– Nous sommes des croyants. Que personne ne nous en veuille. Musulmans ou chrétiens, nous croyons en Dieu et en Sa miséricorde. Nous croyons à Sa capacité de changer un destin, même si nous devons être les premiers à nous occuper de notre vie, à l’organiser, à la protéger, à assumer nos erreurs et nos fautes. L’enseignement de toutes les religions part et aboutit à l’amour et non au mal. Il nous arrive de faire face à des leçons de vie dont l’exceptionnalité nous charme, nous interroge, nous intrigue et nous donne à penser ou à croire que quelque chose d’autre gouverne le monde. C’est nourri de cette foi, de cette force qui apaise et fait enjamber les montagnes, que nous interrogeons aujourd’hui le présent de notre pays et que nous interpellons la classe politique et le peuple Sénégalais. Personne ne fera ce pays à notre place. Même Dieu. Avant Lui, il est de notre mission d’abord de le construire. Si nos cœurs sont sans taches, nos vœux dénués de pensées négatives et nos buts de sentiments de vengeance, il est possible que nous puissions atteindre ce dépassement généreux de nous parler, de nous écouter , de trouver ensemble, sans péril, le chemin d’un consensus qui rassemble et qui donne confiance en l’avenir.
Le Sénégal d’aujourd’hui est résumé, à tort ou à raison, par mon ami l’Ambassadeur de Tombouctou, ainsi qu’il suit: il y avait l’esprit et le masque. L’esprit a quitté le masque. Il ne reste plus que le masque.
Pour ma part, il y a Dieu et il y a nous. A chacun sa partition. Mon ami l’Ambassadeur de Tombouctou revient pour m’en donner la plus belle des leçons : vous sélectionnez vos graines, vous les mettez en lieu sûr pour les conserver. Et vous attendez le temps des semences. Ce temps arrive mais il ne pleut pas encore. Vous finissez par aller dans votre champ afin de mettre vos graines sous terre. Votre mission est accomplie. Reste celle de Dieu, de la Providence, car c’est Dieu qui donne la pluie selon la ligne de notre foi, c’est Lui qui fait germer la graine et c’est Lui qui fait mûrir votre champ. Il est Le Maître des cycles. Et quand vous savez observer, vous constatez que le bourgeon qui sort de terre est si douillet, si fragile, qu’un doigt de bébé pourrait l’écraser. Et pourtant, ce bourgeon si laineux a surgi de terre sans peine. D’où lui est venu cette force qui l’a fait traverser une couche de terre? Ce n’est rien d’autre que la partie de la mission qui incombe à Dieu, à la nature, dit-on. Et quand votre graine pousse et grandit, d’autres herbes surgissent toujours aux alentours. La pousse de votre graine est à vous mais vous n’avez pas semé l’herbe folle qui pousse autour. Elle est là pour d’autres « êtres » que Dieu a crées et qu’il faut nourrir, comme vos bêtes de labour ou de pâturages.
Telles sont les merveilles de la vie. Telles apparaissent les rôles dévolus à Dieu et ceux qui nous sont propres. Notre responsabilité propre et non celle de Dieu, est de mettre sous terre notre graine. Si vous ne semez pas, vous ne récoltez pas. Si vous ne jouez pas, on ne vous appellera pas pour vous dire que vous avez gagné à la loterie. De même, c’est à nous de bâtir notre pays ou de ne pas le bâtir. Par ailleurs, n’en voulons pas à la jeunesse. Lui en vouloir c’est en vouloir à la marche du monde. Elle chemine avec son temps. Oui, autrefois, si vous chassiez les oiseaux de votre champ, les oiseaux s’envolaient. De nos jours, si vous chassez les oiseaux de votre champ, c’est le champ qui s’envole avec les oiseaux. Le monde a subi des mutations et toutes les jeunesses du monde aussi.
