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Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

La Plaie Du SÉnÉgal

Bien que partisan, sur le principe, du système de parrainage populaire, j’ai été profondément peiné de ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale le 19 avril dernier, à savoir le vote d’une loi modifiant la Constitution sans qu’il n’y ait de débats sur le contenu de ladite loi. Cette précipitation de la majorité alors qu’il s’agissait là d’une question cruciale, couplée à ce manque d’élégance démocratique, demeure incompréhensible pour moi.

L’analyse, certes simple et mais valable sur l’instant, consisterait à faire porter la responsabilité de ce refus de débat au chef politique de la majorité, en l’occurence le Président de la République, président du parti Alliance pour la République et leader de Bennoo Bokk Yakaar, M.Macky Sall. Personne ne me fera croire, et ses propos rapportés par la presse le confirment, qu’il n’a pas donné la consigne d’accélerer cette réforme, probablement en ces termes : « Faites passer cette loi vite. Nous disposons de la majorité et elle s’appliquera qu’ils le veuillent ou non ». Tels étaient d’ailleurs en substance ses mots quelques jours avant le vote de cette loi. La colère des opposants envers M.Macky Sall est donc légitime. Sa majorité, qu’il a lui même formée en élaborant personnellement les listes lors des dernières législatives, a dénié à d’autres Sénégalais, de surcroit représentants du peuple, le droit de se prononcer sur le contenu de la loi en séance plénière. Une colère encore plus justifiée lorsque l’on considère les arrestations délirantes et abusives de certains leaders politiques d’opposition qui voulaient exercer un droit constitutionnel, celui de marcher librement et pacifiquement dans leur pays.

Ceci étant dit, je souhaite m’exprimer aujourd’hui non pas sur le circonstanciel mais sur le structurel, c’est à dire sur les mécanismes institutionnels qui structurent notre Etat et notre représentation, nous peuple souverain. Il s’agit là pour moi d’une question fondamentale sur laquelle nos déceptions et colères, au demeurant justifiées, jettent souvent, pour ne pas dire tout le temps, un voile opaque. Ce texte sera long car la question me semble fondamentale et souffrirait d’une réponse condensée. Cette précision faite, venons-en au propos principal.

Il est courant d’entendre chez les personnes qui se sont battues pour l’avènement des différentes alternances politiques la plainte suivante : « Nous ne nous sommes pas battus en pour arriver à de telles situations. Les mêmes attitudes arrogantes réapparaissent, les mêmes forcing ressurgissent, les mêmes volontés de changer les règles du jeu reviennent. » 

Ceux qui avaient fait partir le régime socialiste du PS lors de la première alternance en 2000 ont vite déchanté. Ceux qui ont fait partir le régime libéral du PDS en 2012 également. Faire partir Abdou Diouf était devenue une obsession politique nationale : « Sopi », « changer », était sur toutes les lèvres. Empêcher Abdoulaye Wade de rester au pouvoir, lui qui avait franchi le rubicon jusqu’à vouloir un troisième mandat illégal, était l’enjeu principal de l’élection présidentielle de 2012. Le peuple est passé de « Sopi » à « Goor gi na dem, na dema dema dem ». Demain, en 2019 ou en 2024, Macky Sall sera la cible de toutes nos colères. « Macky dégage » sera sans doute le mot d’ordre. Faisons le point et un premier constat : l’histoire se répète alors que ces trois hommes ont des personnalités et des styles d’exercice du pouvoir profondément différents. Première question : Pourquoi ? Pourquoi, au Sénégal, trois Présidents de la République et leurs majorités ont fini, à des degrés divers, par retomber dans les travers de leurs prédecesseurs sur les questions d’indépendance de la justice, de gouvernance, de lutte contre la corruption ou de démocratie ?

