Dans son adresse à la nation du 3 avril 2016, veille de la 56ème fête de l’indépendance du Sénégal, le président de la République a consacré un moment au système éducatif, en général et, plus particulièrement, à la nécessité de (re) profiler l’Ecole publique et de requalifier la mission des syndicats d’enseignants, dans le cadre d’une démarche consensuelle, participative et inclusive, avec l’Etat, la Fenapes et la société civile afin de réaliser une Ecole citoyenne performante, stable et apaisée. En 2018, le chef de l’Etat focalise son discours sur la seule question de l’augmentation de l’indemnité de logement de 60 000 F Cfa à 85 000 F Cfa, passant sous silence les véritables revendications des enseignants qui portent essentiellement sur les lenteurs administratives des dossiers et l’iniquité dans le système de rémunération des agents de la Fonction publique.
Le ministre de l’Education nationale et les conseillers du Palais en éducation devraient attirer l’attention du président de la République sur le fait que la non prise en compte des véritables points d’achoppement qui opposent l’Etat et les syndicats d’enseignants auront des impacts directs, à court, moyen et long termes sur les orientations stratégiques de la vision étatique de valoriser le capital humain, de renforcer la protection sociale et de développer durablement cet axe majeur du Plan Sénégal Emergent escompté à l’horizon 2035. En effet, les résultats actuels de notre système éducatif demeurent assez problématiques et nous fondent à croire qu’au moins, trois grandes tendances annoncent probablement le maintien d’un statu quo et la persistance d’une bureaucratie durant les dix prochaines années, si rien n’est entrepris : des crises cycliques, une résistance au changement et un risque d’absence de candidats à la profession enseignante.
Les crises cycliques se manifestent par une série d’obstacles aux allures à la fois multidimensionnelles et récurrentes, se traduisant d’abord à travers un manque de confiance entre les deux principaux acteurs, l’Etat et les syndicats d’enseignants, sans qu’il y ait possibilité, de la part d’une troisième entité neutre, de les rapprocher, de les concilier, de faire de la médiation, voire d’arbitrer les différends, selon les mécanismes d’alerte, de prévention, de règlement et de résolution des conflits si bien connus de notre arbre à palabre plusieurs fois séculaire, au bénéfice exclusif des élèves/étudiants et de leurs parents. Il convient, toutefois, de saluer au passage, les efforts déployés dans ce sens par une organisation comme la Cosydep. S’y ajoute une autre série de signes qui portent sur un manque de vocation des enseignants, d’adaptation des programmes, d’adéquation de l’environnement scolaire, d’autorité de l’Etat, d’adhésion des parents et de performances scolaires.
La seconde tendance a trait à un système éducatif réfractaire aux nouvelles possibilités, à la proactivité et à la prospective, donc, résistant au changement et confiné à l’ère des 19ème et 20ème siècles, dans un contexte mondial essentiellement caractérisé par une réduction de l’espace et une dilatation du temps sans précédent. A cet égard, il convient de constater que la gestion des relations conflictuelles est purement conjoncturelle et que de telles façons de procéder contribuent largement à faire de notre système d’éducation, l’otage de protagonistes qui ne sortiront probablement jamais de l’ornière. En outre, la plupart des enseignants sont parfois dépassés par certains élèves hyper connectés, qui accèdent au savoir et à la connaissance disponible sur le web qui se substitue progressivement à la salle de classe habituelle, sans, toutefois, être en mesure de la remplacer. Ce qui met à nu une insuffisance de formation professionnelle, tant initiale que continuée, surtout au niveau des cycles préscolaire, élémentaire et moyen secondaire général.