Pour que le prophète Mohamed ait pu nous montrer la voie royale, il a fallu que le Coran naisse ! De même Jésus et le nouveau testament. Ceci pour dire que notre pays doit se trouver un Nouveau Livre Citoyen et Républicain, trouver une nouvelle voie fondatrice d’un État nouveau, réinventer la responsabilité publique, la responsabilité sociétale d’un peuple, afin que « la politique » ne soit plus montrée du doigt comme un système partisan, corrupteur, carnivore, qui impose sa loi à tout et à tous, mais un système qui unit. Pour qu’un nouveau Sénégal surgisse, il faut une fin de l’histoire. Il faut que les Sénégalais d’aujourd’hui ouvrent une nouvelle page de leur histoire. Qu’ils mettent fin à la gouvernance close de la politique. Le système du parrainage des candidats aux prochaines élections présidentielles de 2019 et qui secoue tant notre pays, s’il est bien conduit et consensuel, pourrait nous ouvrir demain les portes d’une nouvelle gouvernance. Ce sont les mauvais systèmes politiques qui nous montrent le chemin des bons systèmes républicains. Voilà pourquoi, ensemble, au-delà du seul pouvoir et de la seule opposition politiques, nous devrions associer dans les grandes décisions institutionnelles de notre pays la société civile, les sociétés religieuses, les collectivités locales, les associations de femmes et de jeunes, les universités, le barreau. En somme, ratisser large pour avoir non seulement le meilleur consensus mais les meilleures propositions pour les meilleurs mécanismes de régulation et de prévention et dans la durée et dans la qualité et la performance. Ne pas s’enfermer entre politiciens. Les Sénégalais ont leur mot à dire. L’Assemblée nationale reste le terminus. C’est de cette manière qu’il faudrait concevoir nos lois, nos révisions constitutionnelles. C’est de cette manière que notre Code de la famille est née et il est là pour longtemps.
Le parrainage, pour revenir à lui, devrait laisser dans l’histoire le nom d’un Président qui a changé la donne pour que tous soient égaux devant le suffrage universel, mais à condition qu’un consensus large et fort le valide pour le solidifier et l’installer dans la postérité. En un mot, ne pas donner raison à ceux qui pourchassent la suspicion. Par ailleurs, c’est à l’opposition de ne pas laisser à une seule hirondelle de faire le printemps, car le parrainage est un printemps et ce printemps nous le voulons. Il nous fera du bien, en donnant sa chance à chaque Sénégalaise, chaque Sénégalais. Il nous sortira de l’étau et de l’éternité au pouvoir des seuls tenants de partis politiques. Puisse l’opposition prendre sa place dans l’appel au dialogue au nom du bien-être institutionnel de notre République et laisser le peuple Sénégalais prendre acte de la contribution de chacun. Le système démocratique qui posera cet acte, aura vaincu le « mauvais infini ». L’opposition doit inscrire son nom dans cette marche de l’histoire politique du Sénégal. L’on nous a appris que la politique est comme le football : on ne fait pas la passe à l’adversaire. Mais ici, il ne s’agit pas d’adversaire, il s’agit d’écrire autrement une nouvelle page de l’histoire de notre démocratie. Il s’agit de poser constitutionnellement les jalons d’une alternance démocratique où tous les Sénégalais ont leur place. Instituons alors, ensemble, ce parrainage dans la confiance et le consensus et que l’histoire de notre pays puisse un jour s’écrire autrement. Reste à trouver, toujours ensemble, les mécanismes qui soulageraient le Trésor public et le moyen d’assurer le vote à chaque citoyen qui aurait satisfait aux exigences requises. Mon ami l’Ambassadeur de Tombouctou a, quant à lui trouvé la solution: que chaque candidat finance lui-même et ses affiches de campagne et son propre bulletin mettant ainsi les caisses de l’État au repos! Les Sénégalais s’occuperont du reste, dans l’urne ! Être président a un coût qu’il faut assumer, tranche le plénipotentiaire !
Ne reculons pas. Avançons et surtout ensemble. C’est de la crédibilité de notre démocratie, de notre capacité à aller à la rencontre de la chair même de notre pays, dont il s’agit et de la place que ce pays a acquis désormais au cœur des plus apaisées démocraties du monde. Ne ruinons pas nos acquis démocratiques. Si l’opposition a un fossé à franchir, rêvons que le président de la République lui tende la main et réciproquement, sans que ni l’un ni l’autre ne perde son honneur, ne fourvoie à sa mission, ne renonce à ses idéaux, ne cède ses droits. Le pouvoir comme l’opposition doivent se retrouver là où le peuple sénégalais les convoque: le développement, la formation de notre jeunesse, la sauvegarde de notre dignité et de notre identité nationale.
Aucun Président ne peut prétendre tout réussir, tout régir. Aucune opposition ne peut prétendre tout contester, tout réinventer. Aucune force de l’opposition ne peut pousser le pouvoir au suicide ou à l’humiliation en tenant à le faire céder sur ses choix de développement. C’est son droit, sa légitimité. Il gouverne. Mal ou bien, c’est lui qui gouverne. Aucun pouvoir ne peut réprimer, marchander l’élan légitime d’une opposition vers le pouvoir. Cependant, c’est ce à quoi aspire et désire le peuple Sénégalais qui doit rassembler les deux camps et leur imposer une obéissance commune du jeu démocratique dans l’élégance, le devoir du respect mutuel, la responsabilité sous l’œil vigilant de l’Histoire.
