aussi une bibliothèque, des salles de spectacles polyvalents, des galeries marchandes de l’art traditionnel sénégalais et sahélo-sahélien, des aires de jeux, de promenade, de restauration et de repos face à l’océan. Les familles pourront venir s’y détendre. Un planétarium accueillera les visiteurs qui, à l’intérieur, grâce à des outils technologiques de haute définition, y referont le voyage tragique des esclaves, dans une bouleversante émotion qui n’épargnera personne. Un an après son inauguration, le complexe du Mémorial dont le mât culmine à plus de 150 mètres, avec une plateforme aérienne à 75 mètres d’altitude du sol desservie par deux ascenseurs panoramiques, enregistrera près de 800 mille visiteurs venus de tous les continents. Gorée ne recevrait actuellement que 100 mille visiteurs par an ; ce qui est fort peu. Pour le Mémorial, son chiffre d’affaires est estimé entre deux à trois milliards par an. L’île de Gorée en sera la principale bénéficiaire pour sa sauvegarde et le développement de ses habitants. Un pont piéton et voiture enjambera l’Avenue Martin Luther King pour permettre la fluidité des visites et assurer le lien sécuritaire et populaire du Mémorial avec les populations venues de la Médina et de tout Dakar, dans un espace fluide, conçu et pensé hors de tout embouteillage.

Le Mémorial de Gorée ne nous invite pas à nous arrêter à un monument funéraire. Ce serait trahir la mémoire de nos millions de sœurs et frères déportés et morts. Il nous faut un juste équilibre entre le deuil, le pardon, la résistance et les promesses de l’avenir. Nous n’appelons pas à une réparation. La vraie réparation, c’est de refaire l’histoire, prendre acte et clamer haut que ce qui s’est passé n’est pas juste, n’est pas beau et doit s’arrêter là, à tout jamais. Notre âme comme celle de nos morts désirent la paix, le respect et non la vengeance. Avec la barbarie de l’esclavage, le temps a tout dit à la postérité. Alors, préparons ensemble l’avenir sans que plus personne ne fasse la queue derrière l’autre, par pauvreté et servilité. « Ils ont essayé de nous enterrer. Ils ne savaient que nous étions des graines ».

Puissions-nous être les otages des rêves de nos peuples et de l’humanité dans ce que cette dernière laisse de plus beau à la postérité.

L’esclavage n’est pas l’avenir de l’homme. De tout homme. L’être humain ne vient jamais au monde les mains vides. Ne ruinons pas la santé éthique de notre civilisation et n’abîmons pas l’espérance tapie en chacun de nous. Etre vivant, dit-on, c’est aider l’autre à vivre. Alors, comment expliquer cette fascination de certains hommes à rendre d’autres hommes inaptes à vivre ? La réalisation du Mémorial de Gorée en porte et le message et la guérison.

 

Amadou Lamine SALL

Commissaire général à la réalisation du Mémorial de Gorée

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