Une telle réalité annonce même une troisième et dernière tendance qui concerne le risque certain de déperditions massives d’enseignants, à cause de leur existence précarisée par l’appartenance à des corps dits émergents. Qu’ils soient volontaires ou vacataires, maîtres ou professeurs contractuels, ils ont tous comme dénominateurs communs une grande précarité, une faible motivation, des conditions de travail peu attrayantes, des niveaux de salaires relativement bas et, surtout, un manque de reconnaissance de la part de leur employeur et de la société, en général. A cela s’ajoutent les déperditions déjà effectives des apprenants, ce qui pousse les parents d’élèves à ne plus croire à un système éducatif qui, non seulement, présente souvent une offre éducative non conforme à la demande, mais surtout, empêche d’accéder à l’élite du fait des multiples échecs aux examens et concours, tout en ôtant les capacités de réadaptation pour la réinsertion de l’enfant dans sa communauté d’origine qui le rejette, parce qu’il aura perdu l’habitude requise pour les travaux domestiques (s’agissant des filles), agro sylvo pastoraux ou artisanaux… (concernant les garçons), n’ayant pas été capable de réussite sur le plan académique. Et, pour couronner l’édifice, les jeunes sénégalais qui parviennent à passer entre les mailles du filet des déperditions et deviennent diplômés de l’enseignement technique professionnel, de l’enseignement supérieur, sont frappés, pour la plupart, par un chômage inquiétant.
Face à tant de goulots d’étranglement, nous nous proposons d’alimenter la réflexion afin de contribuer à éclairer les grandes décisions que le président de la République devrait prendre. Il devrait créer toutes les conditions propices au dialogue socio politique et indiquer la voie à suivre, sans délai, à tous les acteurs qui s’intéressent à l’émergence du Sénégal, sans exclusive, mais sans préalable et au-delà de toute appartenance politique, religieuse, syndicale ou autre, au nom des intérêts supérieurs de l’Ecole publique sénégalaise. Il s’avère nécessaire de refonder le système éducatif conformément aux réalités sénégalaises et à l’évolution mondiale, sur la base d’au moins quatre recommandations fortes, pour l’émergence d’une école du futur orientée vers la conscience d’avenir du peuple.
1 – Transformation de l’éducation
Elle répond aux exigences actuelles et devra aboutir à un développement individuel et collectif durable. La vision et la finalité de l’éducation devra prendre en compte l’ensemble des préoccupations et attentes de la communauté, ses aspirations, ses représentations et valeurs que l’éducation doit promouvoir, en somme le type de citoyens à former afin de promouvoir une «Education à l’autonomie» : apprendre à apprendre et à entreprendre pour un développement durable. Suite aux orientations stratégiques du Paquet et face à la nécessité de repositionner le système éducatif comme pilier central du développement, les Assises de l’Education et de la Formation ont posé, entre autres axes prioritaires, «une école rénovée dans un environnement apaisé» et «une école où l’on apprend à apprendre». C’est à ce niveau qu’il faudrait, sans doute, réconcilier les enseignants avec leur employeur, en trouvant des consensus forts et durables sur les dossiers touchant les carrières, la revalorisation des rémunérations, la formation, l’habitat social, la réforme des curricula, la mise à disposition de matériels didactiques, la qualification, la redéfinition du rôle des enseignants, l’utilisation des langues locales, etc. Car l’amélioration de la qualité dans un environnement propice aux enseignements/apprentissages est un enjeu pour tous.
2 – Dynamisme des jeunes
La caractéristique essentielle est la jeunesse de la population sénégalaise. Le recensement général de la population (Rgphae, 2013) indique que l’âge moyen démographique est de 22,4 ans et que la moitié de la population a 18,7 ans. Le taux d’accroissement annuel moyen de la population est de 2,7 %. Cette tendance, sauf choc exceptionnel, va se poursuivre et nécessiter des efforts conséquents en planification, financement et stratégies innovantes d’enseignements permettant de réduire les disparités de tous ordres. Le dividende démographique pourrait être un atout pour l’émergence du Sénégal. Une vision et des politiques hardies permettront de le transformer en opportunités. Il convient de songer, à cet effet, à la diversification, à l’adaptation aux besoins du marché et à la professionnalisation de l’offre de formation afin que l’arrivée massive de jeunes résultant de l’amélioration des taux de transition soit transformée en atout.
