Dans cette histoire de parrainage, le Professeur Ismaïla Madior Fall risquera d’être le dindon de la farce si jamais son patron venait à retirer le projet de loi controversé ! Le président Macky Sall, dans une situation peu enviable aujourd’hui, est à la croisée des chemins : organiser des élections de bout à bout transparentes, gagner ou perdre, et dans cette dernière hypothèse s’aménager une porte de sortie honorable, tout en misant sur la magnanimité des Sénégalais ou alors s’engager sur la voie du forcing, un sentier déjà expérimenté par Laurent Gbagbo, au risque de tout perdre.
Les chancelleries occidentales prennent très au sérieux les menaces qui pèsent sur l’élection présidentielle à venir. Ces chancelleries elles-mêmes sont aujourd’hui concurrencées, dans le cas précis du Sénégal, par les canaux d’information que constitue la crème intellectuelle de la diaspora de plus en plus présente ou bien introduite dans les milieux et sphères de décision en Occident. Dans bien des cas, ce sont leurs camarades de promotion dans les grandes écoles occidentales qui sont aujourd’hui aux affaires. Dans les années 60 et 70, le retour des cadres pour occuper les postes de prestige était la norme et cette tendance s’est aujourd’hui largement inversée. Le point de vue officieux de cette élite intellectuelle sur les acteurs politiques et la situation d’ensemble du pays vaut son pesant d’or aux yeux des interlocuteurs occidentaux. Pour dire simplement que les manœuvres et autres discours insipides autour du parrainage ainsi que les arrières pensées politiciennes n’échappent à personne.
Le Professeur Ismaïla Madior Fall, au micro de Mamoudou Ibra Kâne, disait en substance : «Parrainer quelqu’un ne veut pas dire qu’on va voter pour lui». Ce qui n’est pas totalement faux. Mais où est donc passé le sens critique du Professeur qui ne tire aucune conséquence pratique de son assertion ? Pensez-vous vraiment qu’un directeur national osera parrainer la candidature d’Idrissa Seck, pour une raison ou pour une autre, sans se faire virer le lendemain ? C’est cela qui est anti-démocratique et le Professeur Abdoulaye Bathily n’a pas besoin de le démontrer ! Dans l’absolu, le parrainage n’est certes pas anti-démocratique, mais ses conséquences pratiques peuvent l’être et il faut les dénoncer ! D’ailleurs, doit-on lire le Professeur Bathily au premier degré ?
Mais plus fondamentalement, ce qui est le plus sidérant dans ce bricolage institutionnel, c’est la non prise en compte d’une situation de vacance du pouvoir. Dans un tel cas, combien de temps sera alloué à la collecte des parrainages ? Et combien de temps sera alloué à la campagne électorale proprement dite ?
En déclassant ainsi les partis politiques, par le biais du parrainage, l’on se prive aussi graduellement de la formation politique dispensée à leurs membres par certains parmi eux autour de l’esprit critique ou de la responsabilité citoyenne. A la place, l’on nous propose le nivellement par le bas où le prérequis est d’avoir l’injure à la bouche. L’exemple le plus symptomatique est celui d’un soutien du président, chroniqueur dans une télé de la place, qui, à force d’insulter, est devenu non seulement une icône, mais se trouve aujourd’hui célébré dans les chansons de certains musiciens. Dans cette lancée, notre pays attendra encore longtemps pour son émergence !
Quant aux enjeux du système de parrainage proprement dit, ils s’articulent, pour l’essentiel, autour de deux chiffres : le chiffre 10 et une inconnue. Avec l’éclatement actuel du champ politique et l’insaisissable équation des primo-votants, le second tour s’imposerait dès que la barre de la dizaine de candidatures sera franchie. Dès lors, le calcul du régime est simple : si l’on ne peut diminuer le nombre de candidats de façon drastique et éviter un second tour, l’on peut, en revanche, se choisir des candidats à notre convenance. D’où les risques d’embrasement si de grosses pointures du landerneau politique venaient à être écartées. Et la grande inconnue demeure, sans nul doute, le prix humain à payer.
N’est-il pas temps qu’une démocratie qui se dit majeure règle de manière définitive la question des violences électorales et les pertes en vies humaines que rien ne justifie ? Il est clair qu’une fois un certain seuil psychologique franchi en termes de pertes en vies humaines, la question de la légitimité politique pour gouverner le Sénégal se posera inévitablement. Dans un tel scénario, la Cpi pourrait entrer dans la danse avec des poursuites et certaines grandes figures pourraient voir leur image à jamais écornée, d’autres leurs volumineux carnets d’adresses devenir toxiques.
Il est à espérer que le président Macky Sall prenne l’exacte mesure des risques associés à la question du système de parrainage, en la remettant sous le boisseau. Il doit comprendre qu’à un certain moment historique, ses intérêts doivent cesser de se confondre avec ceux de son parti et de sa cour. Si haut perché, il n’y aura pas d’émotions fortes qu’il n’ait déjà vécues. Il est libre de solliciter un second mandat, mais diantre qu’il fasse confiance au peuple souverain qui l’a librement élu. En définitive, le président Macky Sall doit plus se soucier de sa confiance en son propre bilan et des perspectives qu’il offre à la jeunesse que de son manque de confiance réel ou supposé à l’endroit d’un peuple dont le comportement électoral n’a rien à envier à celui des grandes nations du monde.
Mamadou Lamine SYLLA
PhD, Montréal, Canada
Président du Mouvement Team Sénégal
Auteur du livre : «Pour mieux amarrer l’Afrique noire à l’économie mondiale globalisée», Paris, Éditions L’Harmattan, 2015.