La première réponse, celle du sens commun, consiste à dire que ces hommes et leurs majorités respectives ont trahi le peuple, que les hommes politiques sont tous pareils, que le pouvoir corrompt quiconque l’exerce ou, position encore plus radicale, qu’ils n’aiment pas le Sénégal. Ces affirmations comme tout phénomène apparent sont superficielles et erronées dès lors que l’on adopte une perspective analytique. La loi newtonienne sur la chute libre des corps a rendu caduque la pensée commune, encore largement répandue de nos jours, qui affirme que la chute d’un corps est d’autant plus rapide que sa masse est importante. Autrement dit, si elles étaient jetées d’une même hauteur au même moment, une boule de bowling tomberait plus vite qu’une plume car elle serait plus lourde. Or cela est faux. Tellement faux que si vous arrrivez à lire cet article sur un écran connecté à internet, c’est parce que des satellites ont été mis sur orbite autour de la Terre en appliquant la loi newtonienne qui dit que la vitesse de chute d’un corps est indépendante de sa masse et dépend plutôt de l’accelération du champ de gravité qui s’exerce sur lui. Phrase compliquée dont la compréhension n’est pas obligatoire pour le lecteur mais qui signifie qu’une plume et une boule de bowling chutent à la même vitesse si elles sont placées dans le même champ de gravité. (La preuve en image ici : https://www.youtube.com/watch?v=E43-CfukEgs). Le philosophe et physicien français, épistémologue de grand talent, Etienne Klein, dit à ce propos que « la science remplace du visible simple par de l’invisible complexe ». C’est en remettant en cause les constats évidents des siècles précédents que l’humanité a progressé dans sa compréhension des phénomènes physiques grâce à la méthode scientifique. C’est cela le socle de notre modernité technique et matérielle, pour ceux qui y ont accès.

Cette longue digression me permet d’introduire une analogie entre phénomène physique et phénomène politique. En effet, si les Sénégalais veulent faire progresser la Démocratie et éviter de se retrouver tous les 5 ou 7 ans à pleurer sur leurs illusions et l’ineffectivité de leurs combats passés, ils devront sortir des « évidences apparentes » pour analyser les causes profondes des dérives répétées et récurrentes de leurs différents dirigeants. Ils devront essayer, chose à laquelle je m’attèlerai dans les lignes suivantes, de comprendre quel est le moteur commun et impersonnel de leurs souffrances citoyennes et démocratiques. Sortir du visible simple, du sens commun politique, pour arriver à l’invisible complexe. Invisible qui, dans ce cas précis, est davantage une négligeance qu’une réelle complexité.

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J’affirme que nos problèmes politiques les plus importants ne sont liés ni à Macky Sall, ni à Moustapha Cissé Lô, ni à Moustapha Niasse. Pas plus qu’ils n’étaient liés à Abdoulaye Wade, Idrissa Seck et Farba Senghor ou à Abdou Diouf, Jean Collin et Tanor Dieng. Personne ne peut leur dénier, une volonté de diriger ce pays et d’améliorer son fonctionnement. Ils ont certes leurs faiblesses (Abdou Diouf et son effacement, Abdoulaye Wade et son rapport problématique à l’argent, Macky Sall et son refus de la moindre contradiction politique, paradoxe absolu pour un Président de la République dans une Démocratie), mais tous, j’en suis convaincu, aiment ce pays et estiment que leur action politique est positive. Sinon ils n’auraient pas pu tenir. La charge présidentielle est bien trop lourde pour quelqu’un qui n’y mettrait aucune passion ou ne serait pas habité d’une conviction d’agir pour le bien du plus grand nombre.

Le problème est ailleurs, il réside dans nos institutions. La plaie du Sénégal est son système institutionnel.

Je ne ferai pas ici l’apologie d’un modèle institutionnel endogène, au sens culturaliste, thèse à laquelle j’ai longtemps adhéré mais vis à vis de laquelle je deviens de plus en plus sceptique, notamment en raison de l’approfondissement de mes maigres connaissances sur les déterminants biologiques communs à toute l’espèce humaine. Homo sapiens est en effet le même partout sur Terre et certains traits de sa personnalité sont indépendants de sa culture locale et dérivent plutôt de son évolution. Certaines de nos règles institutionnelles, notamment celles faisant office de garde-fous, n’ont donc pas besoin d’être spécifiquement africaines, asiatiques ou occidentales. Elles doivent se contenter de prévenir les dérives, et c’est déjà beaucoup, qui sont latentes en chaque être humain, peu importe sa couleur de peau, ses traditions ou la langue qu’il parle.