3 – Taux de transition
L’Unesco indique que le taux de transition donne le degré d’accès ou de transition d’un cycle d’enseignement inférieur au cycle supérieur. C’est un indicateur de résultat pour le cycle d’enseignement inférieur et un indicateur d’accès pour le cycle supérieur. Il évalue aussi la sélectivité relative des systèmes d’éducation, qu’elle soit dictée par des exigences pédagogiques ou par des contraintes financières. Tous les acteurs s’accordent sur son importance pour un système performant. Le taux d’achèvement du primaire au Sénégal est à 65,9 % en 2013. Le Sénégal s’est fixé comme objectif à l’horizon 2020 l’atteinte d’un taux d’achèvement de 100 % dans sa Lettre de politique sectorielle. Parce que le dividende démographique devra être un atout pour l’émergence du Sénégal comme le préconise le Pse. Pour ce faire, une vision et des politiques hardies devraient être mises en œuvre afin que ce dynamisme des jeunes soit transformé en opportunités. Nous sommes tous interpellés pour réaliser cette performance, non pas parce que c’est facile, mais précisément, parce que c’est difficile.
4 – Nouvelles technologies influençant la transformation de l’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie
Nous avons franchi déjà une quinzaine d’années dans la société du savoir. Et dans une telle société, l’accès à l’information et son contrôle constituent un enjeu majeur. L’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie pour tous, s’appuyant sur les Tic, feront que chacun, dans sa vie privée ou professionnelle, est ou sera amené à utiliser un tableau blanc interactif, internet, un traitement de texte, un tableur, un correcteur orthographique, un logiciel de traduction, etc. Le système éducatif devra introduire de nouvelles modalités : l’enseignement présentiel technologiquement assisté (utilisation du Web dans l’enseignement traditionnel), l’enseignement à distance (par opposition au présentiel), l’enseignement hybride (combinaison des précédents modes). Enfin, les acteurs devraient s’orienter aussi vers la révision des référentiels de formation, le rôle de l’enseignant et la Valorisation des acquis de l’expérience (Vae).
Tout compte fait, la transformation de l’éducation qu’entraînera la séquence temporelle 2014-2035, le dynamisme des jeunes qui devrait être au cœur des projets politiques du Plan Sénégal émergent, le taux de transition qui a des conséquences importantes sur l’évolution de l’enseignement moyen, secondaire, professionnel et supérieur ainsi que sur l’innovation, les Nouvelles technologies influençant la transformation de l’éducation et l’apprentissage tout au long de la vie trouvent toute leur importance puisque ces différents signes reflètent bien les nouvelles tendances du système éducatif sénégalais. Au-delà de l’absolue nécessité de la cohérence des programmes éducatifs sénégalais, les lacunes, tensions et freins identifiés depuis longtemps et mis en exergue par les Assises nationales de l’éducation et de la formation tout comme la Concertation nationale sur l’enseignement supérieur, méritent d’être pris en compte dans une nouvelle gouvernance du système. Cette nouvelle approche devrait permettre d’apporter les réponses adaptées à la problématique de l’alliance de la démocratisation de l’accès et de l’amélioration de la qualité, de l’équité y compris celle portant sur un système harmonisé de rémunération des agents de l’administration publique et de la transparence. Des concepts qui, loin d’être antagonistes, pourraient, à travers les nouvelles technologies de l’information et de la communication, aller harmonieusement ensemble et hisser le Sénégal vers la société du savoir qui, bien encadrée, garantira l’épanouissement intégral de l’homo senegalensis.
Papa Moustapha GUEYE
Inspecteur de l’Education et de la Formation
Spécialisé en Planification internationale et Management de l’Education
Certifié PPP de la World Bank,
Certifié en Leadership dans les Ticet la Société des Savoirs
Diplômé de GRH