Monsieur le président de la République, au moment où la tension se fait de plus en plus vive, au fur et à mesure que nous nous approchons de la date fatidique du 19 avril, jour du vote de la loi sur le parrainage, nous ne pouvons nous empêcher de solliciter votre sagesse pour le sursis du vote de cette loi qui divise le Peuple sénégalais. De quel peuple nous dira-t-on certainement ? A défaut d’interroger individuellement un peuple, il est toujours fait appel à des baromètres comme le sondage d’opinions qui n’existe pas chez nous mais qui pourrait être assimilé aux positions affichées dans les débats télévisés, les contributions et les émissions interactives comme le : Wax sa khalat (libre pensée). Nous comprenons parfaitement que votre sagesse, quel qu’en soit le degré, ne puisse résister aux contraintes que vous impose la charge et les responsabilités étatiques. Toutefois, nous souhaiterions dans ce contexte trop tendu, que l’exception l’emporte sur la règle.
Monsieur le président de la République, dénués d’un quelconque militantisme politique, la soixantaine dépassée, nous considérant comme étant au crépuscule de notre vie, nous avons fait le choix, par pur patriotisme, de nous approprier ce devoir qui voudrait que tout citoyen soucieux du devenir heureux de son pays, synonyme d’accomplissement de ses concitoyens sur fond de liberté, se lâche à chaque fois que de besoin, pour apporter sa modeste contribution à l’édification de ce Sénégal émergent que nous rêvons tous de voir. La concrétisation de cet engagement ne saurait se manifester que sous forme d’alerte et/ou de suggestions selon le contexte et le sujet, par voie de presse à défaut d’être en face du décideur que vous êtes. Ce qui est présentement le cas avec le vote projeté de la loi sur le parrainage des candidatures pour l’élection présidentielle de l’année prochaine qui retient toute l’attention de tout le Peuple sénégalais, angoissé par la peur de voir le pays basculer dans la violence.
Monsieur le président de la République, nous sommes confortés à l’absolue et urgente nécessité de solliciter votre intervention pour l’ajournement de ce projet de loi, en vertu des trois raisons ci-après qui nous habitent :
Le constat qui est fait que depuis quelques semaines, du fait de la controverse qui entoure ce projet de loi, le pays bruit de diatribes et de clameurs alimentées par les acteurs de la classe politique de tous bords confondus et qui ont fini d’installer la psychose chez les populations.
La forte imprégnation de l’assertion du penseur français, Alfred Auguste Pilavoine qui nous étreint : «Il y a un temps pour parler et un temps pour se taire ; c’est lâcheté de se taire quand il faut parler, c’est présomption de parler quand il faut se taire» ;
La forte conviction que nous avons de l’idée très répandue, qu’un président de la République est l’homme le plus informé de son pays, n’est pas forcément avérée car ses proches collaborateurs censés lui rendre compte fidèlement et le conseiller dans le meilleur des sens, ne lui font connaître que ce qu’ils veulent qu’il entende.
Monsieur le président de la République, la vérité dans cette affaire est que le front du scepticisme sur les avancées démocratiques du projet de loi s’élargit de jour en jour. Ce front doute de la pertinence de cette loi et y voit des subterfuges du camp au pouvoir, pour s’offrir un boulevard qui mènerait à votre réélection à tout prix. Du fait de certains de vos collaborateurs qui excellent dans des déclarations malheureuses, ponctuées de menaces qui ne doivent pas figurer dans un système démocratique digne de ce nom, les citoyens sénégalais et les expatriés qui se sentent bien chez nous se posent des questions auxquelles vous devez, sans désemparer, apporter une seule réponse : celle de la paix dans un Sénégal pour tous, selon la belle expression de votre Premier ministre. Après deux alternances réalisées de la plus belle des manières, nous pensions à jamais bannis des propos du genre : «Force restera à la loi», «ils nous auront en face», «la loi passera de gré ou de force», etc.
Monsieur le président de la République, le spectacle que notre pays offre à la face du monde, avec cette cristallisation des positions antinomiques entre un pouvoir décidé coûte que coûte à faire passer ce projet de loi et une opposition déterminée à ne rien céder, ne donne-t-il pas raison aux deux éminentes personnalités françaises, le Président français Jacques Chirac et Jules Ferry, avocat et député, qui disaient respectivement pour le premier : «La démocratie est un luxe pour les Africains» et pour le deuxième au Parlement français : «La Déclaration des Droits de l’Homme n’avait pas été écrite pour les Noirs de l’Afrique équatoriale.»
Non, Monsieur le président de la République, votre génération ne devrait pas. La réussite de votre ambition d’installer le Sénégal sur les rampes de l’émergence ne peut s’accommoder d’un pays divisé, où les uns et les autres se regardent en chiens de faïence.
Monsieur le président de la République, à quarante-huit heures de cette date fatidique pour certains et pas pour d’autres, après la saisine la semaine dernière de nos représentants, nous avons la forte conviction que le dernier espoir que nous nourrissons de voir notre pays s’exonérer des risques d’un basculement dans la violence, ne pourrait venir que de vous qui êtes le seul à détenir les clés de la décrispation.
Monsieur le président de la République, «l’absolutisme comme mode de gouvernance étatique, à l’instar de toute chose, a un cycle de vie. Il nait de la soustraction à des remontrances et à une opposition au véto des contre-pouvoirs (parlementaires, traditionnels ou constitutionnels), mature par l’oppression sur les masses, l’écrasement des esprits brillants et crève à la rencontre d’une soif d’égalitarisme qui se manifeste par la violence pour vaincre cette force résistante incarnée par l’absolutisme lui-même». Nous ne vous en apprenons rien, il s’agit d’un simple rappel à un homme que nous pensons, peut-être même à tort, parfois isolé.
Monsieur le président de la République, les appels sont nombreux et sont à la mesure de l’ampleur de l’inquiétude qui habite la majeure partie de vos compatriotes qui pensent comme vous le dites souvent, vous et vos partisans : «Que vous ne ferez pas moins que vos devanciers.»
Monsieur le président de la République, pour avoir blanchi sous le harnais des arcanes de la politique, vous savez plus que nous, qu’en démocratie, l’absolutisme ne saurait primer sur le dialogue. Un dialogue sincère duquel sortira la solution consensuelle.
Mamadou FAYE Grand-Yoff