Autrement dit, Il nous faut changer nos institutions.

La diffusion universelle du savoir par l’alphabétisation et les télécommunications, l’investissement grandissant des espaces de citoyenneté, l’émergence des mouvements citoyens et politiques d’indignation, la multiplication des associations qui se veulent d’utilité publique, font que la délégation de pouvoir et sa centralisation autour d’un individu qui incarne la nation (le Président de la République) doit être remise en cause. De plus en plus de Sénégalais, il me semble, se posent la même question que Seydou Madani Sy : « Est-ce que le régime présidentiel, tel qu’experimenté au Sénégal, est celui qui convient le mieux au pays ? ». Ma réponse, et elle n’engage que moi, est « Non ». Nous avons en effet vécu assez de mini-dérives pour nous faire un avis sur les conséquences de l’hyper-présidentialisme.

Si Abdoulaye Wade a pensé pouvoir changer les règles du jeu presidentiel, avec son quart bloquant, à 7 mois de l’élection présidentielle en 2012 et que Macky Sall use du même procédé parlementaire pour lui aussi changer les règles du jeu à 10 mois de l’élection présidentielle de 2019, c’est parce qu’ils sont conscients, plus que quiconque, de la centralité de cette élection et des pouvoirs qu’elle confère au vainqueur. Et puisque les textes le leur permettent, ils les utilisent jusqu’aux limites de la légalité et de l’élégance démocratique pour remplir des objectifs politiques personnels. Quasiment tout dans notre pays dépend du Président de la République aussi bien d’un point de vue symbolique que formel. Et comme je le disais plus haut, quiconque parmi nous serait dans la position de ces hommes politiques utiliserait tous les moyens légaux en sa possession pour asseoir les idées qu’il pense être les meilleures pour le pays et protéger ses hommes de confiance. Certains tiqueront à la lecture de cette phrase mais ce désir de domination, de diffusion de nos idées et de notre autorité ainsi que la protection des nôtres sont inscrits dans nos gènes d’homo sapiens. Ainsi, si les dérives ou l’arrogance ressurgissent c’est parce que la loi le permet. Mon second constat est donc le suivant :

Le Président de la République a trop de pouvoirs au Sénégal.

La justice lui est inféodée car il décide des promotions des hauts magistrats grâce à sa position de Président du Conseil supérieur de la magistrature.

L’indépendance des corps de contrôle de l’Etat et le suivi judiciaire de leurs rapports dépend grandement de son bon vouloir, lui qui nomme leurs dirigeants et, dans le cas de l’Inspection générale d’Etat (IGE), peut transmettre ou pas des cas de mauvaise gestion aux juridictions nationales.

Le Conseil constitutionnel qui est censé être le garant du respect de la Constitution – texte fondamental de notre République qui s’impose à tout Sénégalais y compris le Président – voit ses membres êtres nommés par ce même Président.

Le pouvoir législatif représenté par une majorité qui a mécaniquement et brutalement voté la loi sur le parrainage, comme elle allait le faire avec la loi scélérate du 23 Juin 2011, lui est inféodé. D’abord en raison du mode de scrutin qui protège le parti au pouvoir avec le scrutin majoritaire à un tour dans les départements (l’exemple type étant le département de Dakar lors des législatives de 2017 où le parti au pouvoir a raflé les 7 députés en jeu en étant minoritaire en termes de voix obtenues). Ensuite, parce que le scrutin proportionnel favorise systématiquement la liste nationale du parti au pouvoir, liste choisie là aussi par le Président de la République et chef de parti comme l’y autorise la Constitution.

De plus,

Il dispose de fonds politiques de plusieurs milliards de FCFA par an.

Il valide tous les gros contrats d’infrastructures, de ressources naturelles etc.

Il nomme et révoque le Premier ministre et son gouvernement.

Il nomme aux emplois civils et militaires sans aucune contrainte ni filtre de moralité ou de compétences sur les profils qu’il choisit, notamment en ce qui concerne les emplois civils.