La démocratie peut-être une tragédie ou tout court une grande plaisanterie, une honteuse farce, quand elle emprunte son visage à la défaite de toute morale, au triomphe de la ruse et du gain. Notre pays n’a pas ce destin, ne veut pas de ce destin et n’aura pas ce destin.
Dans ce pays, pour peu l’on croirait que Dieu a pris de longues vacances, loin de nous. Et le Diable jamais. Lui, il serait resté. Sans Dieu, sans éthique, sans valeur, sans humilité, comment « mettre notre âme à l’abri »? Quelque chose nous gifle et nous serions prêts à tendre l’autre joue. Quand on veut tout laisser à Dieu, le Diable finit par prendre la plus grosse part. Ce pays n’est pas une auberge de suicidés et de morts. Mais le malheur peut arriver. Il arrive partout où la justice doute ou se couche ou demeure injustement fusillée, ou le pouvoir flamboie, ou l’opposition arme ses soufflets au moindre feu, ou le peuple arbitre dans le silence. Cette justice d’aujourd’hui prise entre deux feux, dans un enfer de mitraillettes, sans savoir ni où se réfugier ni comment sauver son honneur, personne ne viendra la sauver, si ce n’est elle-même ! Elle tient entre ses mains finalement apparues fragiles, le verdict de sa propre histoire. Mais ne l’oublions pas : la justice, même celle de Dieu, est toujours une épreuve !
Citons les, sans peur: Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Macky Sall. Quatre hommes politiques, quatre Sénégal, quatre temps du monde, quatre héritages. L’histoire est écrite pour les trois premiers. Elle est en train de s’écrire pour le 4ème Président. L’encre n’a pas encore séché. Il serait temps, disent nombre de Sénégalais, qu’après le 5ème ou au plus tard le 6ème Président du Sénégal, qu’une femme ou qu’un homme, à équidistance des clans et des partis politiques traditionnels, gouverne à son tour notre pays. La vérité, par ailleurs, est qu’il y a bien longtemps que nous aurions dû aider un président de la République à cesser d’être l’otage de la politique marchande et des loups qui rôdent autour des palais. Il s’agissait, très tôt, d’instituer un mandat présidentiel unique de 7 à 8 ans. Cela aurait permis, dit-on, à l’élu suprême de gouverner sans être l’esclave de quelque groupe que ce soit et sans corde au cou Cela aurait aidé le président de la République, quel qu’il soit, à être libre, à n’être l’otage de personne. A la vérité, un Président est fragile. Comme tout humain, il a besoin des autres. Le schéma actuel a largement démontré combien un second mandat à briguer met en danger notre démocratie, notre économie, met un Chef de l’État en grande vigilance face à une coalition, une majorité présidentielle à rassurer, à protéger, car son destin est celui de sa majorité. Rien de plus normal. Pour survivre, il faut être ensemble.
C’est la loi de la jungle mais nous ne voulons pas tenir, par respect, l’espace politique comme une jungle. Nul ne peut en vouloir à un quelconque homme politique de tout mettre en œuvre pour gagner son combat électoral, dès lors qu’il lui est permis de se présenter au suffrage universel. On me rétorquera oui, mais dans la transparence. Nous répondons oui, bien sûr dans la transparence, car nous sommes naïvement de ceux qui croient qu’une abeille ne peut accoucher que du miel. Pour dire que nous sommes dans une présomption de dignité morale et de respect des urnes. Le président de la République, pour le nommer, est constitutionnellement habilité à se présenter et se présentera. Seul le peuple Sénégalais décidera de l’issue des élections et il protégera sans faiblesse et son vote et son choix. Nous croyons que tous ceux qui se présenteront en 2019 devant les Sénégalais, accepteront le verdict du peuple. Nul ne pourrait, non plus, en vouloir demain à un Dieu qui a trop à faire ailleurs que de venir s’occuper de ce que les Sénégalais peuvent décider sans Lui. N’ayons pas peur. Faisons-nous confiance. Veillons ensemble. Soyons grands et dans la victoire et dans la défaite.
L’heure n’est pas grave, mais le dialogue s’impose. Le président de la République, le premier, parce que tel est le poids noble de sa charge, malgré une opposition batailleuse, bien installée dans son rôle et décidée de ne pas en bouger, doit s’élever, se dépasser, se libérer de l’étau quoique légitime de son camp politique et de ses partisans, pour donner un gage à celui qui est le seul maître, le seul souverain et le seul à trancher pour tous : le peuple Sénégalais. Pour cela, son appel au dialogue doit être constant, généreux, sans répit, sans contrainte. Si personne n’y répond, les Sénégalais apprécieront, prendront acte. Mais toujours s’élever, communiquer, prendre le peuple à témoin. Notre pays mérite de poursuivre sa marche vers le progrès, la liberté. Nous sommes un grand peuple. Ce peuple a mûri. Il sait attendre. Il sait arbitrer. Il n’est pas pressé mais peut se réveiller pressé, quand on viole son honneur, quand on humilie son histoire. Le peuple sénégalais sait tout. Il sait trier le vrai du faux. Il sait se taire mais il tranche toujours. Penser ou travailler pour le tromper est chimérique. Il faut lui faire confiance et le laisser faire. Il sait mesurer le poids moral des gages. Quand on lui prête sans taux usurier, il rembourse plus que ce qu’on lui a prêté. Cela s’appelle rendre justice. Je ne souhaite à quiconque de l’affronter, lui faire subir l’injustice et le déshonneur. On le paie cash et deux fois. Et puis, on ne définit pas pour lui ce que sont la justice et le déshonneur. Il possède son propre dictionnaire.
Dieu sera présent au Sénégal en 2019, pour dire que ce pays ne brûlera pas. Ne brûleront que ceux qui ont déjà allumé dans leur cœur les flammes de la haine et de la division. Le Sénégal est plus grand que lui-même. Les Sénégalais sont sereins et prodigieux. Nous n’avons cessé de répéter que tant qu’il existera dans ce pays un bout de minaret, l’ombre d’une croix, nous nous réveillerons toujours avec le soleil. Ici, dans mon pays, tant qu’il y a le ciel, il y a toujours la certitude qu’un oiseau y passe. Nous sommes armés pour survivre à toutes les peurs. Ce pays est d’or. A chaque épreuve, éclairons-nous aux feux ardents longtemps allumés avant nous par des êtres exceptionnels, des apôtres du refus, du bien et de la foi. Ce n’est pas vrai que leurs prières ont séché, que nos fétiches sont morts, que notre sol est souillé et stérile. Les fronts de nos mères restent des diadèmes. Ceux qui sont souillés sont ceux qui sont vaincus sans combattre et qui ont remplacé Dieu et la dignité par l’argent, l’avidité, la cupidité, la servilité.
Que le respect, la mesure, la paix, soient notre première mosquée, notre première église. Il est plus courageux de faire la paix que de faire la guerre, dit l’adage. N’oublions pas non plus « qu’il n y a pas de liberté sans droits de l’homme. Pas de droits de l’homme sans la paix. Pas de paix sans justice ». L’État, c’est nous tous ! Que l’on cesse enfin de se combattre en proclamant: « je ne mens pas, c’est la vérité qui se trompe ». Apprenons à additionner et non à soustraire. Ce qui doit arriver, arrivera, malgré l’argent des uns, malgré la bave des autres. La fortune ou le mépris n’a jamais garanti l’exercice du pouvoir. L’insulte et l’adversité irrespectueuse n’ont jamais garanti la conquête du pouvoir. Le verdict n’est ni dans les coalitions, ni dans les moyens financiers des uns ni dans les diatribes des autres. Le verdict est dans l’expression du suffrage des seuls Sénégalais, à condition que ces derniers soient dignes de leur pays, de leur histoire.
Nous sommes des millions à aimer, à chérir notre pays le Sénégal et avec nous des peuples et des pays de par le monde qui nous vouent respect et affection. Et parce que nous l’aimons notre pays, pouvoir comme opposition compris, et que son avenir nous préoccupe, que nous devons nous unir, mettre nos forces non au service d’un seul camp, mais au service de tous. Confortons notre démocratie. Aidons les autres qui nous regardent à mieux nous aimer. Soyons dignes de ce que ce grand petit pays nous a jusqu’ici laissés en héritage! Que personne ne nous fasse croire que nous sommes devenus le produit du néant. Ne tournons pas le dos à notre vrai miroir. Regardons-le en face !
Amadou Lamine Sall
poète
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française