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Tout cela est légal. Et tout cela constitue trop de responsabilités pour un seul homme. En effet, non seulement tous ces pouvoirs légaux dépassent, objectivement, les capacités de gestion d’un homme seul mais ils lui créent en plus une immense pression économique et sociale dans un pays pauvre comme le nôtre. C’est ce que dit El Hadji Ibrahima Sall, dans son ouvrage, « Demain la République » :

« Il faut insister sur les effets délétères qu’un pouvoir aussi démesuré produit sur le fonctionnement de notre système politique et social. Non seulement le Président de la République envahit indument l’espace politique lui-même, mais sa toute puissance déborde sur le champ social qui aurait pourtant dû être préservé. Cela a contribué à accréditer l’idée, sulfureuse dans une Démocratie, que le carburant de la société toute entière est politique. Que toute entreprise, quel que soit le champ dans lequel elle se situe, a besoin, pour être couronnée de succès, de l’onction du Président de la République et du pouvoir politique. Même le secteur privé n’a pas échappé à cette mainmise présidentielle. C’est le Président de la République qui fournit le gros des troupes des conseils d’administration. Les faveurs, les marchés, les privilèges aux entreprises passent par le palais présidentiel. La collusion entre certains milieux du patronat et le cercle présidentiel, commencée depuis plusieurs décennies dans notre pays, a atteint des proportions insoupçonnées. La proximité des chefs religieux avec l’espace présidentiel, naguère discrète, est devenue ostentatoire. Rajoutons à cela, la pratique, stupéfiante, de placer sous le « haut patronnage du chef de l’Etat » les soirées folkloriques, les cérémonies de chants religieux, les combats de lutte etc. »

Ainsi, et pour convoquer à nouveau l’analogie entre physique et politique, le visible simple change de visage régulièrement et s’appelle Abdou Diouf, Abdoulaye Wade ou Macky Sall. Mais la constante, le moteur invisible, reste l’hyperfonction présidentielle et la cascade de dépendances institutionnelles qu’elle crée. Les deux principaux responsables de cette situation au Sénégal sont, à mon sens, les Présidents Senghor et Wade, deux hommes à la densité intellectuelle indiscutable mais qui ont commis l’erreur de tailler des constitutions à la mesure de leur personne en 1963 et en 2001, sous-estimant les effets pervers d’une telle concentration de pouvoirs entre les mains d’un seul homme, et surestimant leurs capacités propres, eux qui ont réalisé de belles choses pour le Sénégal mais qui ont également été à l’origine de dérives liberticides ou de scandales économiques. Les Présidents Diouf et Sall n’ayant fait que surfer, avec leurs imperfections personnelles citées plus haut, sur cette déferlante de pouvoirs que leur avaient légués leurs prédécesseurs.

Le fait que très peu d’Hommes politiques se prononcent sur cette question indique quelque part un consensus implicite entre acteurs du milieu. Par le passé ou de nos jours, peu d’opposants se sont engagés clairement et au grand jour à réformer la fonction présidentielle, garantir la séparation des pouvoirs par des mesures claires et privilégier, dans le fonctionnement de la République et dans les nominations, des rapports de transparence à ceux de confiance. Peu de chefs religieux parlent également de cela. Eux à qui le contrat social sénégalais et notre laïcité libérale donne la liberté et le privilège d’être une voix autorisée sur les affaires de la République. Eux qui sont si prompts à donner leur avis, souvent d’ailleurs pour réfreiner toute volonté de changement profond, gardent le silence sur cette question sentant peut-être que leur influence et leurs privilèges auprès du monarque républicain en pâtiraient également. Mais ce qui m’inquiète davantage que ce silence des élites c’est la démission ou la compromission des intellectuels qui, du fait de leurs situations matérielle et intellectuelle supérieures, devraient constamment alimenter ce débat sur les questions institutionnelles. Les masses empêtrées dans les luttes du quotidien et les fatalismes divers ont en effet besoin d’intellectuels organiques qui digèrent pour eux les questions complexes comme celle-ci et mènent des combats d’avant-garde. Il n’en est rien, malheureusement.

Telle est désormais ma position définitive : la plaie du Sénégal est son système institutionnel et le fait que presque personne n’en parle de manière sérieuse et grave est inquiétant.

Il ne s’agit pour moi pas de dire que le Sénégal doit aller vers un système parlementaire. Non. L’incarnation est encore nécessaire pour des raisons culturelles, vu le passé aristocratique africain encore perceptible dans la conception du pouvoir mais aussi en raison de la socialisation du Sénégalais, de l’enfance à l’âge adulte, dans le respect strict du chef, de l’aîné, de l’adulte et du guide religieux. L’incarnation est également nécessaire à l’heure où, paradoxalement, intellectuels et groupes constitués réclament plus de droits, de participation directe tout en ne se satisfaisant pas d’avoir face à eux un pouvoir diffus. Au contraire ils veulent souvent avoir en face d’eux un pouvoir symbolisé par un homme ou une femme à qui ils peuvent demander des comptes directement et qu’ils ont la liberté de changer de temps en temps. Ce qui fait dire à Pierre Rosanvallon que « la présidentialisation des démocraties s’avère aussi problématique qu’incontournable ».

Je crois donc en la nécessité objective de conserver un système présidentiel, et ainsi, une certaine forme d’incarnation. Dans le même temps, je ne crois plus dans l’hyper-incarnation vertueuse, ni aux promesses messianiques de changement de la vie par un individu disposant d’hyper-pouvoirs. Mettez la personne la plus vertueuse du Sénégal au poste de Président de la République dans sa forme constitutionnelle actuelle, et dans 5 ou 7 ans vous déchanterez d’une façon ou d’une autre. Une autre question se pose désormais : Que faire ? Sans prétendre que les quelques orientations proposées ci-dessous sont « ce qu’il faut faire », je pense qu’elles représentent des pistes à creuser.

Sur la Justice

L’instauration d’un système judiciaire aussi autonome que possible me semble être une urgence, notamment dans la progression hiérarchique, le suivi pénal des rapports de contrôle, les formes de nomination et la durée des mandats. Le fondement de l’idéal républicain est l’égalité devant la loi. Cette égalité est assurée dans le suffrage universel mais demeure encore une vue de l’esprit dans les décisions de justice. Pour y remédier, il faudrait réformer nos institutions judiciaires. Ainsi, les magistrats du Conseil constitutionnel, actuellement nommés pour une durée de 6 ans non renouvelables par le Président de la République et le Président de l’Assemblée nationale, pourraient être élus par leurs pairs et à vie (ou jusqu’à un âge plafond avant d’aller à la retraite). Le Président de la République ne devrait plus être considéré comme le gardien de la Constitution. Ce privilège, qui est en même temps une grande responsabilité, devrait revenir de fait au Conseil constitutionnel qui pourrait être transformé en Cours constitutionnelle.

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Le retrait de l’IGE du giron présidentiel est également une nécessité. L’affaire Khalifa Sall est une récente illustration. En cas de non auto-saisie de la Justice face à des cas de mauvaise gestion rapportés par l’IGE, l’on devrait permettre à un certain nombre de citoyens (500 ? 1000 ? 5000 ? 10000 ?) de se constituer partie civile et de poursuivre le responsable mis en cause pour détournement de deniers publics par exemple.

L’élection des juges et la décorrélation de leurs mandats des mandats politiques pourrait même être envisagée.

Sur l’argent et les nominations.

La réduction drastique suivie d’un encadrement strict de l’utilisation des fonds politiques est également devenue une nécessité. L’argent étant lui aussi une forme de pouvoir qui pourrit le terreau politique et social national.

Je pense que le Président de la République doit demeurer le chef suprême des armées, car en Démocratie ceux qui détiennent les armes ne sauraient s’affranchir de la tutelle politique du peuple non militarisé et qui est incarné par le Président. En revanche, je suis partisan d’une réforme profonde du système de désignation dans les emplois civils. La présélection indépendante de candidats par des commissions parlementaires ou des cabinets de recrutement s’impose. Le choix final au sein de cette liste de personnalités pourrait être laissée au ministre de tutelle ou être soumise au vote des futurs collaborateurs de celui/celle qui sera choisi(e). Les postes de directeurs généraux de sociétés nationales, d’agences, de commissions et ceux de Présidents de conseil d’admnistration pourraient systématiquement être confiés à des individus selon ces modalités plus justes, plus transparentes et potentiellement plus démocratiques. Leurs contrats pourraient être des contrats longues durées mais à durée et renouvellement limités. Ils devraient également être décorélés des mandats politiques.

Sur le pouvoir législatif

L’instauration d’un scrutin majoritaire à deux tours dans les départements, ce qui revient à supprimer le fameux « raw gaddu », diminuerait les raz de marées mécaniques et tempérerait l’ardeur des pouvoirs en place. La réduction du nombre de députés élus grâce au scrutin proportionnel (sur la liste nationale) serait également un progrès. Je parle de réduction (on peut envisager une réduction de moitié) et non de suppression pour permettre à un Président de disposer encore d’une marge de manoeuvre pour dégager une majorité et se mettre à l’abri, lui et le peuple qui l’a élu, à l’abri des turpitudes populistes et des émotions changeantes de ce même peuple sur de très courtes durées. Il faut en effet diminuer la dimension arithmétique de la majorité parlementaire et avoir une meilleure représentativité des diverses sensibilités politiques du pays mais il faut également garder à l’esprit les méfaits d’une potentielle instabilité institutionnelle récurrente.

Pour boucler la boucle et revenir sur l’épisode du parrainage des candidats à l’élection présidentielle, toute modification d’une loi constitutionnelle par voie parlementaire ne devrait pas pouvoir être réalisée sans débat préalable et devrait rassembler les trois quarts des voix du parlement pour être sûr qu’elle transcende les chapelles politiques. En cas d’impossibilité d’atteindre cette majorité qualifiée élargie, il faudra alors soumettre cette réforme constitutionnelle par référendum au peuple souverain qui, en dernier ressort, est le constituant suprême.

Sur le Président de la République

Le Président d’une République ne saurait être le président d’une association privée, en l’occurence un parti politique comme l’y autorise l’article 38 de notre Constitution. C’est une question morale. Ni plus ni moins. Et des développements supplémentaires sur cette question me semblent superflus.

Le Premier ministre devrait disposer de pouvoirs supplémentaires vis à vis du Président. Lesquels ? Je ne sais pas. Au moins, ne devrait-il plus pouvoir être remercié comme un vulgaire travailleur journalier ne bénéficiant d’aucun contrat formel.

Enfin, la destitution du Président doit être étendue, au delà de la haute trahison, à la corruption et aux crimes. Ces griefs ont l’avantage d’avoir une définition pénale plutôt précise.

Toutes ces propositions semblent aller dans le sens de cet appel du Président Obama qui déclara, lors d’une visite sur le continent, que « L’Afrique avait besoin d’institutions fortes ». L’assertion est bienvenue mais l’Afrique a également besoin de femmes et d’hommes forts, au sens moral et républicain du terme. La loi et les réglements sont des gardes-fous mais leur effectivité dépend surtout de ceux qui doivent les incarner et les faire appliquer. Les changements proposés ici ou d’autres plus audacieux devront paradoxalement être réalisés par un Président de la République et par sa majorité élus sur la base constitutionnelle actuelle. Mais qui donc, au sein de notre classe politique, osera diminuer ses pouvoirs alors que ceux-ci lui conféreront les moyens de se maintenir aux affaires avec une majorité écrasante garantie et des possibilités de nomination, de révocation et protection quasi illimités ? Qui osera le dire aux Sénégalais avant d’être élu et l’appliquera une fois en place ?

Les perspectives de réponse ne sont pas heureuses, mais comme je le disais récemment dans un autre texte, ayons l’optimisme pour boussole. Cette plaie institutionnelle qui fait mal à nos aspirations, mandats présidentiels après mandats présidentiels, ne peut que cicatriser un jour ou l’autre. Ce n’est, en définitive, qu’une question de temps.

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